Bien qu’elle demeure le continent qui garantit le mieux la liberté de la presse, l’Europe est de plus en plus confrontée à la haine des journalistes. L’ONG Reporters sans frontières (RSF) s’en alarme et publie, à l’approche des élections européennes de mai 2019, une feuille de route pour garantir une information libre et indépendante.
Meurtres ou tentatives d’assassinat, attaques physiques ou verbales, persécution judiciaire et cyberharcèlement… Les attaques contre la presse ne sont plus l’apanage des États autoritaires. Pour l’ONG Reporters sans frontières (RSF), les journalistes d’investigation européens font désormais face à de graves menaces.
Ces derniers mois, trois journalistes ont été assassinés à Malte, en Slovaquie et en Bulgarie, lanterne rouge européenne dans le classement mondial 2019 de RSF qui évalue chaque année la situation du journalisme dans 180 pays.
« Des États véreux couvrent les mafias »
Au Monténégro, classé au 104e rang, et pays candidat à l’adhésion à Union européenne, la journaliste spécialisée dans le crime et la corruption, Olivia Lakic, a été blessée en mai 2018 par balle devant son domicile. En décembre 2018, le serbe Milan Jovanovic a fui l’incendie de sa maison. En Italie, une vingtaine de journalistes vivent sous protection policière jour et nuit pour échapper à la mafia. Une escorte dont bénéficient également des journalistes dans les pays les mieux placés, comme aux Pays-Bas (4e). Selon Pauline Adès-Mével, responsable du bureau RSF pour l’Union européenne et les Balkans, « ce continent protégé jusqu’à il y a peu n’est plus serein. On demande des protections policières sans arrêt. »
Les réseaux criminels cherchent à bâillonner une presse qui dérange, ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est davantage, c’est la complicité des pouvoirs en place qui, à défaut de défendre les journalistes d’investigation, « les accablent ». À l’instar du polonais Tomasz Piatek, accusé de terrorisme par le parquet militaire, après avoir divulgué des liens entre le ministre de la défense et la mafia russe.
Les pouvoirs, toujours plus autoritaires, mettent sous pression des journalistes d’investigation entravés dans leur travail, alternant intimidations et poursuites judiciaires. Les affaires de corruption, d’évasion fiscale ou de détournement de fonds – notamment européens – sont particulièrement surveillées par des autorités prêtes à tout pour dissuader les journalistes d’enquêter. « Certains gouvernements des États véreux couvrent les mafias, s’inquiète Pauline Adès-Mével, les atteintes à l’intégrité physique qui se pointaient se sont concrétisées. »
Couverts d’insultes, les journalistes sont la cible d’une haine souvent relayée par les dirigeants politiques européens eux-mêmes. La rhétorique anti-media incite à des actes de violences physiques sur le terrain. En témoignent les dizaines d’agressions recensées en France à l’occasion des manifestations des « gilets jaunes ». Pour l’ONG Reporters sans frontière, « les propos des leaders qui décrédibilisent les médias sont préjudiciables. Ils galvanisent les foules qui se sentent autorisées à taper sur les journalistes ou les insulter via les réseaux sociaux. Ils leur donnent un blanc-seing. »
RSF interpelle le Parlement européen
Souhaitant placer la liberté de la presse au centre des préoccupations de l’Union européenne, Reporters sans frontière préconise la mise en place de 10 mécanismes. Au cœur de ces mesures, l’ONG réclame la création d’un poste de commissaire européen « exclusivement en charge de la liberté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information », doté entre autres d’un pouvoir de sanctions et capable d’examiner par pays le respect de la liberté de la presse, voire de commanditer une enquête publique dans les cas les plus graves de violation. RSF espère ainsi protéger les journalistes dans l’exercice de leur fonction et assurer aux citoyens européens une information fiable.
avec : wikistrike