Alors que débutent de nouvelles négociations commerciales entre Washington et Pékin, les États-Unis ont refusé jeudi à l’opérateur China Mobile l’entrée sur leur marché, une décision qui montre une nouvelle fois l’importance stratégique des télécoms et de la technologie dans le bras de fer entre les deux puissances.
Cette mesure était attendue depuis que le patron du régulateur des télécoms (FCC), Ajit Pai, avait appelé en avril les autres membres de la commission à bloquer l’opérateur au motif que cela « soulèverait des risques substantiels et sérieux pour la sécurité nationale ».
Les inquiétudes des autorités américaines sont liées au fait que China Mobile est contrôlé, affirment-elles, par le gouvernement chinois, fait encore valoir la FCC. L’agence de régulation a consulté sur ce sujet « des agences fédérales ayant une expertise en matière de sécurité nationale » et reçu un avis négatif de la part du ministère du Commerce.
C’est d’ailleurs la première fois, souligne la Federal Communications Commission, qu’elle reçoit un tel avis négatif fondé sur des questions de sécurité nationale.
Mais ce n’est pas la première fois, en revanche, que Washington s’en prend à une grande entreprise chinoise dans le secteur des télécoms : les autorités ont exclu le géant Huawei du développement de la technologie de nouvelle génération de réseau mobile ultrarapide 5G aux États-Unis, précisément pour des raisons de « sécurité nationale », et tentent, depuis, de convaincre leurs alliés occidentaux d’en faire autant.
En outre, les États-Unis accusent le groupe d’avoir contourné les sanctions américaines contre l’Iran.
Si les firmes visées se défendent de tout soupçon d’espionnage au profit des autorités chinoises comme l’en accuse Washington, les lois chinoises obligent néanmoins les groupes dont le siège social est en Chine à apporter une aide technique aux services de renseignements.
En 2018, c’était un autre équipementier télécoms chinois, ZTE, qui s’était retrouvé dans le viseur des États-Unis et au milieu des tirs croisés des deux pays engagés dans un conflit commercial majeur. Les lourdes sanctions dont Washington avait menacé ZTE avaient d’ailleurs largement pollué les négociations commerciales.
À la croisée d’enjeux majeurs
Hasard du calendrier ou pas, la décision de bloquer China Mobile, dont la filiale américaine avait déposé une demande en 2011 pour fournir des services de télécommunications entre les États-Unis et certaines « destinations étrangères », intervient précisément au moment où débute à Washington un nouveau round de négociations commerciales à l’issue des plus incertaines.
La technologie, et les télécoms en particulier, en sont un élément très important, à la croisée d’enjeux géopolitiques et commerciaux majeurs, les deux pays étant en concurrence frontale dans ce secteur.
Le président américain Donald Trump a maintes fois accusé Pékin du vol du savoir-faire américain par le biais notamment de transferts de technologie forcés, et a fait de la protection des technologies et des droits d’auteur un élément central des négociations.
Cette question « pourrait être l’élément dont dépendrait (la conclusion ou pas d’)un accord », a estimé l’analyste Daniel Ives (Wedbush Securities) dans une note, confirmant que la tech est prise « dans les tirs croisés » des deux pays.
Pour lui, de « nouvelles taxes douanières restent le plus gros risque pour les actions boursières des entreprises technologiques dans les mois qui viennent », ajoute-t-il.
Pour pouvoir vendre leurs produits en Chine, les entreprises étrangères doivent en effet s’associer à des entités chinoises formant des « joint-ventures », qui sont souvent, dans ce pays, étatiques.
Pour compliquer encore la donne, les deux pays sont aussi largement interdépendants, à l’image par exemple d’Apple, dont une partie des iPhone est fabriquée en Chine, par ailleurs un de ses plus gros marchés. Et certains équipementiers chinois utilisent des composants électroniques américains comme les microprocesseurs, indispensables à la fabrication des téléphones intelligents.
La nouvelle session de tractations commerciales entre les deux pays, qui se tient à partir de jeudi 17H00 était présentée il y a quelques jours encore comme la dernière avant un sommet entre Donald Trump et son homologue chinois Xi Jinping, destiné à sceller un accord historique.
Mais affirmant que Pékin est revenu sur des engagements déjà négociés, Donald Trump a annoncé l’entrée en vigueur vendredi d’une hausse des droits de douane sur 200 milliards de dollars de produits chinois.
Il s’est aussi dit prêt à imposer des droits de douane additionnels sur toutes les importations de Chine (539,5 milliards de dollars en 2018), faisant craindre pour la croissance économique mondiale et la stabilité des marchés financiers.