Le capital fantasmatique de New York monte en flèche à grand renfort de nouvelles constructions et de quartiers entièrement revitalisés, à l’image du projet immobilier Hudson Yards, nouveau point d’attache des grandes entreprises.
En quelques années, la skyline de Manhattan est devenue quasi méconnaissable, avançant une floraison de nouveaux buildings qui l’ont littéralement redessinée. La 432 Park Avenue, une tour carrée longiligne qui s’élève au-dessus de la mêlée, a surgi en 2015. Puis, en 2016, ce fut la 56 Leonard Street – la “Jenga Tower” conçue par Herzog & de Meuron –, puis en 2017 la Madison Square Tower. Bientôt ce sera la 111 Murray Street, à Tribeca, qui est en passe d’être achevée… La liste est longue, sans compter la vingtaine d’autres constructions en cours avec, en vedette, un étendard transparent signé Jean Nouvel à l’angle de la 53e rue et de la 6e avenue, qui dominera Central Park du haut de ses 320 mètres.
New York accélère sa politique de travaux pharaoniques en réhabilitant certains quartiers sous-exploités, en particulier à Manhattan. Il y eut tout d’abord la nécessaire revitalisation du Financial District, aux abords de l’ancien World Trade Center et de Wall Street, avec l’ouverture de boutiques, d’hôtels et de restaurants puis l’inauguration de la Freedom Tower en 2014. Ce qui, pendant des décennies, avait été un quartier uniquement destiné aux affaires est devenu peu à peu un vrai lieu de vie et de sorties. Et plus encore depuis 2016 et le dévoilement de l’Oculus, nouvelle gare du réseau urbain signée Santiago Calatrava et qui aura coûté quatre milliards de dollars.
Parallèlement à cette renaissance de la pointe sud de Manhattan se sont enchaînés les projets de réaménagement des berges de l’Hudson, offrant aux New-Yorkais un nouveau poumon vert, tandis que du côté de l’East River, aux alentours de South Street Seaport, des projets de centres commerciaux sont en cours d’élaboration.
Revers de la médaille, ces projets monumentaux qui transforment New York en une ville parfaitement débarbouillée, lisse et clinquante en même temps, incitent les loyers à monter en flèche, notamment ceux des baux commerciaux. De Downtown à Midtown, nombreuses sont les devantures aux rideaux baissés, les propriétaires ayant décidé, du jour au lendemain, de tripler le loyer du magasin. C’est ce qu’on appelle ici le “high rent blight”, le fléau des hauts loyers. Même dans les rues du East Village, autrefois épicentre de la bohème, les librairies indépendantes et les cafés déglingués sont remplacés par des Starbucks et autres enseignes mondialisées. New York perd ainsi de sa magie, de sa superbe rebelle. Bref, de tout ce qui la distinguait des autres villes du globe. “L’énergie de New York est devenue moins concentrée, regrette Noam J. Gasper, vidéaste à Long Island City. Les créatifs s’installent au gré des loyers abordables, et non de manière à se rassembler en communautés artistiques.”
Réaménagement colossal
Malgré tout, le charme de la supra ville continue d’opérer. Le tourisme bat des records avec 63 millions de visiteurs nationaux et internationaux, contre 33 millions en 1998. “New York est la ville la plus visitée de l’hémisphère nord, remarque Christian Gonzalez, directeur des recherches du Center for an Urban Future NYC. Désormais, le tourisme se place au rang des cinq plus grands secteurs économiques de New York.” Selon Caroline Winter, directrice de la communication à Business France New York, l’attractivité de la ville est intacte : “c’est la première ville où les entrepreneurs français s’installent quand ils viennent aux États-Unis”. D’autant que l’activité économique est toujours plus soutenue. Après le Financial District, c’est désormais de Midtown, l’autre grand quartier d’affaires, d’être sous le feu des projecteurs avec la rénovation de la célèbre Penn Station, la deuxième gare de New York endommagée par le passage de l’ouragan Sandy en 2012. Un projet de réaménagement colossal qui vise à la désengorger tout en lui redonnant tout son panache.
Tandis que cette réhabilitation est un partenariat public-privé, le projet des Hudson Yards s’affiche au contraire comme le plus grand développement immobilier 100 % privé de l’histoire des États-Unis. Dans la continuité géographique de la gare, il sera en partie construit sur une plateforme érigée au-dessus des voies de garage des trains. Dans un premier temps, six des seize tours prévues seront opérationnelles en 2019, la seconde phase devant s’achever en 2025. Plusieurs bâtiments emblématiques sont attendus, notamment The Vessel, conçu par l’artiste Thomas Heatherwick ; The Shed, consacré à l’art et imaginé par le cabinet Scofidio + Renfro ; ou encore un sublime bâtiment résidentiel, l’un des derniers dessinés par Zaha Hadid. “Au printemps 2018, la moitié de nos appartements (NDLR : l’équivalent d’un trois-pièces s’élève à 3,9 millions de dollars) étaient déjà vendus avant même d’être construits, se réjouit Jessica Scaperotti, VP communication du promoteur Related Companies. Il s’agira d’un quartier mixte avec des habitations, un shopping mall et le premier Equinox Hotel ; le tout entouré par 16 hectares d’espaces verts.”
Nouveau quartier d’affaires
Mais, surtout, Hudson Yards s’apprête à devenir le nouveau grand lieu d’affaires new-yorkais. L’Oreal, SAP, Boston Consulting Group ou Tapestry : toutes ces sociétés ont établi leur siège au 10 Hudson Yards, seule tour déjà en activité. D’autres grands noms devraient bientôt les rejoindre. Prévu pour 2019, le 30 Hudson Yards hébergera les géants des médias Time Warner, HBO, CNN ainsi que KKR et Wells Fargo côté finance, tandis que l’investisseur BlackRock a, lui, réservé sa place au 50 Hudson Yards, tour dessinée pour Norman Foster et attendue pour 2022. Voisin des Hudson Yards, le projet immobilier Manhattan West accueillera pour sa part des équipes de JP Morgan, d’Accenture et d’Amazon.
Concernant la firme de Jeff Bezos, la ville retient d’ailleurs son souffle. Comme Newark, NYC fait partie des 20 villes dans la short list d’Amazon pour accueillir son siège “numéro deux” après celui de Seattle. Quatre lieux ont été proposés par la municipalité : Midtown West avec les Hudson Yards et Manhattan West, le Financial District, Long Island et le “Brooklyn Tech Triangle”. Grande force de la candidature : 296 263 employés spécialisés dans la tech, contre 150 419 à San Francisco, et une excellence académique renforcée par l’ouverture fin 2017 de Cornell Tech, sur Roosevelt Island. Partenariat entre l’université Cornell et l’institut israélien Technion, ce campus devrait accueillir à terme 2 000 étudiants et des centaines de professeurs. “C’est un formidable catalyseur pour notre secteur technologique”, a déclaré le maire Bill de Blasio, qui entend faire de New York “le chef de file de l’économie du XXIe siècle”. Attirer un des GAFA serait un argument de poids pour renforcer l’aura high-tech de la ville dans sa lutte à distance avec la Silicon Valley. Car, si New York a vu naître des start-up à succès tels la fintech OnDeck, le site de ventes Etsy ou encore Tumblr, aucune n’a l’ampleur d’un Google ou d’un Facebook. Il y a bien IBM, mais sa création remonte à 1911…
Alors la ville multiplie les initiatives pour développer le secteur comme l’Union Square Tech Hub, à la fois centre de formation, incubateur et lieu de coworking, dont le projet vient d’être approuvé. Moins geek que la Californie, la scène technologique new-yorkaise est sans doute plus sérieuse et séduit tout autant les capitaux-investisseurs. “Elle commence à ressembler à l’économie traditionnelle de la ville, avec un glissement vers des entreprises qui font de l’argent au lieu de faire du bruit”, expliquait récemment Josh Kleyman, délégué commercial et coordonnateur de l’Accélérateur technologique canadien à New York, dans une interview publiée par Forbes.
Si Silicon Alley, aux abords de Flatiron et de la 23e rue, est depuis près de dix ans le rendez-vous des start-up spécialisées dans la pub et les médias – tels BuzzFeed ou Mashable – comme de la fintech proximité de Wall Street oblige, l’innovation déborde largement vers les autres boroughs : tech créative et urbaine à Brooklyn, foodtech et biotech dans le Queens, start-up à vocation sociale dans le Bronx. Une autre conséquence de la gentrification à marche forcée de Manhattan.
Avec : voyages-d-affaires.com