L’épanouissement des salariés est un facteur clef de la réussite d’une entreprise. Pour autant seuls 15% des salariés français épanouis au travail considèrent que leur entreprise y est pour quelque chose, selon un baromètre réalisé par BVA pour BPI Group en février 2019. La relation établie avec son supérieur hiérarchique — notamment — est perfectible. Une autre étude, menée en 2015 par Cadre Emploi et le cabinet Michael Page, révèle par exemple “une légère discordance entre la manière dont le manager se voit et ce qu’il véhicule réellement auprès de ses équipes”.
Ainsi, si le manager s’estime responsabilisant, communiquant et motivant, il est principalement perçu par les salariés comme responsabilisant, directif et autoritaire. Un décalage qui s’accompagne parfois d’un manque d’écoute ressenti par les collaborateurs. “Même si 68 % d’entre eux peuvent exprimer facilement leurs avis avec leur N+1, 60 % ont aussi l’impression de ne pas être entendus”, écrivent les auteurs de l’étude.
Certes, chaque personnalité est différente, mais “en matière de leadership deux grands profils se distinguent”, explique Guillaume Mercier, enseignant chercheur en éthique d’entreprise à l’IESEG.
Deux profils de leaders
Au cours d’une conférence intitulée “Les monastères, source d’inspiration pour l’entreprise aujourd’hui”, organisée par l’association Vins d’Abbayes et EBS Paris-European Business School, et donnée le 27 mars dernier au Collège des Bernardins à Paris, Guillaume Mercier a détaillé ces deux profils :
- D’une part, le leader “héro” qui a un fonctionnement très vertical. Il surplombe les autres, fait parler sa puissance et dégage un fort charisme, comme Steve Jobs ou Carlos Ghosn, mais il peut aussi être pris de démesure et de narcissisme.
- D’autre part, le leader “post-héroïque” qui a un management horizontal. Il inclut ses collaborateurs dans ses décisions, délègue et partage ses pouvoirs. Il fait preuve d’humilité et a l’esprit de service.
“Ces deux visions du leader semblent contradictoires”, analyse Guillaume Mercier. “Dans les faits, elles se rencontrent peu. Or, lorsqu’on demande aux employés ce qu’ils préfèrent, ils aimeraient une combinaison des deux.”
Tout est donc dans l’équilibre entre le management vertical et le management horizontal. Un modèle de leadership que le chercheur n’hésite pas à comparer au leadership des abbés, patrons bienveillants de leur monastère.
L’exemple de l’abbé
“Le pouvoir de l’abbé (ou de l’évêque) est la première forme de gouvernementalité en Europe occidentale”, rappelle le chercheur qui a mené 43 entretiens dans 12 monastères pour aboutir à une espèce de “portrait-robot” d’un abbé.
L’abbé est élu par ses pairs qui, en quelque sorte, “l’adoptent” pour père. Il reste néanmoins frère en même temps et devient premier parmi ses égaux.
“Produit de la culture de son monastère, il a pour mission de prescrire la loi et d’enseigner la vérité par la parole et l’exemple, une vérité qu’il a reçu de cette communauté, nourri par les enseignements des abbés précédents. Sa sagesse vise à faire grandir ses frères, il est à leur service et il partage ses pouvoirs dans un esprit de responsabilisation de chacun.”
“Les autres frères ont un devoir d’obéissance envers lui comme il a lui-même obéi à ses frères en acceptant la charge d’abbé et il obéit aussi à la règle du monastère. La communauté fait son abbé comme l’abbé fait sa communauté”, résume Guillaume Mercier. “Son leadership est paternaliste, fondé sur la recherche du bien des autres, la volonté de responsabiliser, mettre en capacité, faire grandir, d’aider au discernement.”
Humilité et bienveillance
Pour l’enseignant chercheur, l’exemple des abbés devrait inspirer les chefs d’entreprise. Parmi les vertus à développer pour un leader : “humilité et décentrement, bienveillance (recherche du vrai bien de chacun), et sagesse pratique (art du discernement et équilibre).”
“Il faut aussi créer un espace pour que les collaborateurs puissent jouer leur rôle. Ils doivent être associés à la recherche commune du bien commun. L’entreprise est le lieu de préparation du futur leader qui émergera de parmi eux”.
Les consciences évoluent dans ce domaine et les managers apprennent à être plus à l’écoute. “Grâce, notamment, aux MBA (diplôme d’administration des affaires), les cadres ont été formés au management participatif et cette culture est progressivement redescendue vers la base”, a indiqué dans une interview au Parisien Gilles Teneau, docteur en sciences de gestion, et coauteur du livre “Toxic Handlers : les générateurs de bienveillance en entreprise” (chez Odile Jacob).
Il constate que le management bienveillant remplace peu à peu le “modèle de l’homo economicus, basé sur la rationalité, la performance, la hiérarchie verticale, le taylorisme…”
“Si on veut une entreprise performante, il faut y mettre du bien-être. Mais restons sur terre, on est encore loin du monde des Bisounours !” tempère-t-il encore dans le Parisien.
L’impulsion des actionnaires
Au delà des salariés et des managers, Guillaume Mercier souligne également l’importance des actionnaires qui participent à la finalité du rôle de l’entreprise. “Nous voyons de plus en plus des actionnaires activistes émerger. Certains, comme Aviva, n’hésitent pas à s’engager pour que l’entreprise ne soit pas uniquement une source de profit et ciblent leurs investissement pour leur donner du sens.”
“C’est une nouveauté, constate-t-il, les actionnaires aujourd’hui commencent à s’inscrire dans une logique différente et les entreprises sont de plus en plus vues comme un vecteur pour le bien commun.”
avec : businessinsider