La Tribune Afrique : Quelles sont les principales problématiques numériques auxquelles devrait répondre le Togo ?
Cina Lawson : Nous devons répondre à trois problématiques majeures : le déploiement des infrastructures, les usages digitaux et enfin la souveraineté numérique.
L’État a contribué au développement des infrastructures, en s’appuyant sur les acteurs du secteur privé. L’opérateur historique togolais a mis à jour son backbone nord-sud et Moov fait aujourd’hui de même. Nous développons également la fibre optique et nous procédons à l’intensification du déploiement de la 4G.
En matière de développement des usages, concernant l’éducation en particulier, nous avons élaboré un Intranet, des laboratoires numériques et des cours associés dans les lycées techniques et scientifiques. Nous cherchons à recentrer les formations selon les besoins du marché de l’emploi togolais.
Parallèlement, la souveraineté numérique est aujourd’hui appuyée par un arsenal juridique et réglementaire qui permet une meilleure protection des citoyens, notamment grâce à l’adoption de la loi sur la protection des données à caractère personnel, la loi sur la cybersécurité, la mise en place d’un CERT (computer emergency response team, NDLR), d’un Security operating center (SOC) et d’une agence contre la cybercriminalité. Nous nous sommes appuyés sur la loi concernant les transactions électroniques qui vise à promouvoir le commerce électronique, tout en protégeant les internautes.
Pourquoi avoir décidé d’ouvrir le capital de l’opérateur historique, TogoCOM en octobre dernier?
Les opérateurs ont besoin d’investir davantage, c’est l’une des raisons pour lesquelles le gouvernement a décidé d’ouvrir le capital de l’opérateur historique, afin d’attirer un partenaire stratégique et de trouver le financement nécessaire au déploiement des infrastructures de télécommunications. Plusieurs parties du réseau doivent être mises à jour et Moov s’est déjà lancé dans de grands travaux d’infrastructures. Par ailleurs, la fibre optique se développe, GVA et Togo Telecom déploient de la FTTH [fiber to the Home ou fibre optique jusqu’au domicile, NDLR] qui contribue à l’amélioration de la qualité de services. C’est un enjeu capital avec l’arrivée de nouveaux fournisseurs d’application qui permettent de contourner les opérateurs.
Moov, filiale de Maroc Telecom, et Togocel, qui sont les deux principaux opérateurs de téléphonie mobile togolais, ont déployé la 4G en juillet dernier alors que les connexions 2G et 3G restent perfectibles…
La 4G recueille un certain succès puisqu’elle a généré 20.000 clients dès le premier mois… Les conditions d’attribution des licences ont fait l’objet de procédures strictes. L’accès Internet reste la problématique majeure. Deux nouveaux entrants sont récemment arrivés : GVA, groupe Vivendi Africa d’une part, qui déploie de la fibre optique, et la société Teolis d’autre part, qui déploie quant à elle de la 4G mobile.
Quelle est votre stratégie pour diminuer le prix des télécommunications au Togo ?
La concurrence favorisera une plus grande compétitivité des prix. Par ailleurs, les prix pratiqués au Togo s’alignent sur la moyenne du continent : ni plus ni moins, selon les différents benchmarks. La dynamique du marché concurrentielle a entraîné une baisse considérable des prix ces 5 dernières années. Par exemple, le prix de la connexion Internet des passé de 453 euros par mois en 2015 [ADSL 4 Mbp/s, NDLR] à 45 euros par mois en 2018 [FTTH 30 Mbp/s, NDLR].
Où en est actuellement le projet de numérisation de l’administration togolaise à travers le projet e-gouvernement ?
A ce jour, nous avons procédé au déploiement de la fibre optique pour connecter 560 bâtiments administratifs à Lomé, comprenant un tiers de lycées publics, mais aussi d’hôpitaux… Nous cherchions à installer du très haut débit filaire puis nous avons couplé cette initiative avec le projet d’écosystème digital qui est le portail de la République [togo.tg, NDLR] sur lequel nous avons réuni tous les sites Internet de l’administration. Nous avons également créé le site de l’open data, que nous sommes actuellement en train d’enrichir.
Comment progresse le paiement mobile au Togo ?
En trois ans seulement, le Togo a triplé le nombre d’utilisateurs de moyens de paiement électroniques, ce qui représente un véritable tournant dans l’inclusion financière. Les Togolais âgés de moins de 15 ans titulaires d’un compte en Afrique subsaharienne, sont passés de 23% en 2011 à 43% en 2017. Quant aux Togolais âgés de plus de 15 ans, ils ont progressé de 18% en 2014 à 45% en 2017.
Aujourd’hui, les citoyens ne disposant que d’un compte mobile money, représentent environ 12% de la population adulte intégrée dans le système financier.
Parallèlement, nous disposons d’ECO CCP qui est le premier compte épargne mobile rémunéré au sein de l’UEMOA. Déployé avec la poste togolaise, c’est à la fois un compte courant et un compte d’épargne gratuit [2% dès le premier franc, NDLR], sans aucune formalité grâce au téléphone portable. Il offre tous les services d’un compte bancaire traditionnel. L’inscription se réalise gratuitement par SMS. Une fois ouvert, ce compte ECO est automatiquement relié au porte-monnaie électronique du client et lui permet d’effectuer des virements vers son compte ECO [épargne, NDLR] ou tout autre compte tiers [épargne, règlement, virement, etc., NDLR]. Ce compte est accessible n’importe quand et n’importe où. Lancé le 15 mai 2018, plus de 80 000 comptes ont été ouverts en deux mois et notre objectif est d’atteindre 1 million de comptes d’ici 2020.
Dans quelle mesure le projet CIZO permettra-t-il d’accompagner le gouvernement dont l’ambition est de faire passer le taux d’électrification rurale de 7% aujourd’hui à 40% en 2022 ?
L’initiative présidentielle CIZO [«allumer», en éwé, NDLR] a été lancée sous forme de PPP, mise en œuvre conjointement par le ministère de l’Energie et le ministère de l’Economie numérique, pour favoriser l’accès du plus grand nombre à l’énergie. Il permet, à partir du téléphone portable, de payer par des paiements fractionnés à la consommation [Pay As You Go, NDLR], un kit solaire et les équipements associés.
CIZO comprend des projets phares sélectionnés par le plan Compact With Africa du G20, mis en place par la chancelière Angela Merkel.
Que recouvre le projet e-village et de quelle manière participe-t-il à une forme de décentralisation ?
Il existe 4 400 chefs de villages et de cantons au Togo et nous leur avons donné des téléphones portables avec des crédits mensuels. Ce système permet, à une périodicité déterminée, de les questionner sur un certain nombre de problématiques : éducation, santé, assainissement,… Cela nous permet d’avoir une base de données dont les informations proviennent directement des chefs de village qui représentent les autorités administratives locales. Ce projet s’inscrit effectivement dans une politique plus large de décentralisation.
En quoi consiste le dispositif Agri-PME mis en place par le ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche et le ministère des Postes et de l’économie numérique ?
Il permet de verser directement aux agriculteurs vulnérables via leur porte-monnaie électronique, les subventions de l’Etat pour l’achat d’engrais. Cette initiative vise à accompagner et à inclure les agriculteurs dans la vie économique.
Au Togo, 70% de la population active pratique l’agriculture qui représente 40% du produit intérieur brut. La mise en place d’AGRI-PME permet d’établir progressivement une base de données sur les agriculteurs. Qui sont-ils ? Quelle est leur surface d’exploitation ? Que cultivent-ils ?
Il ressort ainsi que 52% des agriculteurs sont des femmes. A ce jour, 180 000 agriculteurs sont recensés sur la plateforme avec l’objectif de doubler ce chiffre en 2019 pour atteindre les 4 millions d’agriculteurs togolais d’ici 2022.
Comment l’économie numérique accompagne-t-elle la création d’emplois ?
Nous avons invité des experts à mener une réflexion sur les métiers de demain au Togo. Nous nous sommes aperçus qu’il nous fallait former beaucoup plus de Togolais en matière de cybersécurité par exemple.
Beaucoup de nos jeunes sont autodidactes, ils ont appris seuls à développer leurs applications, l’école n’offrant pas toujours les formations adaptées… Nous voulons nous appuyer sur de nouveaux modèles d’accompagnement numérique à l’image de l’école 42 qui est ouverte aux jeunes français sans diplôme.
Notre responsabilité sectorielle est de nous assurer que les formations répondent à des besoins précis. Nous cherchons d’ailleurs à attirer des call centers, qui représentent de gros pourvoyeurs d’emplois et nous sommes actuellement engagés dans des discussions auprès de plusieurs entreprises.
avec : afrique.latribune