Nouveaux symboles architecturaux, nouvelles infrastructures, nouveaux quartiers… La capitale de la Thaïlande entérine la sortie de son statut de pays émergent.
Le voyageur de retour à Bangkok après quelques années d’absence se pose forcément la question : la circulation était-elle aussi dantesque à l’époque ? La réponse est non. Certes, il y a dix ans, il y a cinq ans même, les fameux taxis roses roulaient déjà au pas sur certaines grandes artères, mais pas à ce point. Prévoir deux rendez-vous dans la même journée dans la capitale thaïlandaise est aujourd’hui devenu carrément périlleux. La métropole rafle en 2016 la seconde place sur la liste des villes les plus embouteillées au monde après Mexico et loin devant Sao Paulo. C’est dire !
La cause de ce classement peu flatteur : un réseau de transports en commun encore trop limité, bien qu’en restructuration, et une classe moyenne en plein essor. En effet, soutenu par une croissance annuelle d’environ 3 %, la Thaïlande a vu son taux de pauvreté chuter de 40 % avant les années 2000 à 10 % aujourd’hui.
Le premier résultat de cette poussée de la classe moyenne a été l’accès à la voiture, avec pour conséquence une augmentation vertigineuse du parc automobile en très peu d’années.
Une autre raison explique cette concentration aussi humaine qu’automobile. De la même manière que Paris, Bangkok reste le centre décisionnel politique et économique du pays, faisant de cette métropole une ville en perpétuel développement. « En quelques années, elle est passée de 10 à 12 millions d’habitants, et ses limites ne cessent d’être repoussées« , explique Jean-François Goumy, directeur pays Thaïlande, Laos et Myanmar de Business France.
Cette extension du domaine de la ville a incité le gouvernement et les autorités locales à investir dans les infrastructures. Ce sont 400 milliards de baths – soit environ 10 milliards d’euros – qui sont ainsi consacrés à l’ouverture de trois lignes de métro, deux aériennes et une souterraine. Alors que le réseau n’est constitué actuellement que de 85 km, il devrait atteindre les 300 km d’ici 2029. Avec une bonne nouvelle pour les voyageurs d’affaires : les deux aéroports de la ville – le hub international Suvarnabhumi et la plate-forme domestique Don Mueang – se verront bientôt connectés au centre de la capitale.
Repousser ses frontières
« Il y aura également des prolongements et le réaménagement de lignes déjà existantes« , poursuit Jean-François Goumy. L’ouverture de nouvelles stations éloignées du centre aura pour effet bénéfique de restructurer une ville dont la planification territoriale a toujours été pour le moins lacunaire.
À terme, ces poches de réhabilitation urbaine devraient donner à la mégapole thaïe une certaine unité. Une évolution d’autant plus importante que Bangkok est une ville en continu, qui ne connaît pas les concepts de banlieue ou de périphérie et rejoint peu à peu les villes avoisinantes, notamment Samut Prakan. Située sur la côte au sud de Bangkok, dans la zone la plus industrialisée de toute la Thaïlande, la province de Samut Prakan compte près de 1,3 million d’habitants. « Lorsqu’on sort de Bangkok et qu’on longe la côte, on entre dans une zone industrielle ininterrompue, englobant en particulier un grand centre de production automobile », renchérit Maël Guiheneuf, conseiller export auprès de Business France Bangkok.
Quinzième producteur mondial de véhicules, deuxième après les États-Unis pour ce qui concerne les pick-up, la Thaïlande ne possède pourtant aucune marque en propre. Le pays accueille en revanche la plupart des grands noms américains et japonais, de Ford à Toyota. Les Français, bien qu’absents dans le domaine de la production, s’illustrent surtout en tant qu’équipementiers. Michelin est même omniprésent en Thaïlande, où prospère la culture de l’hévéa, « l’arbre à caoutchouc ».
Côté ressources, le pays possède aussi d’importantes réserves pétrolières et gazières, la septième plateforme de traitement pétrochimique la plus importante au monde étant d’ailleurs implantée à proximité de la ville de Rayong, dans le golfe de Thaïlande. Ce qui explique qu’un projet d’axe ferroviaire sino-thaï, qui relierait la région à la Chine, soit actuellement à l’étude.
Bangkok, ville tentaculaire, gagne du terrain tant vers la mer que vers les terres. Grues, chantiers, tours en construction en constituent aujourd’hui l’horizon. Son nouveau symbole, la tour MahaNakhon – surnommée tour Pixel en raison des blocs carrés qui semblent se détacher de ce long ruban architectural – a été inaugurée cet automne. Le groupe français Bouygues a largement contribué à la construction de cet édifice, aujourd’hui le plus haut – le plus luxueux aussi – de Thaïlande avec 314 mètres et 77 étages. Parallèlement, de nouveaux malls fleurissent chaque année sous l’entrain consumériste des nouvelles classes moyenne et supérieure. Récemment dévoilés, les centres commerciaux Siam Discovery et EMQuartier rivalisent avec des malls plus anciens, qui ont été reliftés en prévision de cette nouvelle concurrence. Les berges du fleuve Chao Praya profitent également de ce grand désir de renouveau. Un projet mixte public-privé est en train de voir le jour. On vend sur plan des condominiums de luxe dans d’immenses tours d’habitation d’un futurisme ostentatoire, on projette d’aménager des promenades le long de la rivière. Mais le joyau des rives du Chao Praya sera sans aucun doute le nouveau parlement, en cours de construction et qui devrait être achevé en 2019.
Bangkok bouge. Ses quartiers s’étendent et se transforment, malgré un plan d’aménagement du territoire parfois un peu anarchique. « La Thaïlande n’est plus considérée comme un pays en développement« , reprend Jean-François Goumy, directeur de Business France. Principal producteur agroalimentaire en Asie du Sud-Est, premier producteur mondial de manioc et deuxième de canne à sucre, le pays offre des ressources que l’on ne retrouve nulle part ailleurs, que ce soit en Malaisie ou à Singapour. Mais c’est surtout le secteur industriel (45 % du PIB) qui permet au pays de s’affirmer comme un des piliers de la communauté économique de l’ASEAN, le marché commun en train de se mettre en place entre les pays d’Asie du Sud-Est.
La Thaïlande n’est donc plus un pays émergent, mais bien plutôt un pays à mi-parcours. Et qui se met résolument à la page high-tech. « Aujourd’hui, la technologie devient cruciale en Thaïlande, et l’on remarque le développement de start-up aussi pointues qu’à Paris, Londres, New York ou San Francisco« , reprend Maël Guiheneuf. Le phénomène s’est développé avec une rapidité extravagante. En effet, les espaces de coworking étaient absents du paysage bangkokais jusqu’en 2012, année où a été lancé Hubba (voir interview d’Amarit Charoenphan). Depuis, le concept a fait florès. L’espace de coworking The Hive attire une population jeune et avide de lancer sa propre entreprise. « C’est un phénomène nouveau qui rallie de jeunes Thaïs très qualifiés et beaucoup d’étrangers pour qui la Thaïlande représente des opportunités qu’ils n’auraient pas pu trouver ailleurs« , conclut Maël Guiheneuf. Si le digital est encore en phase d’expansion, le e-commerce est déjà en passe d’exploser.
Seul frein : une situation politique incertaine renforcée par le décès du roi Bhumibol Adulyadej le 13 octobre dernier à l’âge de 88 ans, après 70 ans de règne, clôt un chapitre dans l’histoire de la Thaïlande. Adoré comme un demi-dieu, il faisait office de ciment d’un pays régulièrement agité par les coups d’État, le dernier en date remontant à mai 2014 avec le renversement de Yingluck Shinawatra, sœur de l’ex premier ministre Thaksin, ancien chef de l’opposition et en exil.
Le décès du monarque pourrait générer quelques incertitudes, même si la stabilité du pays semble bien assise. L’actuel premier ministre, le général Prayuth Chan-ocha, qui tient d’une main de fer le pays, veille à la transition vers une démocratie redéfinie très largement par les militaires. Le régime a fait adopter une nouvelle constitution par référendum en août dernier avec des élections prévues en décembre 2017, et ce, malgré un deuil national d’un an. Un régent a été nommé en attendant que le futur roi Rama X – le prince héritier Maha Vajiralongkorn – monte sur le trône. Moins populaire que son père, il bénéficie du soutien des militaires, ce qui permet de rassurer les milieux économiques. Car, malgré le chagrin de la population, c’est « business as usual » dans le pays, les entreprises n’ayant été astreintes qu’à un seul mois de deuil.
Au-delà de la question politique, l’enjeu actuel pour la Thaïlande est de passer à l’ère de l’innovation afin de proposer des produits à forte valeur ajoutée et d’éviter la concurrence des pays voisins comme le Vietnam, dont la main d’œuvre reste moins chère. Ainsi, le gouvernement met en œuvre de nouvelles stratégies favorisant les start-up. Le terrain est largement préparé puisque les Thaïs naviguent avec ardeur sur les réseaux sociaux et plus de la moitié d’entre eux possèdent un téléphone portable.
Pour aller plus loin, il faut maintenant des fonds. Ainsi, 570 millions de dollars viennent d’être débloqués par le gouvernement afin d’aider les 2 500 jeunes pousses déjà existantes à prendre leur envol et soutenir l’émergence de nouvelles. Uttama Savanayana, le ministre de la Communication, espère que, d’ici deux ans, le nombre des start-up s’élèvera à 10 000. La Thai Tech Start-up Association entend guider le gouvernement vers des réformes qui pourraient favoriser cet écosystème naissant… « Bangkok est ce qu’on appelle une ville chinoise« , confie Sukanya Uerchuchai, directrice de la chambre de commerce franco-thaïe. « Au début du communisme, une importante diaspora s’est installée ici et a développé des activités commerciales. Alors, nous avons le sens des affaires« , sourit-elle, parfaitement confiante en l’avenir de sa ville.
Avec : voyages-d-affaires