Industrieuse et créative, Milan est le showroom de l’élégance à l’Italienne. Aujourd’hui, la capitale lombarde cède très volontiers à la mode en réinventant ses vieux quartiers en pôles d’affaires et en nouveaux lieux ultra tendance.
De la dentelle et des chiffons : à l’extrême finesse de la façade du Duomo (1) répond la fraîcheur des collections de mode qui garnissent les devantures des magasins chics du “quadrilatère d’or” (2). Deux symboles d’une ville toujours dans le ton, et le bon, sachant passer les ans sans passer de mode.
Milan a la puissance racée, élégante, raffinée. On le pressent lorsqu’on avance sous la somptueuse verrière de la galerie Vittorio Emanuele – l’aorte de la ville – et qu’on atteint le Duomo et ses sublimes flèches dentelées. Et on en est tout à fait convaincu lorsqu’on arpente son “quadrilatère d’or” où se concentrent toutes les marques du luxe made in Italy telles Trussardi, Prada, Missoni ou Dolce & Gabbana. “Milan, c’est la vitrine du pays, son véritable centre de production, explique Frédéric Chailloux, chef des pôles mode, habitat, santé & communication pour Business France Italia. C’est un showroom permanent où le design et la mode sont des forces motrices.” Un actif sur dix travaille dans ces secteurs qui représentent à eux deux 23 000 entreprises pour un total global d’environ 280 000 sociétés. Le design et la mode génèrent d’ailleurs des revenus estimés à près de 20 milliards d’euros par an par la chambre de commerce de la ville.
En jouant de ses talents de négociatrice, lointain héritage du temps des Sforza, la capitale lombarde a su s’imposer avec une grâce autoritaire. Située stratégiquement entre le Nord et le Sud de l’Europe, aux confins de la France et des pays germaniques, la métropole a tiré parti de ses échanges internationaux pour devenir la cinquième aire urbaine du Vieux Continent – avec plus de 7,5 millions d’habitants – après Moscou, Londres, Paris et la région Rhin-Ruhr. Le Grand Milan assure ainsi près d’un tiers des échanges italiens et représente aujourd’hui 11 % du PIB national. En s’installant là plutôt qu’à Rome, la bourse d’Italie tout comme les nombreuses entreprises privées qui ont leur siège dans la ville lui ont conféré le statut de capitale économique et financière du pays. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la Lombardie soit l’un des “quatre moteurs pour l’Europe”, la région s’étant réunie avec le Bade-Wurtemberg, la Catalogne et Rhône-Alpes pour former un groupe de coopération très dynamique.
Est-ce donc un hasard si Milan est aussi devenu l’un des plus importants lieux de congrès en Europe ? Avec la célèbre Feria Milano, hallucinant espace d’expositions ouvert il y a tout juste dix ans et oeuvre de l’architecte Massimiliano Fuksas, la ville se positionne clairement “comme un véritable aimant pour les manifestations internationales”, remarque Frédéric Chailloux. Si Paris, en matière de mode, reste le centre de la haute couture, Milan est surtout celui du prêt-à-porter haut de gamme.” De ce fait, les acheteurs se pressent du monde entier lors des fashion weeks qui ont lieu chaque année au printemps et à l’automne. Ils profitent aussi de leur venue pour visiter l’un des nombreux salons dédiés à la création comme le Milano Moda Design pour le textile et le prêt-à-porter, le salon international de la chaussure ou encore celui de la maroquinerie, de la fourrure, du cuir et des accessoires. Les manifestations liées au design d’intérieur, comme Homi Milano ou le salon du meuble, attirent aussi les foules. “Milan compte 850 showrooms permanents, précise Anna Perrone, conseillère mode & accessoires pour Business France Italia. Mais leur organisation est souvent informelle, car familiale et indépendante, certainement parce que l’État s’immisce traditionnellement peu dans les affaires en Italie.”
Gentiment insoumise, la capitale lombarde cultive son esprit d’indépendance et voit se développer les événements “off ”, vecteurs moins officiels – mais tout aussi importants – de transactions internationales. Cela a débuté avec le Salone del Mobile, le salon du meuble qui se tient chaque année en avril depuis 1961. Au fl du temps, ce rendez-vous mondial du design et de l’architecture d’intérieur est devenu trop exigu. Aussi une version décalée de l’événement a commencé à s’emparer des friches industrielles de la Zona Tortona, quartier longtemps délaissé du sud de la ville et désormais très tendance.
Business au vert à Porta Nuova
Cet épicentre de la création indépendante s’intègre dans la mouvance très actuelle de renouveau des quartiers situés au-delà du fameux “quadrilatère d’or”. Dans le même esprit, le Progetto Porta Nuova a été lancé en 2009 sur un lieu encore désolé il n’y a pas si longtemps, non loin de la gare Porta Garibaldi et à courte distance du célèbre Corso Como. Construit dans le respect des normes écologiques, ce tout nouveau quartier d’affaires et d’habitations a gagné ses premières lettres de noblesse avec le prix International Highrise Award reçu en 2014 pour le “Bosco Verticale”, deux immeubles signés Stefano Boeri et conçus comme des forêts en altitude. Achevé l’an dernier, Porta Nuova allie bureaux et commerces, espaces d’expositions et d’événements, lieux de vie et de loisirs, et a très vite attiré l’attention du fonds souverain du Qatar, qui en est devenu partiellement propriétaire.
C’est dire combien le potentiel de Milan grandit, même au sortir d’une crise qui l’a beaucoup affectée. Car c’est sa force, mais aussi sa faiblesse : le poids de l’industrie dans l’économie milanaise la rend dépendante des pays vers lesquels elle exporte. C’est le cas de toute l’Italie, deuxième pays industriel européen après l’Allemagne, mais le phénomène prend encore plus d’ampleur à Milan où la part de l’industrie dans l’emploi est largement supérieure à la moyenne avec 36,2 % des actifs, contre 29,9 % pour l’ensemble du pays. Milan et sa province comptent pour secteurs phares le textile, la chaussure et le mobilier, mais aussi la mécanique, la chimie, la pharmacie, la métallurgie et l’agroalimentaire. Seules les nouvelles technologies font figure de grandes absentes…
Néanmoins, bien que l’attractivité lombarde ait chuté entre 2008 et 2012, les investissements directs de l’étranger dans la création de sociétés, dits “greenfield”, ont augmenté de 12 % en 2013, tandis qu’ils avaient diminué de 6 % dans le reste du pays. Deux raisons à cela, tout d’abord le lancement du service “Invest in Lombardy” pour stimuler la demande, mais aussi, du côté de l’offre, une vraie capacité à innover et à dépoussiérer des secteurs traditionnels. Là encore se profile l’une des caractéristiques milanaises : savoir rafraîchir ses vieux lauriers. Ainsi des quartiers délaissés retrouvent progressivement leur panache, la production de textile ou de cuir s’est peu à peu hissée vers des sommets de qualité et le secteur alimentaire joue désormais, lui aussi, la carte du renouveau. L’association Slow Food, fondée en 1986 pour contrer l’implantation de chaînes de restauration rapide comme Mac Donald’s, a peu à peu permis de faire redécouvrir des produits italiens rares ou en voie d’extinction, tout en soutenant de grands projets comme les “universités de sciences gastronomiques”.
Le mouvement a aussi favorisé l’éclosion des grands magasins Eataly, de véritables palais des saveurs pour papilles expertes. Soutenant les petits producteurs, ces magasins sont désormais présents à Milan, à Rome, à Turin, mais aussi à New York ou à Tokyo. “Slow Food a vraiment oeuvré pour la revalorisation du terroir italien, explique le jeune chef, Emanuele Pollini. Milan est une ville qui change à toute allure, qui aime expérimenter. Dans le domaine du bio et du “kilomètre 0”, c’est à dire des produits locaux, nous disposons de ressources extraordinaires. Avant de venir ici, je devais avoir mon propre potager. Maintenant, ce n’est vraiment plus la peine.”
L’effet Matteo Renzi
En effet, l’Italie est aujourd’hui le premier producteur européen de produits bio, mais également le premier consommateur. “Par ailleurs, les réglementations sont beaucoup plus strictes qu’en France, car les Italiens ont misé sur des produits de très haute qualité, par exemple l’huile d’olive du lac de Garde, produite en très petite quantité, mais irréprochable”, explique Chantal Pallin-Zinardi, directrice générale de la Chambre française de commerce et d’industrie en Italie à Milan. Pour elle, ce n’est qu’un des exemples caractéristiques du vent nouveau qui souffle désormais sur le pays. “Malgré la crise, l’Italie s’en sort de mieux en mieux, sans doute est-ce dû aussi à l’arrivée de Matteo Renzi, le jeune chef du gouvernement qui semble redonner un peu d’élan aux Italiens”, analyse-t-elle. “Et la perspective de l’Expo 2015, qui a permis l’accélération de projets d’infrastructures, à l’image de nouvelles lignes de métro, a bien sûr mis le pays et Milan dans la ligne de mire”, ajoute-t-elle.
Est-ce pour cela que les entreprises françaises sont toujours plus nombreuses à vouloir s’assurer une place chez leurs si proches voisins ? “Ce n’est certainement pas pour les avantages fiscaux ou les aides qu’offre l’Italie… mais plutôt parce que les entrepreneurs locaux sont imaginatifs et que les Français cherchent de bons partenaires”, souligne Chantal Pallin-Zinardi. Près de 600 entreprises françaises sont implantées dans l’agglomération milanaise. Récemment, les Galeries Lafayette ont annoncé qu’un magasin devrait ouvrir en 2018 dans le Westfeld Milan, le futur grand centre commercial d’Italie. Une façon logique, pour ce haut lieu du shopping, de se rapprocher de tous les créateurs que compte la capitale lombarde.