L’ouverture à la concurrence du rail entre dans une nouvelle phase. Des opérateurs étrangers viendront sans nul doute concurrencer la SNCF sur ses lignes nationales les plus rentables. Mais des opportunités apparaissent aussi chez nos voisins pour la compagnie française.
27 juin 2018. Une date essentielle pour le transport par rail en France, puisqu’elle correspond à la promulgation de la réforme pour un nouveau pacte ferroviaire comprenant, pour principale mesure, l’ouverture à la concurrence du trafic passagers. Si celle-ci est en vigueur depuis 2009 sur les lignes internationales, cette loi autorise de nouveaux acteurs à opérer des dessertes ferroviaires sur les lignes domestiques à partir du 12 décembre 2020. Plusieurs opérateurs ont déjà manifesté leur intérêt pour venir concurrencer la SNCF dans les tout prochains mois. Une grande majorité de Français attend d’ailleurs avec impatience cette ouverture du marché au vu des tarifs jugés élevés, voire exorbitants, des voyages en TGV ainsi qu’en raison des grèves récurrentes qui secouent la compagnie ferroviaire nationale.
Dernière ligne droite
Cette échéance du 12 décembre 2020, la SNCF s’y prépare depuis des années. Dans la dernière ligne droite, elle s’est attelée à segmenter son offre grande vitesse entre ses TGV Premium, déployés sous la marque inOui, et ceux à bas coûts Ouigo. Pour conserver les faveurs de la clientèle affaires, la compagnie ferroviaire a en outre lancé, dès la rentrée 2018, une offre Business 1ère sur les principaux axes affaires depuis Paris vers Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Nantes, Rennes et Strasbourg. Munis d’un billet TGV Pro 1ère, ces voyageurs disposent d’une voiture inOui dédiée et de services exclusifs : accès aux salons Grand Voyageur, file de contrôle rapide sur le quai, accueil thé ou café devant la voiture 1ère classe, presse gratuite, WiFi à bord, réservation possible d’un taxi ou VTC. “Notre obsession est la satisfaction clients, confie Jérôme Laffon, directeur marketing de Voyages SNCF. Notre priorité est de bien comprendre les attentes pour rester en pole position. Nous répondons aux différentes clientèles par des offres tarifaires précises et des services dédiés.”
À l’international, la SNCF a également pris une longueur d’avance en constituant des filiales avec des opérateurs nationaux, que ce soit avec les CFF en Suisse pour TGV Lyria, les compagnies belge et néerlandaise SNCB et NS pour Thalys, la Deutsche Bahn vers l’Allemagne à travers Alleo ou la Renfe sur l’axe franco-espagnol… Autant de partenariats susceptibles de voler en éclat, si d’aventure certains avaient des velléités de se lancer en solo dans l’aventure. “Des opportunités s’ouvrent à l’étranger, et nous comptons bien les saisir”, ajoute d’ailleurs le directeur marketing de Voyages SNCF. En attendant, la SNCF va verrouiller encore un peu plus ses positions sur le nord de l’Europe au travers de Green Speed, l’alliance entre Eurostar et Thalys attendue d’ici 2021, pour peu que ce mariage obtienne la bénédiction de la Commission européenne. Revêtue d’un épais voile écologique, cette fusion a l’avantage, pour l’entreprise ferroviaire française, de rendre plus difficile l’arrivée de concurrents sur les lignes de ses filiales qui desservent, à elles deux, cinq pays européens : Allemagne, Belgique, France, Pays-Bas et Royaume-Uni.
Le marché affaires pesant 20 % chez Eurostar et 47 % chez Thalys sur les 18,5 millions de passagers transportés annuellement, les voyageurs pro devraient plébisciter les opportunités liées à cette fusion. “Les bénéfices seront importants pour nos clients avec des correspondances rapides et harmonisées, la mise en place d’un programme de fidélité commun, une application mobile et un site Internet uniques, un accès aux salons des deux transporteurs en plus d’offres d’abonnements inédites”, explique Marc Noaro, directeur de l’expérience client chez Eurostar. Autres avantages, cette fusion ouvrira les portes de l’Allemagne à Eurostar et évitera aux deux compagnies de se faire concurrence sur Bruxelles–Amsterdam. Un tronçon sur lequel ce rapprochement permettrait aussi de mieux résister à la concurrence des trains hollandais Intercity Direct, dont les parcours sont plus longs d’une heure à peine.
Entre l’Allemagne et le Royaume-Uni, l’horizon est d’autant plus dégagé que la Deutsche Bahn, qui avait tâté le terrain en 2010 en faisant rouler un ICE jusqu’à la gare de Londres Saint-Pancras, semble avoir enterré son projet de venir concurrencer Eurostar sur les liaisons entre la capitale britannique et le continent. Sur l’axe France-Suisse, TGV Lyria affiche aussi une certaine sérénité quant à l’arrivée éventuelle d’un nouvel opérateur ferroviaire. “Nous sommes rodés, car toutes nos routes sont déjà très exposées à la concurrence de l’aérien. TGV Lyria compte sur ses atouts et le renouvellement en cours de l’ensemble de son offre pour consolider sa position de leader”, assure Fabien Soulet, PDG de la compagnie.
Dans les starting-blocks
Dès lors que l’ouverture à la concurrence interviendra dans un an à peine, les nouveaux entrants ne se bousculent pas sur les quais. “Le ticket d’entrée s’annonce très élevé pour un opérateur ferroviaire qui voudrait prendre pied en France, à commencer par les rames qu’il faut mobiliser”, justifie Jérôme Laffon. Outre le fait d’avoir éventuellement à sortir d’une coentreprise avec la SNCF, cet acteur devra disposer d’un matériel roulant autorisé en France, recruter du personnel pour en assurer la circulation, mais également investir dans la distribution des billets ou encore dans la communication et le marketing pour faire connaître sa marque et ses offres.
“L’ouverture du marché a bénéficié aux clients avec une baisse des prix de 25 % en plus d’une amélioration de la qualité de service”
Roberto Rinaudo, Thello
Plusieurs concurrents, non liés à la SNCF, sont toutefois dans les starting-blocks, certains annonçant même des dates pour la mise en place de leurs services ferroviaires. Des demandes de circulation ont pour cela été déposées ces derniers mois auprès de l’Arafer, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires. Parmi les prétendants, la compagnie ferroviaire italienne Trenitalia est déjà présente en France à travers sa filiale Thello qui propose un train de nuit Paris-Milan et six liaisons de jour Marseille-Nice-Milan. Son projet vise à opérer deux allers-retours quotidiens à grande vitesse entre Paris et Milan dès juin 2020. La concurrence s’exercerait avec la SNCF sur l’ensemble de la desserte, a fortiori sur le tronçon Paris-Lyon sur lequel Thello cherchera à attirer les voyageurs d’affaires grâce à la possibilité de faire l’aller-retour dans la journée.
Ses trains, d’une capacité de 457 passagers et circulant à 300 km/h, disposeront de 76 places en Premium et de 69 sièges en Business. “Nous sommes bien préparés, car la concurrence existe déjà en Italie avec les trains à grande vitesse Italo. Cette ouverture a bénéficié aux clients avec une baisse des prix de 25 % en plus d’une amélioration de la qualité de service”, assure Roberto Rinaudo, directeur général de Thello, qui aime à rappeler que “Thello est à ce jour le seul opérateur ferroviaire alternatif pour le transport des voyageurs en France”. À noter que la SNCF, qui avait embarqué dans les TGV Italo en 2012 via une participation de 20 % du capital de son opérateur NTV (Nuovo Trasporto Viaggiatori), est descendue en marche dès 2015.
Des “cars Macron” aux trains
Bien sûr, la SNCF conservera un avantage indiscutable entre Paris et Lyon avec ses dizaines de TGV quotidiens, permettant une flexibilité maximum avec des billets remboursables et échangeables sans frais en Business 1ère. L’axe Paris-Lyon, l’un des plus chargés de France et des plus rentables avec ses 40 millions de passagers annuels, attire les convoitises. Outre Thello, FlixTrain entend également s’y aventurer en janvier 2021 à raison de cinq liaisons par jour au départ de Paris Bercy. L’utilisation de cette gare secondaire, d’où s’élanceront aussi ses trains vers Toulouse (2 trains/jour) et Nice (une desserte quotidienne, vraisemblablement de nuit), a les faveurs de la filiale ferroviaire du groupe allemand FlixMobility en raison de sa proximité avec la gare routière de Bercy Seine, hub pour ses lignes d’autocar FlixBus.
En revanche, les deux trains quotidiens Paris-Bordeaux prochainement lancés par Flixtrain seront opérés depuis la gare d’Austerlitz, alors que sept liaisons Paris-Bruxelles Nord sont également prévues à la gare de Paris-Nord. En Allemagne, FlixTrain concurrence déjà la Deutsche Bahn à travers l’exploitation de trains rapides sur les lignes Berlin-Hanovre-Francfort-Stuttgart, Hambourg-Essen-Cologne et Berlin-Hanovre-Cologne. En l’absence d’une flotte de trains à grande vitesse en France, sa cible sera majoritairement loisir, comme sur Paris-Bruxelles où FlixTrain concurrencera Thalys et son offre low cost Izy.
Vers l’Espagne, la concurrence entre la Renfe, la compagnie nationale espagnole, et la SNCF s’annonce d’ores et déjà épique, chacune lorgnant sur le marché de l’autre, avec les Pyrénées comme frontière. De quoi faire dérailler le partenariat actuel entre les deux transporteurs dans Elipsos Internacional qui gère les liaisons entre plusieurs villes espagnoles et françaises.
La Renfe souhaite en effet faire rouler entre Lyon et le sud de la France – notamment Marseille – des AVE, l’équivalent de nos TGV également construits par Alstom. Le conseil d’administration de la Renfe a acté la création d’une filiale en France, basée à Lyon, et déposé les autorisations à cette exploitation auprès de l’Arafer, de l’EPSF en charge de la sécurité ferroviaire et de SNCF Réseau. Lyon ne se sera toutefois qu’une tête de pont avant un terminus prévu des AVE dans une gare parisienne d’ici 2023. De son côté, la SNCF va débarquer en force en Espagne au travers de sa filiale Rielsfera et de l’arme Ouigo, une offre TGV à bas coûts étant absente sur le marché espagnol de la grande vitesse qui plafonne à 21 millions de passagers par an.
L’ouverture à la concurrence dans plusieurs secteurs en France comme les télécoms a été un vecteur stimulant via une amélioration du service et une baisse des prix.
La compagnie française sort en effet gagnante de l’appel d’offres lancé par l’Adif, l’équivalent espagnol de l’Arafer. A partir du 14 décembre 2020, date de l’ouverture à la concurrence en Espagne, elle pourra proposer cinq allers-retours par jour Madrid-Barcelone, cinq autres depuis Madrid vers Valence et Alicante, et cinq également de Madrid vers Séville et Malaga. Seconde surprise, 20 % des fréquences en jeu ont été remportées par le consortium Ilsa associant la compagnie aérienne Air Nostrum et Trenitalia. La Renfe fait bonne figure via l’obtention du lot A, le plus important, lui permettant d’augmenter de 20 % ses fréquences quotidiennes sur ces trois axes.
L’ouverture de plusieurs secteurs à la concurrence en France comme les télécoms a été un vecteur stimulant via une amélioration du service et une baisse des prix. Cette échéance, qui se rapproche à grande vitesse, a déjà eu un impact positif sur la SNCF via l’amélioration de son offre de transport en TGV. Mais, pour que la concurrence ferroviaire se fraye un chemin en France et fasse bondir les trafics, il faudra que les conditions financières soient attractives, ce qui n’est pas encore le cas, notamment en raison du coût élevé des péages. Quatre fois plus chers qu’en Italie et le double comparé à l’Allemagne, ils rendent difficile une baisse importante des prix à leur niveau actuel. SNCF Réseau promet cependant une tarification différenciée dès 2021, avec à la clé des remises pour chaque nouvel entrant.
Dans le même registre, la question des sillons accordés à ces opérateurs devra être réglée. Seront-ils empruntés aux TGV de la SNCF ou à des trains régionaux ? Pour que ces offres alternatives puissent se développer, il faudra aussi que les clients disposent des infos adéquates sur les marques, les fréquences, les tarifs et les services à bord. Sans oublier, évidemment, les modes de distribution.
DES VOYAGEURS D’AFFAIRES FAVORABLES A L’OUVERTURE A LA CONCURRENCE
L’été 2018, l’agence en ligne Trainline a interrogé plus d’un millier de voyageurs d’affaires concernant l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire français et leurs attentes sur le sujet. L’enquête révélait que 73 % des voyageurs professionnels jugeaient que cette ouverture était “une bonne chose”, espérant un impact positif sur les tarifs, la ponctualité, les services à bord, les fréquences, l’information voyageur, le confort, la facilité de réservation… Néanmoins, 38 % des sondés estimaient qu’il serait plus difficile de savoir quel transporteur circule sur telle ou telle ligne. Pour y pallier, ils étaient 79 % à vouloir disposer d’une application ou d’un site indépendant permettant de réserver les billets des différentes compagnies ferroviaires. Distribuant tous les transporteurs ferroviaires européens, Trainline plaidait ainsi pour sa paroisse alors que OUI.sncf ne commercialise pas les trains de la Deutsche Bahn, de Thello/Trenitalia et de la Renfe…
LA CONCURRENCE ARRIVE AUSSI POUR LES TER
Depuis le 1er décembre, les régions ont la possibilité de passer des appels d’offres pour les lignes de Trains Express Régionaux (TER). Les régions Provence-Alpes Côte d’Azur, Grand Est et Hauts de France se sont déjà engagées sur cette voie espérant une amélioration du service, notamment une meilleure régularité des trains et une baisse des coûts de fonctionnement. Le temps presse, car cette mise en concurrence deviendra obligatoire à partir de décembre 2023. En octobre, la Cour des comptes a rendu un rapport sur “les TER à l’heure de l’ouverture à la concurrence” et soulignait à cette occasion le coût de ces lignes subventionnées à 88 %. Ce qui, malgré des investissements importants, n’a pas pu empêcher une baisse de la fréquentation des TER en raison des annulations et retards de train. La juridiction invite notamment SNCF Mobilités à communiquer davantage d’informations industrielles et commerciales aux régions pour que celles-ci puissent se préparer à cette ouverture progressive à la concurrence.
Avec : voyages-d-affaires.com