Penser le futur pour créer une ville intelligente en trouvant des solutions durables et adaptées aux défis de demain ? C’est le pari de Singapour.
Une vraie grande petite nation. C’est ce qu’est devenue Singapour depuis son indépendance en 1965. La population de cette enclave de terre de 750 km2 située tout au bout de la Malaisie, qui ne s’élevait encore qu’à 3,5 millions d’habitants en 2005, en compte désormais 5,7 millions. Ce brillant melting-pot d’Asie du Sud-Est s’est d’abord imposé sur le plan économique, et notamment comme place financière de premier ordre. D’après le groupe Z/Yen, un think tank londonien calculant les performances des secteurs financiers internationaux, Singapour aurait supplanté Hong Kong dans son dernier classement des places financières.
D’une manière générale, quel que soit l’éditeur des palmarès, la ville oscille depuis plusieurs années entre le 3e et le 4e rang mondial et entre le 1e et le 2e rang en Asie. « »La remarquable croissance asiatique, conduite principalement par la Chine et l’Inde, a ouvert une fenêtre d’opportunités à des centres financiers comme Singapour et Hong Kong, notamment après la crise dans la zone euro. Singapour a été le grand bénéficiaire de cette tendance en raison de la transparence de notre cadre légal, de notre infrastructure robuste et de notre stabilité sociopolitique, explique Tan Su Shan, directrice Banque de détail et gestion de patrimoine à la Development Bank of Singapore (DBS). » Nos clients continuent de créer de la richesse et de développer leurs entreprises dans les pays de la région. De ce fait, ils recherchent un environnement stable et sécurisant pour préserver leurs acquis, poursuit-elle. « Singapour se démarque en ce sens, car c’est une place financière qui assure stabilité et sécurité grâce à son indépendance. Ces avantages clés attirent inévitablement les investisseurs, qu’ils viennent de la région ou de beaucoup plus loin. »
Plus qu’installé d’un point de vue économique et financier, Singapour est en train de recentrer ses préoccupations. Actuellement, la question brûlante est de savoir comment devenir une ville efficace, intelligente, qui puisse accueillir jusqu’à 6,2 millions d’âmes, sans compter les touristes en nombre grandissant. « Singapour se positionne comme une Smart Nation et s’approprie tout ce qui est ’intelligent’ au sens large du terme. Et ce, dans tous les domaines : vie quotidienne, transports, aide à la personne, sécurité, stockage…« , raconte Arnaud Leretour, directeur ASEAN-Pacifique de Business France Singapour.
À côté des tours élancées du Central Business District voisin (1), qu’elles paraissent petites, les maisons et échoppes à toits rouges de Boat Quay (2), le port historique de Singapour ! Une différence d’échelle qui symbolise l’essor continu de la cité État qui attire toujours plus d’habitants, toujours plus de touristes et de voyageurs d’affaires. De congressistes aussi avec son centre de conférences Suntec (4), un des plus high-tech au monde.
Pour asseoir cette ambition, la métropole asiatique dispose au départ d’un atout clé, celui d’être un centre d’excellence en matière d’électronique, concentrant par exemple 40 % de la production mondiale de disques durs. Mais ce n’est pas la seule de ses cartes maîtresses, puisque Singapour est aussi extrêmement performante dans la recherche biomédicale et le big data, avec des applications dans des domaines variés comme la banque et la finance, le tourisme et les loisirs, la sécurité ou encore la planification urbaine.
Pour devenir cette ville de demain, Singapour ne compte pas seulement sur ses propres forces et sait attirer des entreprises et des talents étrangers. En matière de solutions innovantes, les technologies développées par les entreprises françaises sont d’ailleurs largement sollicitées : énergies intelligentes, biotech et cleantech, mais aussi mobilité intelligente ou cybersécurité. De fait, le nombre de sociétés hexagonales implantées à Singapour s’élève à près de 800. La contribution la plus marquante de ces derniers mois a été celle de Dassault Systèmes, qui a collaboré avec la National Research Foundation afin de créer Virtual Singapore, la plate-forme technologique de planification qui devrait permettre de gérer l’urbanisation de la cité-État, mais également, et à plus long terme, d’autres grandes villes du monde.
L’underground au quotidien
Pour ce faire, Dassault Systèmes a cartographié la ville sous tous ses angles, jusqu’à ses sous-sols, pour obtenir une vision globale en 3D. Car, pour pouvoir continuer à se développer, Singapour doit trouver les moyens de mieux tirer profit de son territoire, à la fois particulièrement exigu et non extensible. Parmi les solutions, le développement d’une ville souterraine est envisagé. Ainsi, de plus en plus d’espaces publics, que ce soit des salles de sport ou des bibliothèques, mais aussi des lieux de production industrielle pourraient ouvrir dans les entrailles de la ville. Des zones de stockage pourraient également être réadaptées. C’est déjà le cas avec l’aménagement des Jurong Rock Caverns, une presqu’île à proximité du centre qui, grâce à de profonds forages, va pouvoir accueillir sous le niveau de la mer jusqu’à 150 millions de m3 de pétrole sur une dizaine d’étages. Et, de ce fait, libérer une soixantaine d’hectares de terrains actuellement utilisés.
À proximité, le quartier de Jurong East est d’ailleurs en passe de devenir un nouveau quartier mixte où l’on travaille, bien sûr, mais où l’on vit et s’amuse aussi. Ce qui permet, en passant, de désengorger les quartiers plus centraux et d’aplanir les différences de densité de population. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Jurong East a été choisi pour accueillir la future gare du train à grande vitesse qui reliera Singapour à Kuala Lumpur en 90 minutes à partir de 2026.
Grâce à l’outil Virtual Singapore – dont le site a été lancé en 2017 pour un coût de 73 millions de dollars singapouriens, soit plus de 46 millions d’euros –, de nouvelles stratégies deviennent envisageables. Sur cette plate-forme, les citoyens eux-mêmes ont la possibilité de voir à quoi ressemblera leur ville demain, et sous différents angles : les services, la santé, les énergies, la mobilité, les infrastructures, la sécurité publique et privée, l’environnement… Chacun pourra donner son avis et mettre en commun ses réflexions sur les défis du futur. À terme, cette plateforme pourrait, par exemple, permettre aux habitants de Singapour de surveiller à distance un parent ou un enfant malade.
D’autant qu’actuellement se développe une robotique axée sur l’aide à la personne dans les tâches quotidiennes. Sous peu, des robots pourraient aussi accueillir les clients dans les magasins, leur faire des suggestions basées sur leurs achats passés ou prendre leurs commandes au restaurant. Cette évolution high-tech devrait même créer des emplois qui n’existent pas encore aujourd’hui, mais que la cité-État anticipe déjà. « »Les Singapouriens ont une vision à très long terme, sur plus de 30 ans, explique Arnaud Leretour. « Ils planifient le futur de manière très réfléchie. »
Parallèlement à Virtual Singapore, une nouvelle agence départementale, GovTech, a été mise en place à l’automne 2016. En charge de la digitalisation de la ville, elle travaille main dans la main avec le secteur privé et permet aux citoyens de s’exprimer. Ainsi, les utilisateurs peuvent accéder à Beeline, une plate-forme de mobilité où les usagers des différentes lignes de bus – bientôt sans chauffeurs d’ailleurs – peuvent par exemple proposer des trajets différents de ceux déjà prévus ou demander des détours liés
à leurs besoins individuels.
Au cœur de l’ASEAN
Cette réflexion sur la ville de demain est d’autant plus importante que Singapour s’est toujours imposée comme un centre logistique clé de par sa position géographique, à mi-chemin entre la Chine et le Moyen-Orient. Deuxième port mondial de transbordement de conteneurs après Shanghai, c’est aussi le troisième centre mondial de raffinage. « »Il ne faut pas voir Singapour comme un marché isolé, mais comme un ensemble au milieu de l’Asie du Sud-Est« , précise Arnaud Leretour, en rappelant qu’une entreprise implantée à Singapour peut toucher la Malaisie, la Thaïlande, l’Indonésie – Kuala Lumpur, Bangkok ou Jakarta sont à moins d’une heure trente de vol –, mais aussi d’autres pays comme l’Australie. 2015 a d’ailleurs vu la création de l’ASEAN Economic Community (AEC), marché commun de l’Asie du Sud-Est dont la production globale pourrait s’accroître de 7 % par an d’ici 2025, date de sa mise en place complète. « »Singapour est la plate-forme régionale idéale pour s’implanter dans l’ASEAN« , décrit Arnaud Leretour.
L’AEC promet d’offrir une libre circulation des marchandises, des services, des investissements et une main-d’œuvre qualifiée, ainsi qu’une circulation des capitaux plus libre. Actuellement, l’ASEAN est le troisième partenaire commercial de l’Union européenne après les États-Unis et la Chine, et c’est une zone qui correspond à une population de plus de 620 millions d’habitants. D’ici 2030, on estime que 3,2 milliards de personnes en Asie feront partie de la classe moyenne, ce qui souligne son potentiel économique.
En parallèle, sixième destination touristique asiatique à l’heure actuelle, la cité-État entend également encourager la croissance de ce secteur. Dès lors, son aéroport, Changi, continue de s’agrandir pour s’affirmer en tant que hub aéroportuaire de premier ordre, lequel peut s’appuyer sur l’extrême qualité de Singapore Airlines, régulièrement citée comme l’une des meilleures au monde, pour asseoir cette stratégie. « »Le nouveau Project Jewel de l’aéroport de Changi devrait voir le jour en 2019« , décrit Carine Lespayandel, directrice de la chambre de commerce franco-singapourienne. Avec son concept de ville-jardin, le projet Jewel devrait devenir l’un des nouveaux emblèmes de la ville, au même titre que le Marina Bay Sands. D’ailleurs, sa conception a été confiée à un consortium dont fait partie Moshe Safdie, l’architecte qui a réalisé le célèbre complexe Marina Bay Sands, composé de trois tours reliées par un toit avec vue sur tout Singapour.
Un hub luxuriant
En 2019, c’est donc un splendide bâtiment de verre qui s’élèvera sur 10 étages et hébergera un hôtel, 300 magasins et un immense jardin intérieur où l’on pourra dîner, se divertir, faire du shopping… Car la vocation du projet Jewel vise aussi, en reliant les trois terminaux existants, à rendre l’expérience des voyageurs plus agréable et leurs transferts plus faciles. À terme, le hub de Changi espère atteindre les 85 millions de passagers transitant par Singapour, contre 70 millions depuis l’ouverture du terminal 3 il y a dix ans.
L’aéroport n’est pas le seul grand projet en cours. Car, parallèlement, Singapour quadrille son territoire par une infrastructure hyper performante. « »Un projet d’extension de lignes a été pensé pour que toutes les zones d’habitation de la ville se trouvent à moins de 10 minutes à pied d’une station de métro« , poursuit Carine Lespayandel. Phénomène étonnant, les inaugurations ont souvent lieu avant la date initialement prévue. Singapour, la ville intelligente, la ville presque parfaite, est en tout point fidèle à sa réputation de bonne élève du monde.
Rencontre avec Olivier Relandeau
une activité networking très ancrée
Qu’est-ce qu’Identitii et comment avez-vous rejoint cette start-up ?
O. R. – Identitii a fait ses premiers pas au sein d’un « accelerator program » hongkongais en 2015. Pour faire face aux obligations de lutte contre le terrorisme et le blanchiment, les banques doivent échanger de plus en plus d’informations sur leurs clients et leurs transactions. Pour ce faire, elles se confrontent à des obstacles : mauvaise adaptation des réseaux bancaires pour le transport de ces contenus, réglementations nationales strictes concernant leur hébergement, respect de la vie privée des clients, besoin de preuves d’authenticité… Identitii a développé une technologie répondant à ces complexités.
Pourquoi Singapour ?
O. R. – Singapour est devenue un centre financier majeur en Asie durant les dernières décennies. La Monetary Authority of Singapore (MAS) est particulièrement impliquée dans le développement des fintech. Culturellement, les grandes entreprises ont l’habitude de traiter avec des entreprises de taille plus modeste et sont ouvertes aux solutions innovantes. L’activité networking est très ancrée au sein de cette société cosmopolite. Ici, plus qu’ailleurs, tout un chacun peut démarrer une activité, et est chaleureusement accueilli au sein du réseau.
Comment entendez-vous vous développer ?
O. R. – La technologie d’Identitii prend tout son sens au sein de réseaux d’échanges bancaires globaux, nous conduisant naturellement à nous rapprocher des places financières telles que Londres, New York ou Tokyo. Cette technologie trouve aussi des applications dans la facturation électronique et la collecte de documents clients. Dans le domaine de l’insurtech, l’échange de données médicales confidentielles entre partenaires de santé est crucial. Ce sont les marchés que nous investissons.
Rencontre avec Thibaut Gondran
il nous a paru pertinent de nous implanter à Singapour
Quelle est la particularité de WiN MS ?
T. G – WiN MS est une jeune start-up née en 2012. Nous sommes spécialisés dans le diagnostic et la surveillance des réseaux électriques. Avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, nous avons développé une nouvelle technologie brevetée de réflectométrie, qui permet de détecter des pannes très rapidement et de valider les réparations. Dans un premier temps, WiN MS s’est focalisée sur l’industrie aéronautique et le ferroviaire, et nous développons des solutions pour l’automobile et les réseaux de distribution électrique.
Pourquoi la start-up s’est-elle implantée à Singapour ?
T. G – Lorsque nous avons décidé d’accélérer notre développement en Asie, il nous a paru pertinent de nous implanter à Singapour, qui est au cœur de l’Asie du Sud-Est et permet donc de couvrir toute la région, jusqu’au Japon et la Nouvelle-Zélande. De plus, l’industrie aéronautique est très largement représentée à Singapour. Arnaud Peltier, CEO de WiN MS, m’a confié le bureau de représentation, et après un an à Singapour, nous avons décidé d’ouvrir une filiale de WiN MS afin de consolider nos liens avec nos clients asiatiques.
En quoi vos produits répondent-ils à un besoin spécifique à Singapour ?
T. G – Singapour possède une des plus puissantes compagnies aériennes d’Asie, Singapore Airlines, qui dispose aussi d’importantes filiales avec de larges flottes comme Scoot et Silk AIr. Ces compagnies ont été séduites par nos produits. Nous prospectons maintenant vers les centres de maintenance aéronautique et l’armée de l’air singapourienne.
Comment entrevoyez-vous l’avenir ?
T. G – Vous l’aurez compris, toute compagnie aérienne, tout centre de maintenance, toute armée de l’air peuvent être un potentiel client. Ce qui est déjà le cas en Thaïlande et en Corée. Nous avons également établi des partenariats en Indonésie, à Taïwan, au Vietnam, au Japon et en Australie. Et, fort de nos projets de partenariat avec Singapore Airlines et Rolls Royce notamment, nous voulons recruter et mettre en place une équipe technique à Singapour. Nous espérons avoir une équipe d’une dizaine de salariés d’ici un an.
Rencontre avec Myljoy Polestico
Singapour a trouvé le moyen de se réinventer
Comment est née Zanroo ?
M. P. – Zanroo est née en Thaïlande en 2008. C’est une entreprise technologique de marketing fondée sur l’écoute sociale. Il s’agit de mesurer, en temps réel, la tendance des sujets de conversations. En analysant ces conversations, les entreprises peuvent optimiser leurs stratégies marketing, leur développement de produits, leur réputation de marque, etc… Par exemple, en 2011, la Thaïlande a subi de très fortes inondations. La plate-forme Zanroo est parvenue à suivre les conversations concernant les victimes – réelles et potentielles – dans les zones à risques. Zanroo a ensuite publié un rapport des régions où les conversations sur ce sujet étaient les plus fréquentes. Cela a permis aux familles d’identifier le niveau de sécurité de leurs proches. C’est après ces événements que la plate-forme Zanroo Insights a été créée en 2013. En deux ans, nous avions déjà une centaine de clients. Et la croissance continue, d’où ma présence à Singapour.
Justement, pourquoi Singapour ?
M. P. – Depuis la crise de 2008, Singapour a trouvé le moyen de se réinventer. Le gouvernement fait de gros efforts pour encourager le business, et les start-up en particulier, afin de soutenir la croissance économique. Singapour aurait dépassé la Silicon Valley pour le nombre de créateurs de start-up. Zanroo s’est donc implantée à Singapour, mais elle est unique en ce sens qu’elle est née en Thaïlande et s’est d’abord concentrée sur une des langues les plus difficiles à analyser digitalement. Grâce à cet atout majeur, nous avons pu nous développer avec d’autres langues asiatiques comme le malais ou l’indonésien, et donc, logiquement, nous installer à Singapour. Mais nous couvrons désormais aussi le japonais, le chinois, le coréen, le tagalog et bien d’autres langues. Il a donc été très facile de gérer l’anglais ! Ainsi, nous avons maintenant des clients à travers toute l’Asie et espérons nous implanter en Chine, en Inde, mais aussi en Europe et aux États-Unis.
Avec : voyages-d-affaires