Retiré dans sa ferme de Dayoubsi, celui qui a dirigé le pays après la chute de Compaoré est un homme apaisé. Pour Jeune Afrique, il revient sur ces treize mois de transition à haut risque, avec le sentiment du devoir accompli.
Il y a un peu plus d’un an, le 16 septembre 2015, sa vie et l’histoire du Burkina basculaient sous les injonctions rageuses d’une poignée de soldats du régiment de sécurité présidentielle (RSP) venus l’arrêter en plein Conseil des ministres. Aujourd’hui retiré dans sa ferme de Dayoubsi, à une trentaine de kilomètres au sud de Ouagadougou, Michel Kafando est un homme apaisé et affable, empli du sentiment du devoir accompli : avoir réussi à organiser des élections, tournant définitivement la page du régime de Blaise Compaoré.
Profitant de sa vie champêtre, l’ancien président de transition continue de recevoir des personnalités burkinabè ou étrangères et se dit prêt à effectuer des missions comme celle qu’il a conduite pour l’OIF, dont il a été l’envoyé spécial pour les récentes élections au Niger et au Congo-Brazzaville. Cet ancien diplomate de carrière, longtemps ambassadeur du Burkina à l’ONU, réfléchit aussi à l’écriture de ses Mémoires. Libéré de ses fonctions de chef de l’État, il a confié à Jeune Afrique une part de sa vérité sur treize mois d’une transition à haut risque.
Jeune Afrique : quand vous dirigiez la transition, vous disiez n’aspirer qu’à une chose : retourner dans votre ferme. Vous y voilà. Êtes-vous soulagé ?
Michel Kafando : Oui. Je me suis retiré ici dès la fin de la transition. Depuis, je cultive mon jardin tranquillement, au sens littéral du terme.
Il y a un an, le régime de transition manquait d’être emporté par un coup d’État. Disposez-vous de nouveaux éléments permettant de faire la lumière sur le déroulement des événements du 16 septembre 2015 ?
Non, et je n’ai pas cherché à en avoir. Je me suis interdit de contacter qui que ce soit après l’ouverture de l’enquête par le tribunal militaire. Je n’ai vu aucun juge pour parler de cette affaire. Ce dossier est entre les mains de la justice, et je me dois d’attendre le jugement, comme tout le monde.
Aviez-vous compris que le régiment de sécurité présidentielle (RSP), qui était censé assurer votre sécurité, pouvait être une menace ?
La transition a connu trois crises graves avec le RSP. Il était très clair qu’il voulait à tout prix attenter à la continuité de la transition. Je n’ai donc pas été surpris par cette tentative de coup d’État.
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Pourquoi alors ne pas avoir dissous le RSP quand vous en aviez la possibilité ?
C’était bien beau de vouloir dissoudre le RSP, mais il faut se souvenir que c’était l’unité la mieux préparée et la mieux équipée du Burkina. Elle ne comptait peut-être que 1 500 hommes sur un total de 10 000 militaires, mais c’était eux qui avaient l’essentiel de l’armement. Il fallait disposer des moyens nécessaires pour les contenir. Dissoudre le RSP, c’était prendre des risques.
Les instigateurs de ce putsch étaient-ils quelques sous-officiers du RSP ou le général Gilbert Diendéré en personne ?
Je ne saurais vous le dire. Ce que je sais, c’est qu’une escouade du RSP a pris le Conseil des ministres en otage le 16 septembre 2015. Ils sont venus, ont braqué leurs armes sur nous, nous ont emmenés puis nous ont détenus. Nous avons su par la suite que le général Diendéré assumait la paternité de ce coup d’État. Même s’il n’en a pas été l’instigateur, le fait d’avoir assumé ce putsch en fait le principal auteur.
Pensiez-vous le général Diendéré capable de faire une chose pareille ?
Non. J’avais discuté en tête à tête avec lui, et j’étais convaincu qu’il ne se laisserait pas aller à ce genre de pratiques. Peut-être a-t‑il été instrumentalisé par l’armée, par des partis politiques ou par certaines personnes, puisqu’il ne faut pas oublier qu’il était un fidèle parmi les fidèles de Blaise Compaoré… Quoi qu’il en soit, à partir du moment où il a assumé la paternité du putsch, sa responsabilité était engagée.
J’avais la conviction que ce coup d’État échouerait
Selon vous, Blaise Compaoré était-il derrière cette tentative de putsch ?
Il faut des preuves matérielles pour le dire. Mais cela m’étonnerait qu’il n’ait pas été informé au préalable de ce qui allait se passer.
Avez-vous craint pour votre vie durant ces quelques jours ?
Non. J’avais la conviction que ce coup d’État échouerait. En revanche, j’ai eu peur pour les jeunes de ce pays quand j’ai vu l’ampleur de la résistance populaire face au RSP.
Yacouba Isaac Zida a affirmé, lorsqu’il était encore Premier ministre, que les écoutes téléphoniques accusant Djibrill Bassolé et Guillaume Soro de complicité avec les putschistes étaient authentiques. Partagez-vous cet avis ?
Je ne souhaite pas répondre à cette question. Le dossier est entre les mains de la justice militaire, et je ne veux pas m’immiscer.
Avec le recul, diriez-vous que vous avez fait des erreurs lorsque vous étiez au pouvoir ? Feriez-vous les choses différemment ?
Nous commettons tous des erreurs. J’en revendique un certain nombre.
Lesquelles ?
Nous n’avons pas réussi à faire comprendre à ceux qui étaient exclus des élections que l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 au Burkina commandait qu’ils se taisent un peu, qu’ils se mettent à l’écart et qu’ils reviennent plus tard. Je regrette aussi le fait que nos compatriotes de la diaspora n’aient pas tous compris pourquoi nous ne pouvions pas leur permettre de voter.
Fallait-il adopter cette loi d’exclusion électorale visant les pro-Compaoré ?
Le peuple a pris la rue pour imposer sa volonté face à Blaise Compaoré. Comment aurait-il pu accepter que des gens ayant soutenu la modification de la Constitution puissent encore prétendre jouer un rôle dans le renouveau démocratique burkinabè ? C’est pour cela que nous avons exclu ceux qui avaient à tout prix voulu modifier l’article 37.
Quels étaient vos rapports avec Yacouba Isaac Zida ?
Nous avions de bons rapports humains. Il le fallait : il avait, en tant que Premier ministre, son rôle à jouer, et moi le mien.
A-t-il lui aussi commis des erreurs dont vous vous seriez bien passé ?
Encore une fois, tout le monde commet des erreurs. J’aimerais reprendre une formule du président Thomas Sankara, qui disait qu’en trois cent soixante-cinq jours on pouvait commettre trois cent soixante-cinq erreurs. Il avait totalement raison. Nous sommes arrivés dans des circonstances extrêmement difficiles, mais nous avons essayé d’aller au bout de l’objectif qui nous était assigné : organiser des élections dans un délai de douze mois.
La rivalité entre Zida et le RSP a-t-elle envenimé la situation ?
Certainement. Ce conflit avec ses anciens collègues du RSP a été un sérieux handicap pour la transition.
Il est aujourd’hui soupçonné d’avoir détourné de l’argent public alors qu’il était chef du gouvernement de transition. Êtes-vous surpris par ces accusations ?
C’est la transition qui a demandé un audit de sa gestion. C’était une manière de dire à tous ceux qui viendraient au pouvoir à la faveur du renouveau démocratique qu’il fallait montrer patte blanche. Si l’audit a révélé que le Premier ministre ou d’autres responsables ont trempé dans la prévarication, ils répondront de leurs actes. Personne n’est au-dessus de la loi.
Il ne faut pas non plus oublier que le Burkina a connu deux transitions : une première, militaire, dirigée par Isaac Zida pendant trois semaines, et une seconde, civile, dont j’ai assumé la présidence à partir du 18 novembre 2014. Je ne peux pas répondre de la première. Et, durant la seconde, je ne pouvais pas toujours contrôler l’action du Premier ministre.
Êtes-vous toujours en contact avec lui depuis qu’il est parti au Canada, en janvier ?
Non.
Comment expliquez-vous qu’il refuse de revenir au Burkina ?
Lui seul sait pourquoi il s’obstine à ne pas rentrer.
L’Autorité supérieure de contrôle de l’État et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) a soulevé plusieurs anomalies budgétaires sous la transition. Les nouvelles autorités ont promis d’ouvrir une enquête judiciaire si nécessaire. Seriez-vous prêt à répondre à une convocation de la justice ?
Mais oui, pourquoi pas ? Je n’ai rien à me reprocher. Si la justice me le demandait, j’y répondrais volontiers. Comme je vous l’ai dit, c’est nous qui avons demandé cet audit pour des questions de transparence.
Vous estimez-vous en partie responsable des agissements de certains membres du gouvernement alors que vous étiez chef de l’exécutif ?
Je ne me dérobe pas. En tant que président de la transition, j’étais responsable d’un point de vue collectif. Mais s’il y a des faits avérés, ce sont les fautifs qui devront répondre de leurs actes.
Quel bilan tirez-vous des premiers mois au pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré ?
Ayant été président du Faso, je sais que la tâche est difficile, surtout face à une population qui a de très fortes attentes depuis l’insurrection. Je ne veux pas m’empresser de condamner ou d’affirmer, comme certains, que les choses vont trop lentement. Il faut laisser sa chance au nouveau pouvoir. Nous le jugerons dans cinq ans.
Quelles doivent être les priorités du président Kaboré ?
La question des jeunes est primordiale. Ils ont été nombreux à sortir dans la rue pour protester contre la modification de l’article 37, mais beaucoup y sont aussi allés parce qu’ils étaient frustrés de la façon dont l’ancien régime gérait leur avenir. La deuxième priorité devrait être de travailler à la réconciliation nationale. C’est un impératif catégorique.
Comprenez-vous que Blaise Compaoré soit protégé par Alassane Ouattara ?
Cela relève des sentiments humains. Nous nous sommes quelquefois expliqués sur le cas de Blaise Compaoré avec le président Alassane Ouattara lorsque j’étais président de la transition. Je lui ai toujours dit que nous n’étions pas contre le fait qu’il soit à Abidjan, mais que s’il entreprenait de déstabiliser le Burkina depuis la Côte d’Ivoire nous ne resterions pas les bras croisés. J’avais aussi essayé de lui faire comprendre qu’il fallait privilégier les relations hautement fraternelles entre nos deux pays plutôt que son amitié avec Blaise Compaoré.
Que répondait-il ?
Que Blaise Compaoré avait fait beaucoup pour lui et qu’il ne pouvait pas l’ignorer.
Quelles sont vos ambitions pour l’avenir ?
Je n’ai pas d’ambitions. Je ne suis d’aucun parti et j’ai toujours été un serviteur de l’État. Chaque fois que l’on fera appel à moi pour servir mon pays, je répondrai présent.
avec jeuneafrique