Passer d’une industrie traditionnelle à une industrie créative, réhabiliter d’anciennes usines ou autoroutes pour en faire des pôles d’innovation, naviguer vers une économie circulaire : autant de stratégies qui font la force de la capitale belge.
L’année 2019 marque clairement un cap pour Bruxelles : trente ans se sont écoulés depuis la création de la région Bruxelles-Capitale. Au cours de ces trois décennies, d’importantes évolutions se sont produites, à commencer par le développement des institutions européennes ; à poursuivre par le boom démographique des années 2000, les nombreuses réformes ayant contribué à attirer des talents ; suivi d’un bon coup de pouce à l’innovation et, plus récemment, par des mesures environnementales visant à rendre la ville encore plus agréable à vivre. “La construction de bâtiments passifs a été l’une des dernières priorités pour la région”, explique ainsi Arnaud Texier, conseiller stratégique à la direction générale de hub.brussels, l’agence bruxelloise pour l’accompagnement des entreprises.
Car, depuis 2015, les permis d’urbanisme se sont faits plus stricts, les critères énergétiques plus élevés, notamment en raison de la mise en place d’un cluster “ecobuild” aidant les entreprises de la construction à s’approprier les nouvelles réglementations environnementales. “On compte déjà 3,5 millions de m² de bâtiments passifs à Bruxelles, dont 400 000 m² à haute performance énergétique et environnementale”, poursuit Arnaud Texier. Si les “hautes performances” restent plus rares, c’est que la capitale belge ne possède que peu de parcelles vierges : la plupart des chantiers sont des démolitions, des reconstructions ou des rénovations. “Pourtant, 15 % des bâtiments certifiés BREEAM en Belgique sont situés à Bruxelles”, poursuit le conseiller en stratégie, soulignant que la construction constitue un atout pour une ville qui entend transiter vers une économie circulaire, en créant plus d’emplois locaux. Avec 20 300 travailleurs dans le secteur, l’un des objectifs de la démarche est de proposer avant tout des emplois aux Bruxellois, même les moins qualifiés.
Cependant, forte de la présence des institutions européennes et internationales, la population bruxelloise est principalement composée de talents. “Le niveau de qualification des Bruxellois est beaucoup plus élevé que celui des habitants d’autres régions de Belgique”, explique Pierre-François Michiels, expert “emploi et économie” à l’Institut bruxellois de statistiques et d’analyses. Si la population bruxelloise est plutôt jeune, avec un âge moyen situé autour de 40 ans, elle est aussi très qualifiée. Ainsi 46,6 % des habitants dans les tranches d’âge 24-64 ans possèdent-ils un diplôme universitaire, dès lors que la moyenne européenne se situe autour de 31 % seulement.
Arnaud Texier, hub.brussels
“Cela a eu pour conséquence une attractivité accrue de la ville, qui a bien sûr généré une économie de plus en plus centrée sur le secteur tertiaire qui représente actuellement 93 % des emplois et 91 % de la production de richesses, continue Pierre-François Michiels. Cela est dû aux administrations et aux nombreuses institutions – fédérales, bruxelloises, flamandes, européennes et internationales –, qui emploient environ 48 000 personnes, mais aussi aux assurances, à la finance, aux grandes entreprises, aux médias, à la technologie…”
Située stratégiquement au cœur de l’Europe, dotée d’une très bonne connexion avec les pays voisins, Bruxelles dépasse largement en termes d’impact économique les frontières de la région, circonscrite aux 19 communes de la capitale belge et couvrant une superficie d’à peine 161 km2. D’ailleurs, sur les 726 350 emplois qu’elle offre, seuls 51,1 % sont occupés par des Bruxellois ; les 48,9 % restants le sont par des “navetteurs” flamands ou wallons. “A l’inverse, près d’un cinquième des Bruxellois occupent des postes en dehors des limites de la région”, remarque Pierre- François Michiels.
“Sur les pavés de la place Sainte-Catherine, dansaient les hommes, les femmes en crinoline”. Pour Brel, il était déjà loin, ce temps où Bruxelles bruxellait. Alors, vu d’aujourd’hui… Cette place accueille désormais un musée d’art contemporain – la Centrale (3) – et la place de la Monnaie du street art (2), tandis que le quartier populaire des Marolles (4) s’est gentrifié. Une valse d’évolutions qui s’offre des détours du côté du canal (1).
Vers la créativité et l’innovation
Selon Didier Gosuin, ministre bruxellois de l’emploi depuis 2014, l’activité économique de la capitale belge repose essentiellement sur les petites et moyennes entreprises. C’est une économie de service, tournée vers l’international et sa fonction de capitale fédérale, mais également vers la créativité et l’innovation. “33 % des start-up belges sont basées à Bruxelles, de même que 25 % de celles qui investissent dans les nouvelles technologies et les technologies de pointe”, souligne le ministre. Atout majeur de Bruxelles, son tissu économique parfaitement en phase avec les grands pôles universitaires du territoire. La multiplicité des incubateurs, des pôles d’excellence et même des fab-lab renforce la tendance. En 2017, le poids de la valeur ajoutée du secteur des TIC bruxellois par rapport au reste du pays était de 31 %. Bruxelles concentre par ailleurs 20 % des entreprises technologiques belges et 30 % des emplois dans ce secteur, avec une part importante accordée aux fintech, aux insurtech, à l’internet des objets ainsi qu’à l’intelligence artificielle.
Cours de code
Ces dernières années, des écoles de codage informatique ont commencé à fleurir et à former des jeunes parfois déscolarisés, dont le taux chômage tourne autour des 23 %, aux métiers de développeurs, d’intégrateurs, de datartisans ou de e-commerçants. Be Code, MolenGeek Code, Le Wagon ou Be Central ne sont que quelques exemples de ces institutions qui participent à modeler la nouvelle économie bruxelloise. “Un pôle high-tech, Digitizer, est en cours de construction sur l’ancien site de Publicis. On réunira des communautés de start-up autour de quatre technologies : l’internet des objets, les blockchains, le big data et la réalité virtuelle qui s’épanouiront dans un beau bâtiment, précise le ministre. Bruxelles compte déjà environ 7 800 entreprises liées aux TIC.” Ces chiffres élevés ne sont pas seulement dus au boom des start-up. De grands opérateurs téléphoniques comme Proximus, Telenet ou Orange jouent le rôle des big players autour desquels se cristallisera le pôle Digityzer.
Forte de la présence des institutions européennes et internationales, la population bruxelloise est principalement composée de talents.
Bruxelles semble donc manœuvrer vaillamment sa reconversion. Combien de musées, de salles de spectacles, d’hôtels, de restaurants n’ont-ils pas déjà ouverts au sein d’anciennes usines réhabilitées ? Cette particularité, qui fait depuis longtemps déjà la personnalité de Bruxelles, témoigne de l’émergence des industries créatives. Sous cette impulsion, des espaces de coworking de nouvelle génération, à la déco pointue, ouvrent un peu partout, notamment dans des quartiers excentrés. C’est le cas de Fosbury & Sons, installé dans un ancien immeuble des années 70, un lieu très couru depuis son ouverture en 2018 et qui ouvrira deux nouvelles antennes à Bruxelles cette année. Succès aussi pour Silversquare Triomphe, également ouvert en 2018. Dans cet espace design et ultra coloré, le travail est inséparable d’une vision du monde à la fois éthique et bio.
“La mode, l’audiovisuel, les lifetech ou même la santé ont le vent en poupe. De nouveaux modèles entrepreneuriaux émergent également, plus tournés vers une économie circulaire”, reprend Didier Gosuin. En effet, Bruxelles-Capitale est la première région à avoir transposé les nouvelles directives européennes afin de développer l’entrepreneuriat social, s’appuyant de surcroît sur les critères EMAS, demandant des performances environnementales très élevées. Ainsi voit-on surgir des marchés bio, des coopératives de producteurs, des restaurants collectifs, des plates-formes en ligne et toutes sortes d’initiatives ayant pour but le “circuit court”, en matière alimentaire surtout.
Aujourd’hui, de nombreux Bruxellois consomment, peut-être même à leur insu, laitues, poireaux ou carottes ayant poussé sur les toits de leurs immeubles de bureaux ou de leurs écoles. “La plus grande ferme urbaine européenne a été créée dans la commune d’Anderlecht il y a bientôt un an, sur le toit d’un immense abattoir, afin de capter la chaleur animale et de favoriser la culture et la pisciculture”, décrit Didier Gosuin, en rappelant que de nombreuses stratégies ont été mises en place pour soutenir ce type de projets environnementaux et sociaux.
Si l’entrepreneuriat social, la digitalisation et le numérique jouent un rôle majeur dans cette nouvelle économie, les médias y trouvent aussi leur place. Le futur Mediapark, sur le site des studios des chaînes de télévision publiques VRT et RTBF – qui se verront bientôt relogées dans un bâtiment flambant neuf, sur le même périmètre –, aura pour objectif de rassembler les acteurs publics et privés du secteur, des écoles de formation aux métiers audiovisuels, des entreprises, mais aussi les start-up qui bénéficieront ainsi de la proximité avec leurs commanditaires.
A l’horizon 2021, ce quartier s’étendant sur vingt hectares, dont huit destinés à de nouveaux espaces publics, accueillera environ 5 000 employés du secteur des médias. Situé au bord d’une autoroute reconvertie en boulevard urbain, ce pôle d’excellence permettra de réinsuffler une qualité de vie à un quartier sabré par de lourdes infrastructures routières. Pour ce faire, 2 500 nouveaux logements seront destinés aux 6 000 futurs habitants qui auront accès à de nouveaux commerces, des services, mais également des espaces de loisirs.
Bruxelles concentre 20 % des entreprises technologiques belges, avec une part importante accordée aux fintech, aux insurtech et à l’internet des objets.
Autre dynamique importante, celle qui s’opère autour des acteurs de la lifetech. “Bruxelles fait partie des premières régions à mettre en place un réseau de santé qui adopte des standards internationaux, affirme le ministre bruxellois de l’emploi. La création de nouvelles applications mettant l’intelligence artificielle au service de la santé est tout à fait cruciale.” Il y a cinq ans, la région bruxelloise avait fait le choix de concentrer son soutien à l’entrepreneuriat sur ce secteur, en se tournant vers des entreprises développant des dispositifs médicaux et des solutions d’e-santé. En 2016, Bruxelles recensait déjà 134 start-up actives dans ce domaine. Aujourd’hui, la région compte de nombreuses entreprises d’e-santé comme LindaCare, Mobile My Day et moveUP, l’une des cinq premières applications mobiles belges à être remboursées et qui se destine à l’amélioration de la rééducation après une chirurgie orthopédique.
À l’occasion du départ du tour de France 2019, donné dans la capitale belge, une installation artistique de Xavier Mineur composée de vélos jaunes (2) dominait le Mont des Arts. Un lieu bordé par des bâtiments de la fin du XIXe, les uns rendant hommage à la Renaissance flamande ou représentant l’Art Nouveau naissant (1). Avec sa forme de cube tout en transparence, le centre de congrès Square s’inscrit au cœur du Mont des Arts, épicentre culturel de Bruxelles où se côtoient les œuvres de Magritte, Rubens et de Bruegel l’Ancien (3).
Santé high-tech
Selon Arnaud Texier, la healthtech, qui assure la convergence entre l’e-santé et les dispositifs médicaux, est un secteur promis à un très bel avenir, notamment grâce à la forte concentration de prestataires et d’institutions de soins, ainsi qu’à un important vivier de leaders d’opinion, premiers utilisateurs et validateurs de ces nouvelles solutions. Actuellement, l’industrie, les pouvoirs publics et les hôpitaux se rassemblent une fois par mois pour débattre de leurs initiatives en matière d’e-santé, prouvant ainsi l’importance accordée à ce secteur. Bien sûr, la healthtech étant encore très jeune à Bruxelles, sa part dans le PIB local reste encore limitée, et essentiellement constituée de micro-entreprises. Cependant, celles-ci se développent rapidement et leur taux de croissance devrait monter en puissance dans les prochaines années et générer de nombreux emplois.
Le futur Mediapark aura pour objectif de rassembler les acteurs publics et privés du secteur, des écoles de formation, mais aussi des start-up
On l’aura compris, le talon d’Achille de la capitale belge reste son taux de chômage élevé. Situé autour de 24 % il y a cinq ans, il est depuis passé à 16 %, c’est-à-dire encore beaucoup. Économie de services et d’innovation, Bruxelles se confronte à un paradoxe : l’importance des talents qu’elle attire engendre un manque d’emplois peu qualifiés. à la fois riche et dynamique, Bruxelles est en même temps une région pauvre. “Miser sur la jeunesse et sur l’éducation est notre défi de demain”, conclut Didier Gosuin.