En janvier dernier, nous publiions ici la lettre adressée par le ministre des Finances et le Wali de Bank Al Maghrib à la directrice générale du FMI l’occasion de la demande de renouvellement de la ligne de précaution et de liquidité (LPL).
Dans cette lettre datée du 30 novembre 2018, Mohamed Benchaâboun et Abdellatif Jouahri s’engageaient sur des objectifs en termes de politique budgétaire et sur le lancement de certaines réformes économiques et sociales présentées par le FMI comme des préalables au renouvellement pour 24 mois de cette ligne de crédit de précaution de 2,97 milliards de dollars.
Mêmes engagements, même discours
Les engagements de nos deux responsables publics répondaient à des exigences nationales bien connues, comme l’accélération de la croissance économique, la réforme de l’administration, de la justice, de l’éducation, la lutte contre la corruption… mais aussi aux fameuses “règles d’or” du FMI, comme le maintien du déficit budgétaire à 3%, la nécessité de ramener l’endettement public à 60% du PIB, l’externalisation de tout service public que peut assurer le privé…
Des engagements qui collaient à l’agenda néo-libéral du FMI et qui n’ont pas bougé d’un iota dans la nouvelle missive adressée par Benchaâboun et Jouahri à Christine Lagarde (jusqu’alors DG du FMI) le 28 mai 2019 à l’occasion du premier examen au titre de la LPL réalisé entre mars et avril 2019 par les équipes du FMI.
Une lettre que le FMI vient de publier dans son rapport sur le Maroc le 23 octobre, dont voici le texte intégral (en anglais):
On y lit les mêmes phrases, les mêmes promesses, les mêmes engagements. Le tout sur le même ton : celui d’un chef d’entreprise qui tente de rassurer son banquier.
Budget : l’Etat va continuer de se serrer la ceinture
Le ministre des Finances et le gouverneur de la banque centrale commencent d’abord par énumérer les réalisations de l’économie marocaine sur l’année 2018, affirmant d’entrée de jeu leur détermination à mettre en œuvre la politique économique et financière tracée dans la première lettre du 30 novembre 2018.
Une politique qu’ils présentent en plusieurs points et objectifs dont nous citons les plus emblématiques, notamment sur le plan budgétaire :
–Le déficit budgétaire hors privatisation sera maintenu à 3,7% du PIB en 2019 (3,3% si les privatisations sont inclus) et réduit à 3% du PIB d’ici 2021, assurant ainsi la convergence vers l’objectif de 60% pour le ratio dette publique / PIB à moyen terme.
Ceci passera, en gros, par l’élargissement de l’assiette fiscale et la réduction des dépenses de l’Etat.
Ici, le gouvernement se prive encore une fois d’une marge de manœuvre budgétaire pour créer des chocs budgétaires dans les secteurs sociaux. Dans l’éducation par exemple, un choc de 20 milliards de dirhams est nécessaire selon plusieurs experts pour améliorer de manière rapide et efficace la qualité des prestations publiques et regagner la confiance des citoyens.
Relancer la croissance passe également comme l’a rappelé plusieurs fois le Haut commissaire au Plan Ahmed Lahlimi par plus de dépenses publiques, notamment dans les secteurs productifs. Surtout que Benchaâboun et Jouahri disent vouloir porter la croissance à 5% à terme…
S’engager avec le FMI sur un objectif aussi serré, qui engagera également le prochain exécutif, est très contraignant en ces temps de disette. Et au moment où justement une commission royale est en train de plancher sur un nouveau modèle de développement dont les résultats pourront probablement (ou pas) être contradictoire avec cette politique tracée avec les cadres du FMI.
- Maintenir les dépenses du personnel, y compris les contributions sociales, à moins de 10,5% du PIB à moyen terme.
Les autorités financières disent ici vouloir prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre cet objectif, citant le vaste chantier de la réforme de l’administration publique, mais aussi “la mise en œuvre et la promotion de l’introduction progressive de l’emploi contractuel, pour lequel le un cadre juridique est déjà en place”, signalent-ils à la DG du FMI.
Privatisations : l’objectif du gouvernement réduit de moitié
-Désinvestissement progressif de l’Etat des secteurs et activités qui pourraient être gérés par le privé et recentrage des établissements publics sur leur cœur de métier par la cession des actifs non liés à leurs missions.
Ces privatisations devront rapporter à l’Etat l’équivalent de 2% du PIB sur la période 2019-2024.
Ici, Banchaâboun et Jouahri ont revu à la baisse leurs ambitions. Dans la lettre de novembre 2018, ils estimaient les futures recettes de privatisation à 4% du PIB sur la même période. Cet objectif a été divisé depuis par deux. Le gouvernement espérait récolter 40 milliards sur les cinq prochaines années. Il ne table aujourd’hui que sur 20 milliards.
–Le niveau des investissements publics sera maintenu. Nos responsables pointent ici l‘inefficacité de l’investissement public relevée par plusieurs rapports de la Banque Mondiale, du HCP, du CESE… et s’engagent sur le renforcement de son efficacité en sélectionnant notamment les projets sur la base de leur impact sur l’emploi, la réduction des disparités et l’amélioration des conditions de vie des citoyens.
Ils citent également la nouvelle politique consistant à mettre le privé à contribution via les PPP.
Agriculture : une réforme de “grande envergure” est annoncée
Outre ces objectifs d’ordre budgétaire, Benchaâboun et Jouahri réitèrent dans leur missive la volonté du gouvernent de mettre en place un système de ciblage des subventions, de généraliser la protection sociale (assurance-maladie et retraite), et s’engagent à réformer le système de l’éducation et de la formation professionnelle, à poursuivre les efforts dans la lutte contre la corruption, l’amélioration du climat des affaires et le financement des TPME.
La réforme des changes sera également poursuivie promettent-ils, un élargissement de la bande devant se faire “au moment opportun”.
Ils parlent également, et pour une première dans leurs échanges avec le FMI, d’une réforme de “grande envergure” qui se prépare dans le secteur de l’agriculture.
Une réforme qui vise à créer plus d’emploi dans le secteur, à promouvoir l’investissement privé en facilitant l’accès à la propriété foncière, et à favoriser l’émergence d’une classe moyenne agricole à même de donner une impulsion au développement rural.
Ils citent sur ce registre le million d’hectares de terres agricoles qui seront mis à disposition des petits agriculteurs, en particulier les jeunes, et du nouveau cadre législatif couvrant les terres collectives (Soulaliyates).
La lettre est conclue par l’engagement ferme des nos deux responsables à respecter les engagements économiques et financiers pris dans le cadre de la LPL.
“En continuant de renforcer le la résilience de l’économie, notamment en augmentant ses tampons budgétaires et extérieurs et en diversifiant encore son économie, le Maroc devrait être bien placé pour sortir de la LPL une fois que les risques exogènes à laquelle l’économie est exposée ont considérablement diminué”, affirment-ils.
avec : leboursier