L’Institut Montaigne, en France, vient de publier la note « Energie solaire en Afrique : Un avenir rayonnant ? ». L’Agence Ecofin s’est entretenu avec Antoine Huard, co-auteur de la note et président du Think Tank France Territoire Solaire. Il revient sur les principaux obstacles qu’il entrevoit au développement du solaire en Afrique subsaharienne.
Agence Ecofin : Qu’est-ce qui a motivé l’élaboration de cette note ?
Antoine Huard : Cette note est partie d’un paradoxe que tout le monde a constaté, mais que personne n’a encore pris le temps d’analyser. Ce paradoxe est que l’énergie solaire semble faite pour l’Afrique et à l’inverse on a l’impression que malgré tout, il n’y a pas de projets solaires qui se réalisent, ces projets semblent bloqués.
Antoine Huard : « L’énergie solaire semble faite pour l’Afrique.»
En effet, en Afrique, vous avez à la fois du soleil, mais aussi un besoin énergétique important et des réseaux électriques dimensionnés de manière à ne pas pouvoir recevoir la production de très grosses centrales du type nucléaire. A l’inverse vous avez des villages déconnectés et éloignés dans lesquels seul le solaire ou des groupes électrogènes peuvent amener de l’électricité. Donc l’énergie solaire est une sorte de solution miracle sur mesure pour l’Afrique, mais c’est comme si le continent n’était pas encore prêt pour le solaire.
« Donc l’énergie solaire est une sorte de solution miracle sur mesure pour l’Afrique, mais c’est comme si le continent n’était pas encore prêt pour le solaire. »
C’est sur la base de ce paradoxe que l’on a essayé, en se basant sur notre expérience solaire, en collaboration avec tout un groupe, de détecter les freins principaux au développement du solaire en Afrique.
AE : Le premier frein que vous évoquez est celui du financement, mais pas de la façon dont on le concevrait a priori. Pouvez-vous expliquer ?
AH : Le premier frein est en effet le financement. Cela ne veut pas dire que l’on manque d’argent. Il n’y a jamais eu autant de capitaux pour le solaire en Afrique, autant d’investisseurs désirant d’injecter des fonds dans les énergies propres dans les pays en voie de développement. Il n’y a jamais eu autant d’argent promis dans les sommets climat. Mais le financement reste le premier problème parce qu’il n’y a pas de projets capables d’accueillir des financements.
« Il n’y a jamais eu autant d’argent promis dans les sommets climat. Mais le financement reste le premier problème parce qu’il n’y a pas de projets capables d’accueillir des financements. »
Par exemple, vous avez des projets solaires déjà développés, disponibles, mais qui ne sont pas considérés comme bancables par les investisseurs parce que, par exemple, il manque un contrat ou une clause, le lieu de l’arbitrage n’est pas bien défini, les garanties ne sont pas bonnes, etc. Donc, en fait, le problème, c’est comment faire la jonction entre les capitaux disponibles et les projets.
AE : Et qu’est ce qui cause cette difficulté à faire se rencontrer les projets et les financements disponible ?
AH : Le cœur même du problème de financement, c’est la taille des projets. Vous n’avez aujourd’hui aucun problème pour financer de très gros projets comme des grands barrages électriques parce qu’il y a les outils de financement adaptés, par exemple l’assurance MIGA que la Banque mondiale met en jeu pour faciliter les financements des infrastructures. Ils sont certes très couteux à mobiliser, mais avec les projets de grande envergure, l’on peut amortir leur coût de mobilisation. Mais ces outils-là sont trop lourds et trop compliqués à mobiliser pour des petits projets et la majorité des projets solaires sont des projets de petite taille. C’est ce qui fait leur force, parce qu’on peut les installer dans des petits villages un peu partout, mais aussi leur faiblesse parce qu’ils sont trop petits pour pouvoir être financés par les capitaux existants. Les investisseurs nous disent : « On veut bien investir dans le solaire en Afrique, mais on ne s’implique que dans les projets de 50 millions € parce qu’en dessous c’est trop petit, trop compliqué ».
Les investisseurs nous disent : « On veut bien investir dans le solaire en Afrique, mais on ne s’implique que dans les projets de 50 millions € parce qu’en dessous c’est trop petit, trop compliqué ».
C’est ce concept du ticket minimum appliqué par les investisseurs qui fait que la plupart des projets solaires sont sous leurs radars. Or ce problème lié à la taille ne peut pas se régler en augmentant la taille des projets solaires. Cela n’aurait aucun sens, il faut les garder tels qu’ils sont. Leur force principale est d’être petits et donc de pouvoir s’insérer dans les réseaux électriques dimensionnés tels qu’ils sont, sans avoir à construire de nouveaux réseaux, ce qui impliquerait des investissements et une attente de 20 ou 30 ans pour la construction. Et puis la demande actuelle dans les zones rurales n’est pas suffisante pour justifier d’avoir de grandes centrales.
AE : Vous évoquez également une concurrence déloyale indirectement induite par les Etats et les partenaires au développement. A première vue, il n’y a pas de problème à l’injection de fonds publics dans le secteur énergétique. Pourquoi pensez-vous que ces actions freinent le développement du solaire sur le continent ?
AH : Le deuxième frein qui est très important et distinct du premier, est relatif à l’action des bailleurs et de l’aide au développement. Dans certains pays, il y a des centrales qui sont financées, non pas par le secteur privé désireux de construire une centrale et de vendre l’électricité aux populations, aux compagnies nationales d’électricité, mais par des banques de développement. Ces projets bénéficient de subventions qui leur permettent d’afficher un prix de l’électricité extrêmement bas. Si vous prenez par exemple le projet Scaling Solar au Sénégal, le prix de rachat de l’électricité était de 25 francs CFA par kilowattheure. C’est bien, mais le problème c’est qu’un tel prix n’est possible que grâce aux subventions sur le coût de raccordement, le foncier, la mobilisation du financement, les études en amonts, etc. Ces subventions permettent d’avoir un prix très bas que les opérateurs privés qui essaient de faire des projets au prix du marché n’arrivent pas à atteindre. Résultat, on se retrouve face à de la concurrence déloyale avec un faux signal prix qui distord le marché et cause la perte d’un grand nombre de projets privés. Il y a beaucoup de projets qui ont été annulés lorsque Scaling Solar a été annoncé. En effet, les Etats préfèrent, et c’est très légitime, attendre que Scaling Solar viennent faire chez eux des projets à un prix plus bas, plutôt que de s’appuyer sur un développement de projet avec un privé aux conditions du marché.
« En effet, les Etats préfèrent, et c’est très légitime, attendre que Scaling Solar viennent faire chez eux des projets à un prix plus bas, plutôt que de s’appuyer sur un développement de projet avec un privé aux conditions du marché.»
Parmi ces projets subventionnés vous avez deux catégories de projets. La première, c’est des projets comme Scaling Solar qui sont subventionnés, mais où les investissements sont faits par des acteurs privés. Je pense que c’est quand même un moindre mal parce qu’on permet au secteur privé de venir développer, investir des capitaux, etc. La deuxième sous-catégorie regroupe des projets entièrement financés par l’Etat comme le projet de Zatougli au Burkina Faso qui est entièrement financé par l’AFD et le fond européen de développement. Ils ont mis beaucoup d’argent sur la table, des millions d’euros, pour financer cette centrale alors qu’il y a plein d’acteurs privés, de fonds, de développeurs qui souhaiteraient investir dans le solaire en Afrique.
Quand on regarde la dizaine de centrales solaires qui a été faite au Sénégal par exemple, la majorité (6) d’entre elles a été faite par les fonds publics, ce qui montre bien qu’on n’a pas encore réussit lever ce frein.
Le problème est que l’on mobilise de l’argent public qui par définition est rare pour faire des projets solaires qui pourraient aujourd’hui être réalisés par des acteurs privés, à condition que cet argent public soit mobilisé pour faire levier sous cet investissement privé.
AE : Le troisième frein que vous évoqué est celui des marchés publics qui paradoxalement est perçu par l’opinion publique africaine comme le moyen le plus optimal de réalisation des projets public. Comment cela est-il devenu un frein ?
AH : Cette “obsession” pour les appels d’offres qui s’est emparé de l’ensemble des bailleurs et des Etats en ce qui concerne les énergies solaires et qui s’est vu dans beaucoup de pays est indéniablement un frein au développement de ce type d’énergie. Dès qu’un Etat veut construire une centrale solaire, il fait un appel. C’est un frein parce que l’appel d’offres en soi n’est pas adapté pour sélectionner et attribuer de petits projets sur des marchés non matures.
Si vous voulez faire un appel d’offres pour une centrale solaire de grande échelle dans un marché où il y a déjà eu beaucoup de centrales solaires, cela a du sens. Mais si vous voulez faire un appel d’offres pour une toute petite centrale de 20 MW dans un marché où il n’y a jamais eu de centrales solaires dans un pays comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun par exemple, ça ne marchera pas.
Si vous prenez tous les appels d’offres qu’il y a eu dans les pays de l’Afrique subsaharienne, il y en a eu quasiment aucun qui a débouché sur la réalisation concrète d’une centrale solaire.
« Si vous prenez tous les appels d’offres qu’il y a eu dans les pays de l’Afrique subsaharienne, il y en a eu quasiment aucun qui a débouché sur la réalisation concrète d’une centrale solaire. »
Ils ont tous échoués soit au cours de l’appel d’offres qui a été déclaré infructueux ou voire même n’aboutit jamais à des résultats, soit après la désignation d’un lauréat qui 5 à 6 ans après n’a toujours pas construit de centrale parce qu’il n’est pas en mesure de conduire le projet à terme.
AE : Quels sont les principales raisons de l’échec de ces appels d’offres pour des centrales solaires ?
AH : La première est la taille des projets solaires dans la région. Il y a des études indiscutables qui ont été faites par plusieurs d’instituts de recherche et qui démontrent qu’il y a un certain seuil de taille de projet en deçà duquel l’appel d’offres n’est plus la solution la moins coûteuse pour faire aboutir un projet. C’est-à-dire que oui, pour les très grands projets, c’est la solution qui permet d’avoir le prix le plus bas, mais en dessous d’une certaine taille de projet, cette option entraine un surcoût. Les projets solaires développés en Afrique subsaharienne sont généralement trop petits pour justifier les coûts de développement et les charges supportés dans les phases de préqualification, de qualification et de tout le lourd processus de la concurrence. Il y a aussi le fait que lorsque vous soumettez pour un appel d’offres vous avez des risques de perdre. Si vous répondez à dix appels et que vous n’en remportez qu’un, vous devez amortir le coût de développement des 9 projets où vous n’êtes pas lauréat, dans le seul marché que vous avez remporté. Et donc paradoxalement, l’électricité peut se retrouver plus chère, à la fin sur un appel d’offres que si on avait procédé autrement pour s’électionner l’entité.
« Si vous répondez à dix appels et que vous n’en remportez qu’un, vous devez amortir le coût de développement des 9 projets où vous n’êtes pas lauréat, dans le seul marché que vous avez remporté. »
Et le fait que ce soit un marché non mature conduit généralement à un échec de l’appel d’offres du fait de l’asymétrie d’informations entre les autorités qui instruisent l’appel d’offres et les acteurs du marché. La raison est bien simple. Si vous lancez un appel d’offres et que vous n’avez pas un marché assez mature pour disposer d’experts bien formés et de critères bien rodés pour la sélection, vous vous retrouvez à attribuer le projet au moins disant qui peut être quelqu’un qui n’est pas forcément très sérieux. Et donc vous avez malheureusement des tas de projets qui sont attribués à des personnes qui n’étaient pas très sérieuses mais qui étaient les moins disant et ne construisent jamais les centrales commandées.
AE : Quelles solutions pour le problème de financement ?
AH : Pour le premier goulot d’étranglement qui est le financement, il y a une solution très simple. Il faut promouvoir la standardisation des cadres règlementaires et des procédures, de manière à pouvoir mettre en agrégation plusieurs projets. Si les investisseurs ont du mal à financer les petits projets, un des moyens d’obtenir leurs fonds c’est de leur demander de financer 10, 15, voire 100 projets en un seul bloc qui constitue un grand projet.
« Si les investisseurs ont du mal à financer les petits projets, un des moyens d’obtenir leurs fonds c’est de leur demander de financer 10, 15, voire 100 projets en un seul bloc qui constitue un grand projet. »
Mais pour que ces 10, 15, 100 petits projets fassent un grand projet, il ne faut pas qu’ils aient tous signé des contrats différents, dans un cadre réglementaire différent à des conditions différentes. Il faudra que ce soit le même contrat. Ainsi, le financier fait l’audit et il finance les projets en une fois. C’est le seul moyen de résoudre ce problème de taille critique des centrales solaires par rapport aux attentes des investisseurs.
La deuxième alternative est de demander aux financiers d’injecter des fonds dans de petits projets en faisant moins attention aux risques parce que les pays fourniront des garanties supra qui sont extrêmement solides. Et ces deux solutions vont de pair. Vous ne pouvez pas mettre en place une garantie qui couvre tout un continent si vous n’avez pas le même cadre règlementaire. De même, vous ne pouvez pas demander au financier, même avec de solides garanties, de financer 100 projets en un seul s’ils sont soumis à des cadres réglementaires différents.
L’harmonisation des cadres règlementaires est une initiative qui existe déjà. Il y a l’Alliance solaire internationale qui la promeut déjà. Le Togo est très actif dans l’Alliance solaire. Ils sont même allés plus loin puisqu’ils ont signé l’accord de Lomé qui vise à faire un projet pilote de l’harmonisation des réglementations de 6 pays de la région.
« Le Togo est très actif dans l’Alliance solaire. Ils sont même allés plus loin puisqu’ils ont signé l’accord de Lomé qui vise à faire un projet pilote de l’harmonisation des réglementations de 6 pays de la région. »
Cette initiative est un premier pas dans le bon sens. Une fois la règlementation dans ces pays harmonisée, il ne tiendra qu’aux autres de s’agréger autour de cette initiative. On voit bien que les solutions existent, il faut juste aller plus vite. Il faut encourager les pays qui font ces démarches là et qui auront surement de très bons résultats dans leurs politiques de solutions solaires.
Il faudra également demander aux investisseurs d’assouplir un peu leurs conditions en ce qui concerne les projets solaires. Aujourd’hui ils exigent les mêmes règles, les mêmes critères aux centrales solaires que ceux qu’on exigerait par exemple pour un projet de barrage hydraulique immense. Que l’on exige des contraintes environnementales à des barrages de 1000 MW parce qu’ils vont inonder des zones et qu’il faut reconstruire des villages entiers, c’est normal. Mais quand on applique les mêmes contraintes à des centrales solaires qui sont plus petites et qui ne déplacent aucune population, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Donc il faut avoir selon moi une gradation des contraintes appliquées aux centrales solaires parce qu’aujourd’hui elles sont complètement disproportionnées par rapport aux projets.
AE : Quelles solutions propose la note au frein de l’action publique inadéquate ?
AH : Sur le deuxième frein qui est l’usage de l’argent public en concurrence à l’argent privé, il faut tout simplement utiliser ces fonds publics pour les initiatives qui ne sont pas finançables par les fonds privés. Je prends l’exemple des réseaux électriques. Vous trouverez difficilement un investisseur privé pour aller investir dans les réseaux électriques en Afrique ou même en Europe et partout dans le monde. Les réseaux électriques sont des choses faites par l’action publique parce que ce sont des investissements très lourds et de très long terme. Il faut que l’argent public finance ce type d’infrastructure parce que les réseaux sont indispensables. En revanche, il faut laisser les investisseurs privés financer ce qu’ils savent faire, c’est-à-dire les infrastructures de production électrique elles-mêmes.
Donc ce n’est pas qu’il ne faut pas faire appel aux fonds publics qui sont indispensables, mais c’est qu’il faut les utiliser pour investir là où les fonds privés ne peuvent ou ne veulent pas le faire et pour faire levier pour l’injection des fonds privés. Par exemple, si vous prenez 10 millions € de l’argent public vous pouvez faire une centrale de 10 MW si vous investissez directement. Mais si cet argent public est mis en garantie, pour garantir aux investisseurs privés, d’être payé en cas de défaillance de l’acheteur public, cet argent mis dans un fonds de garantie vous permet de faire 10 à 15 fois cette capacité grâce à cet effet de levier. Et vu que dans la plupart des cas l’électricité est bien payée et qu’il n’y a pas de défaut de paiement, les 10 millions mis en garantie ne sont même pas utilisés.
Vous avez de l’appétit, de la demande pour ce type d’investissement, à condition d’avoir des outils de garantie qui permettent de crédibiliser les acheteurs et de rassurer les investisseurs. Si l’argent public est mis en garantie, c’est exactement ce à quoi il pourrait servir.
Autre exemple de l’utilisation des fonds publics est son injection dans le renforcement des capacités. Cela implique la formation de l’expertise, de la main d’œuvre locale, la mise en place d’un cadre réglementaire facilitant les investissements des acteurs privés, bref, amélioration de l’environnement des affaires. Vous avez des pays comme le Ghana qui ont fait appel à l’argent public du Millenium Challenge pour leur renforcement de leur capacité. Cela donne de très bons résultats parce que maintenant, les textes de loi qui sont en place sont conformes aux standards internationaux et ils permettront aux investisseurs privés d’aller investir plus facilement à des coûts de capitaux bien moins élevés pour un coût d’électricité final plus compétitif pour le consommateur.
« Il y a un certain nombre de bailleurs qui arrêtent de financer des projets en subvention directe. Espérons que cette tendance soit suivie par d’autres et que l’on puisse laisser la place aux investisseurs privés qui ne demandent que ça. »
Et là je pense que cette tendance est progressivement en train d’être amorcée. Il y a un certain nombre de bailleurs qui arrêtent de financer des projets en subvention directe. Espérons que cette tendance soit suivie par d’autres et que l’on puisse laisser la place aux investisseurs privés qui ne demandent que ça, d’investir dans des projets solaires et qui le font à une bien plus grande échelle et de manière plus rapide que les fonds publics.
AE : Quid du problème du recours systématique aux appels d’offres ?
AH : La réponse devrait être d’arrêter de promouvoir une idéologie. L’appel d’offres, c’est l’idéologie de la concurrence, mais il ne conduit pas au résultat escompté et cela prive les populations de l’électricité et les maintient dans le dénuement. Nous proposons des alternatives dans la note, il ne s’agit pas seulement de rejeter les appels d’offres pour le principe.
Il y a une méthode qui a fait ses preuves et qui s’appelle le tarif d’achat, le feed-in-tarif. C’est elle qui a permis de lancer le solaire en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud et au Japon entre autres. Mais pour une raison qui m’échappe, on arrive pas à la mettre en œuvre en Afrique. C’est le gros tabou. Contre toute évidence les Etats s’acharnent à faire des appels d’offres alors que le feed-in-tarif permettrait de réaliser les projets plus rapidement et dans de meilleurs conditions.
« Il y a une méthode qui a fait ses preuves et qui s’appelle le tarif d’achat, le feed-in-tarif. C’est elle qui a permis de lancer le solaire en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud et au Japon entre autres. Mais pour une raison qui m’échappe, on arrive pas à la mettre en œuvre en Afrique. »
En gros, il s’agit de fixer un tarif auquel l’Etat est prêt à acheter la production des centrales solaires construites par les développeurs privés. Il convie ensuite les investisseurs privés à implanter des infrastructures solaires en garantissant l’achat de l’électricité produite par ces centrales. Après il sélectionne des entreprises à qui il attribue ce tarif. Un pays pourrait dire : « Je fixe mon tarif solaire à par exemple 60 francs CFA, chers investisseurs, venez développer un projet. Et tout investisseur qui aura développé un projet et rempli un certain nombre de critères, je lui attribuerai ce tarif et je paierai sa production à ce prix. ».
Evidemment de tels projets, pourraient se révéler plus chers que ce que l’on pourrait obtenir par appel d’offres. Mais la question est de savoir si l’on veut de l’énergie solaire le plus vite possible pour répondre à l’urgence du besoin, quitte à payer 4 ou 5 francs de plus par kilowattheure, ou si l’on veut se faire plaisir en affichant des prix très bas pour des projets qui ne sortiront jamais de terre. Voilà la vraie question à se poser et la réponse pour ma part ne doit être que dans la première option. De toute façon, le solaire est déjà compétitif si vous le comparez à des centrales thermiques, à diesel de petites dimensions qui produisent de l’électricité à 200 francs le kilowattheure. Et nous aujourd’hui, nous pouvons produire de l’électricité à partir du solaire à 50, 60 francs CFA le kilowattheure. Dans le cadre d’un appel d’offres, ce prix descendra peut-être à 48, 47, voire 45 francs CFA. Mais ce serait dangereux perdre 5, 6 ans pour 5 francs CFA alors que le solaire est déjà moins cher que les centrales thermiques.
Le feed-in-tarif est une solution qui présente beaucoup d’intérêts à condition que le prix soit fixé non pas de manière arbitraire, mais de façon raisonnable. Pas trop haut pour éviter l’effet spéculatif et pas trop bas pour continuer à susciter l’intérêt des investisseurs privés. Fixer ce prix-là aujourd’hui n’est pas très compliqué. Il y a des experts qui ne demandent qu’à expliquer le modèle, le mécanisme de fixation de ce prix de rachat viable. On connait les prix de référence. Nous savons qu’au Sénégal il y a des projets qui se sont faits à 65 francs le kilowattheure, il y a deux ans. On se dit qu’en fixant le prix autour de 55, 60 francs le kilowattheure, cela devrait passer dans beaucoup de pays. On sait le faire ce qui reste c’est le choix politique.
Après s’il y a des pays où la loi oblige à passer par les appels d’offres. Cela prend plus de temps de changer les lois que de faire avec ce que l’on a. Dans ces cas-là, s’il faut vraiment faire des appels d’offres et pas faire autrement, faisons les intelligemment. Evitons les pièges qui conduisent à des projets qui n’aboutissent pas, du fait de critères de sélection mal définis ou qui permettent de sélectionner des personnes peu sérieuses. Evitons des appels d’offres qui ne sanctionnent pas suffisamment le personnes qui remportent les marchés et ne construisent pas de centrales.
Cela veut dire prendre le temps de consulter les acteurs privés sur les règles des appels d’offres. C’est exactement ce que fait le Millenium Challenge sur le Bénin et ça marche car l’appel d’offres est optimisé. Il faut aussi de la transparence, c’est-à-dire éviter que l’appel d’offres finisse par l’envoi d’un courrier au seul lauréat tandis que les autres ne reçoivent rien et que l’on ne publie même pas la liste des participants et les prix qu’ils ont proposé.
Il faut également de l’expertise. Il y a en effet des candidats peu recommandables et peu scrupuleux qui racontent n’importe quoi dans les appels d’offres juste pour être sélectionnés. Il faut que les pays qui lancent des appels d’offres soient accompagnés par toute l’expertise possible, que ce soit sur les principes juridiques, l’expertise technique, l’expertise financière, pour être surs de ne pas se faire balader par des acteurs privés à cause de l’asymétrie de l’information. Il est important pour tout le monde que des deux parties prenantes soient à un même niveau d’information, d’expertise pour que cela se passe professionnellement. Les pays pourraient également en profiter pour faire ce transfert de compétences de manière à pouvoir poursuivre tranquillement leur industrialisation solaire.
Mais un pays qui n’a jamais fait de solaire, ne peut pas inventer, sauf à faire des erreurs qui vont être préjudiciables pour tout le monde. Il faut aussi avoir l’humilité de copier les gens qui ont réussi autour afin d’avoir les mêmes résultats chez soi.
Il y a une autre recommandation sur les appels d’offres. Il s’agit de ne pas forcément faire des décisions en s’appuyant sur le prix. Il y a malheureusement des gens qui proposent des prix très bas, mais également de la qualité très médiocre. Et on se retrouve avec des centrales inutilisables après 5 ans parce que la qualité était trop médiocre au départ. Donc il faut que les appels d’offres fassent un équilibre entre le prix qui est important certes, et la qualité de l’offres. Il vaut mieux sélectionner des personnes sérieuses qui ont des offres techniques fiables et qui vont faire des centrales solaires qui vont durer 30, 40 ans.
Un moyen de faire ça, c’est le type d’enchères appliqués au Royaume-Uni pour l’octroi de licences de téléphonie mobile. Le principe de ce type d’enchères est d’attribuer le marché non pas au candidat le moins disant, mais à la deuxième offre la plus basse. Cela permet d’éviter la spéculation et augmente les chances d’aboutir au prix le plus juste. Plus personne n’a intérêt à spéculer en donnant le prix le plus bas parce qu’il se dit qu’en faisant comme cela, il risque d’arriver numéro un et de ne pas être sélectionné. C’est un moyen assez intelligent mais politiquement plus difficile à assumer. En effet, il est politiquement plus facile de dire nous avons le prix le moins cher.
AE : Quel est le poids de cette note que vous avez publiée, ainsi que les retombées que vous en attendez ?
AH : L’institut Montaigne est un Think Tank. Il a pour but de mettre des propositions dans le débat public, mais finalement personne n’est obligé de les suivre. Il propose. Une fois qu’on a écrit cette note, nous en parlerons à tous les décideurs. Il s’agit t’interpeler les décisionnaires, les bailleurs, les Etats, de manière à les amener à questionner les mécanismes actuels. Si nous les amenons à faire ce retour sur eux-mêmes nous n’aurons pas fait tout ça en vain.
Et nous avons déjà réussi à susciter le débat. La note a été publiée il y a deux semaines et a suscité beaucoup d’intérêt. Il y a un certain nombre de décideurs, de conseillers à l’énergie qui nous ont posé beaucoup de questions. Plusieurs des principaux bailleurs et beaucoup de gens sont revenus vers nous pour demander que nous exposions plus en profondeur les différentes solutions proposées. C’est déjà très positif d’être parvenu à susciter cet intérêt.
Après est-ce-que cela sera concrètement suivi de fait ? Pourra-t-on concrètement dire après deux ans, voilà les projets réalisés qui ne l’auraient pas été s’il y avait pas eu la note ? Je ne sais pas si on ne pourra jamais le dire. Ce qu’on peut simplement espérer c’est d’avoir pu faire naitre un débat et une réflexion.
avec : agenceecofin