L’étau se resserre sur le nouveau président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, de plus en plus sous le contrôle de son prédécesseur Joseph Kabila, qui dispose de tous les atouts pour revenir au coeur du jeu politique.
Ces jours-ci, la vie politique congolaise a une apparence et une réalité. L’apparence: celle d’un président de la République issu de l’opposition qui prend des mesures fortes après son investiture le 24 janvier.
Deux opposants emprisonnés à l’époque du régime Kabila, Firmin Yangambi et Franck Diongo, sont ainsi sortis de prison vendredi et samedi en vertu d’une grâce présidentielle prononcée mercredi.
“Le combat doit continuer pour la libération du pays”, a lancé après sa libération le député d’opposition Franck Diongo, arrêté en décembre 2016 au plus fort des manifestations contre le prolongement du deuxième et dernier mandat de M. Kabila.
Mais la vie politique congolaise obéit aussi à la réalité des rapports de force et d’un accord passé entre MM. Tshisekedi et Kabila: l’actuel président est encerclé de toutes parts par la plate-forme du Front commun pour le Congo (FCC) de son prédécesseur.
Majoritaire à l’Assemblée nationale et dans les Assemblées provinciales, le FCC pro-Kabila a raflé 84 sièges sur 100 au Sénat vendredi lors des élections au suffrage indirect dans 24 des 26 provinces de la RDC (elles ont été reportées dans deux provinces).
La coalition Cap pour le Changement (Cash) de M. Tshisekedi n’obtient que trois sièges, d’après le calcul de journalistes congolais à partir des résultats de la Commission électorale.
Dès vendredi soir, le FCC s’est félicité d’avoir obtenu “une très large majorité de plus des deux-tiers au Sénat”, une “victoire éclatante” qui “confirme sa prépondérance en tant que première force politique en RDC”.
Cette vaste majorité parlementaire permet aux amis de M. Kabila de faire de nouveau main basse sur les prochaines élections au suffrage indirect des gouverneurs et vice-gouverneurs à la tête des 26 provinces fin mars.
Les pro-Kabila semblent évidemment en mesure de peser lourdement sur la désignation du futur Premier ministre et du gouvernement de M. Tshisekedi.
A plus long terme, leur majorité parlementaire absolue leur permet le cas échéant de lancer une révision de la Constitution ou des procédures contre l’actuel chef de l’Etat.
- UDPS fracturé –
M. Kabila est lui-même sénateur à vie, en raison de son statut d’ancien chef de l’Etat.
Au passage, la victoire du FCC au Sénat a fracturé la machine de guerre de M. Tshisekedi, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti historique d’opposition fondé par son père Etienne.
En deux petits mois, les “combattants” de la base de l’UDPS sont passés de l’euphorie de la victoire à la colère à l’annonce vendredi soir des résultats désastreux des sénatoriales.
Les militants UDPS ne comprennent pas comment leur parti n’a même pas pu faire élire un seul sénateur dans ses fiefs de Kinshasa et du Kasaï oriental, où le parti dispose pourtant de députés provinciaux, les “grands électeurs” qui votaient pour désigner les sénateurs.
Au moins un policier a été tué au Kasaï oriental à Mbuji-Mayi où des militants UDPS “ont mené des expéditions punitives dans les résidences de certains députés provinciaux”, accuse sur son compte Twitter le gouverneur Alphonse Ngoy Kasanji, élu sénateur sous l’étiquette pro-Kabila FCC. Le policier était détaché à la surveillance de la résidence d’une députée provinciale FCC.
Les “combattants” de l’UDPS ont également manifesté vendredi soir et samedi à Kinshasa où leur parti n’a obtenu aucun sénateur malgré ses douze députés au sein de l’assemblée provinciale.
Ils ont interdit à leurs élus provinciaux de mettre les pieds au siège du parti, en les accusant d’avoir trahi et cédé à la corruption en donnant leur voix aux plus offrants.
Ils ont manifesté devant le quartier général de l’UDPS et saccagé une antenne locale du PPRD, le parti de l’ex-président Kabila. La police a même tiré des gaz lacrymogène contre la “base” de l’UDPS.
Ce panorama de la vie politique congolaise n’étonne pas l’autre candidat de l’opposition Martin Fayulu, qui manifestait samedi à Paris avec la diaspora pour la “vérité des urnes”.
M. Fayulu affirme qu’il a remporté l’élection présidentielle du 30 décembre et qu’il a été victime de l’accord entre MM. Kabila et Tshisekedi.
“M. Tshisekedi n’est qu’une marionnette”, a déclaré M. Fayulu à l’AFP.
“Il était avide du pouvoir. Il s’est fait prendre au piège”, a-t-il ajouté. “M. Kabila va tout avoir. Il s’est joué de tout le monde”.