Dans le cadre de sa stratégie de baisse du niveau de dépendance aux aides internationales des pays en voie de développement, le Royaume-Uni a promis de redoubler d’efforts dans sa lutte contre l’évasion fiscale en Afrique. D’après de nouvelles révélations, le Département du Développement international (« Department for International Development » ou DfID) prévoit une enveloppe de 47 millions de livres afin de renforcer les systèmes fiscaux et le cadre légal entourant la collecte des impôts dans les pays africains. Objectif affiché : renforcer l’indépendance économique de ces pays.
Mais il y a fort à parier que cette décision ne suffise pas à assainir les économies d’Afrique. La politique, le DfID, omet en effet un facteur crucial : de fait, la majorité de l’évasion fiscale africaine est rendue possible grâce à l’action de cabinets britanniques et européens, et non celle des fonctionnaires africains.
Il existe une multitude de moyens imaginés par des avocats et des entrepreneurs occidentaux pour contourner le droit international et légaliser la corruption. Les ports francs, ces entrepôts situés dans des zones franches défiscalisées souvent utilisées par l’élite internationale pour stocker des œuvres d’art, des bijoux ou des véhicules de luxe durant de longues périodes, en constituent l’une des illustrations les plus frappantes. Qui sait quels trésors africains sont en train de prendre la poussière dans ces hangars, que le Parlement européen lui-même a accusé de faciliter le terrorisme et l’évasion fiscale, et que l’ONG Public Eyes qualifie de «forteresses offshore au cœur de l’Europ» ?
Selon Jeune Afrique, ces zones «sans douane » voient «transiter l’or, les diamants et les œuvres d’art en provenance d’Afrique ».
Ne vous fiez pas aux airs de respectabilité que se donnent les ports francs. Ils servent, en effet, à dissimuler la corruption qu’ils abritent. En témoigne le cas d’Yves Bouvier, un vendeur d’art suisse à la réputation sulfureuse. Il est connu sous le surnom de « Roi de ports francs », du fait des centaines de millions de dollars qu’il aurait entreposés dans des hangars en Suisse, au Luxembourg et à Singapour. Ce dernier fait d’ailleurs l’objet d’une procédure judiciaire pour des faits de fraude et de blanchiment d’argent potentiels dans ses ports francs à Genève.
Malgré cela, Bouvier aurait réussi à s’acoquiner avec l’ancien dirigeant corrompu d’Angola, José Eduardo dos Santos. Des enquêtes de presse ont révélé qu’il aurait été au cœur d’un système de détournement de fonds publics au profit d’anciens agents des services secrets français, qui en retour auraient aidé l’élite du pays à se maintenir au pouvoir.
Il va de soi que le haut niveau de corruption systémique en Angola – il s’agissait d’un des pays les plus corrompus du contient jusqu’aux dernières élections – a aidé Bouvier dans ses méfaits. Mais il faut également reconnaitre que les services et acteurs occidentaux qui tirent profit de ces systèmes contribuent largement à empirer la situation.
A cela il faut ajouter l’impact du système bancaire parallèle, spécialité des banques britanniques, et largement soutenu par les paradis fiscaux britanniques situés dans les îles anglo-normandes. Pas moins de 80% des mille milliards de dollars qui ont été siphonnés en dehors d’Afrique au cours des dix dernières années ont ainsi transité par Londres. Les experts sont tombés des nues lorsqu’en 2017, un rapport publié par l’ONG Global Justice Now a révélé que 203 milliards de dollars étaient détournés d’Afrique tous les ans – soit 40 milliards de plus que la somme cumulée des aides, prêts et transferts de fonds perçus par le continent sur la même période.
Après les révélations des Panama Papers et des Paradise Papers, plus aucun doute n’est permis sur l’ampleur de l’évasion fiscale en Afrique, mais aussi sur le nombre infini de failles qu’il existe dans les systèmes financiers occidentaux pour cacher des gains douteux. Ni Appleby ni Mossack Fonseca n’auraient pu exister sans l’accord tacite de Londres : plus de la moitié des compagnies offshore des Panama Papers étaient enregistrées auprès de paradis fiscaux britanniques.
Le géant minier britanico-suisse Glencore avait ainsi fait appel à une filiale d’Appleby pour effectuer un prêt de 45 millions de dollars au magnat du diamant Dan Gertler. Ce dernier aurait ensuite utilisé cet argent pour verser des pots de vin au dirigeant de République démocratique du Congo Joseph Kabila, et obtenir des droits d’exploitations dans la région de Katanga – célèbre pour la richesse de ses sous-sols. Glencore s’est à terme vu attribuer une licence d’exploitation par l’Etat congolais.
Il ne fait aucun doute que l’initiative de lutte contre l’évasion fiscale britannique sera essentielle si les Etats en voie de développement d’Afrique veulent réduire leur dépendance à l’aide internationale et poser les bases d’une meilleure performance économique. Mais le Royaume-Uni et les autres pays européens devraient commencer par balayer devant leur porte : les ports francs, paradis fiscaux, outils financiers complexes et l’immoralité de certaines banques ont créé des conditions favorables à l’apparition de dirigeants et d’entreprises africains corrompus.
La Parlement européen a récemment souligné à quel point les ports francs étaient un instrument favorisant « le développement du blanchiment d’argent et de l’évasion fiscale ». Mais son initiative a été écartée par le Commission, qui a estimé qu’ils étaient « utiles afin de faciliter les opérations commerciales ». L’exécutif européen a ainsi ignoré les remarques que lui a adressé l’eurodéputée Ana Maria Gomes sur l’insuffisance des contrôles dans les ports francs. « Notre visite du port franc du Luxembourg a suscité de grandes inquiétudes », expliquait-elle à la BBC. « De tels structures permettent de stocker des bien à l’abri de tout contrôle, à l’ombre là où ils peuvent facilement échapper à l’impôt ».
De même, le Parlement britannique s’est engagé à ramener les territoires britanniques d’outre-mer sur le droit chemin et à créer des registres qui révèleraient les propriétaires des entreprises qui y sont créées. Mais ce projet, initialement prévu en 2020, à été repoussé à 2023.
Les gouvernements occidentaux doivent engager des réformes plus ambitieuses en renforçant les mécanismes de contrôle et en déracinant la corruption nationale. Cela rendrait la tâche plus difficile aux Yves Bouvier, Appleby, Mossack Fonseca et Dan Gertler du monde, ainsi qu’à tous ceux qui souhaitent s’enrichir par la fraude. Afin de lutter contre l’évasion fiscale mondiale, la meilleure chose à faire pour le Royaume-Uni et les autres pays occidentaux serait sans doute de faire le ménage dans leur propre basse-cour.
avec : financialafrik