Demain, 3 juillet, doit se tenir la réunion entre les responsables et acteurs privés de la filière cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana, afin de déterminer les détails de mise en œuvre du prix minimum garanti au planteur de $ 2 600 la tonne FOB à compter de la campagne 2020/21, comme cela a été annoncé la semaine du 10 juin (lire notre article : Les géants du cacao acceptent de payer $ 2600 les fèves de Côte d’Ivoire et du Ghana).
En vue de cette réunion demain, les responsables gouvernementaux et du Conseil du café-cacao (CCC) ivoiriens ont annoncé vouloir mettre un terme d’ici cinq ans à la production illégale de cacao dans les parcs nationaux et les réserves forestières. Objectifs : mieux contrôler la production et donner de la crédibilité à ce prix minimum FOB garanti de $ 2 600. Car dès l’annonce, mi-juin, de ce dernier, les entreprises du cacao et du chocolat avaient mis en garde contre le cycle infernal des matières premières : un prix élevé incite les producteurs à produire davantage ce qui, à son tour, fait chuter les cours. Et là, $ 2 600 feront mal aux finances ivoiriennes et à la filière…
Un risque social et politique limité
Alors, comment contenir ce risque inflationniste sur les volumes, tout en jouant une carte la plus consensuelle possible ? En livrant une véritable lutte, une lutte renforcée, contre ces cultures illégales en forêts et en réserves qui, selon les estimations du ministère ivoirien des Eaux et forêts, représenteraient pas moins du quart de la production annuelle ivoirienne de cacao.
“L’objectif est que tout le cacao qui pousse dans les réserves forestières et les parcs nationaux ne soient plus disponibles. Il sera détruit. Nous parlons de 300 000 à 500 000 tonnes chaque campagne”, a précisé un responsable du CCC à Reuters.
Calculette à la main, on passerait donc des 2,2 millions de tonnes (Mt) actuellement à 1,7-1,9 Mt, ce qui devrait avoir un impact haussier sur les cours mondiaux, tout en satisfaisant aux critères de durabilité, particulièrement environnementales, notamment dans le cadre du plan d’action forestière Flegt (Plan d’action pour l’application des règlementations forestières, gouvernance et échanges commerciaux) qui figure dans l’accord de partenariat volontaire (APV) signé entre l’Union européenne et la Côte d’Ivoire. Seules à s’insurger contre, les ONG militant pour les droits de l’homme face à ces mesures de déguerpissement. Quant à l’impact politique, avec en ligne de mire les élections présidentielles de 2020, il est quasiment neutre puisque ce sont essentiellement des non-Ivoiriens qui cultivent illégalement le cacao dans les forêts.
La Société de développement des forêts (Sodefor) de Côte d’Ivoire, société publique, estime qu’environ 1,3 million de personnes vivent illégalement dans les forêts ivoiriennes. Or, elle fait la corrélation suivante : entre 2000 et 2015, la production cacaoyère est passée de 1,175 Mt à 1,8 Mt, tandis que, parallèlement près de la moitié des forêts protégées du pays, soit quelque 740 000 ha, avait été détruits, rapporte encore Reuters.
Quoi de neuf ?
La lutte contre la cacaoculture dans ces domaines forestiers et ces réserves n’est pas nouvelle, tant du côté des autorités que des acteurs privés. En 2013 et en 2016, il y avait déjà eu deux campagnes d’éviction qui ont déplacé des dizaines de milliers de cacaoculteurs et leurs familles, soulevant un tollé chez les ONG militantes des droits de l’Homme (cf. Des producteurs clandestins de cacao expulsés des forêts classées de la Niegre).
Plus récemment, le 6 mars dernier, nous nous faisions l’écho des plans d’action gouvernementaux contre la déforestation annoncés par Abidjan et en décembre 2018 du plan anti-déforestation de Cargill en Côte d’Ivoire et au Ghana. Déjà en juillet 2016, des milliers de planteurs avaient été éconduits des forêts ivoiriennes par le gouvernement.
Une même préoccupation anime, bien entendu, le Ghana (lire, entre autres, Touton et le Ghana entendent concilier cacao et forêt). De tels exemples d’initiatives et de politiques sont nombreuses et remontent dans le temps.
Le nerf de la guerre
Mais ce qui est, sans doute, nouveau dans l’actuelle initiative -dont les détails seront dévoilés demain- est qu’on parle finance. Le calcul est simple : avec un prix minimum FOB à $ 2 600, la Côte d’Ivoire comme le Ghana doivent tout faire en leur pouvoir pour s’assurer que les cours mondiaux soient et demeurent élevés, en tous cas supérieurs à ces $ 2 600. En d’autres termes, il faut éviter que ce prix minimum garanti élevé ne provoque un bond de la production et donc, de facto, une dégringolade des cours mondiaux. L’offre doit donc être maîtrisée avec poigne. D’où la carte forêt.
Cette “poigne” s’illustrera par l’élaboration d’un cadre juridique qui devrait être soumis pour approbation au Parlement ivoirien sous peu, ont indiqué des responsables du CCC sous couvert d’anonymat. Les sanctions pour la culture illégale dans ses forêts et parcs pourraient aller jusqu’à l’emprisonnement.
avec : commodafrica