Lorsqu’un utilisateur mécontent de YouTube a ouvert le feu avec un pistolet semi-automatique au siège social de la société en Californie, en avril 2018, blessant trois personnes, les coups ont retenti à travers la Silicon Valley. Et Facebook, dont le siège se trouve à seulement 30 minutes en voiture, à Menlo Park, a redoublé d’efforts pour assurer la sécurité de ses employés. Des officiers en civil surveillent secrètement les halls des bâtiments, équipés d’armes dissimulées. Beaucoup de salariés de l’entreprise ne savent même pas que des hommes armés arpentent les couloirs de l’entreprise.
Mark Zuckerberg, la patron de la société, aurait consacré environ un million de dollars pour renforcer le parc de véhicules dédié à son service de sécurité, avec plus de 30 nouveaux SUV hybrides Toyota RAV4.
Facebook dispose ainsi d’une véritable petite armée. Les principes fondateurs et le non-conformisme de la Silicon Valley ont façonné la région, où bureaux et campus de type universitaire sont très ouverts sur l’extérieur. Mais derrière ce visage idyllique se cache une réalité beaucoup plus dure. Des entreprises comme Facebook ou YouTube, ainsi que les grands dirigeants de la tech, sont devenus des objets de fascination publique. Une fascination qui s’accompagne parfois de déceptions et entraîne des réactions hostiles, pouvant se traduire par des actes violents.
Résultat, les sociétés de la Silicon Valley s’adaptent et se préparent au pire. Pour les actionnaires, cela signifie des coûts de sécurité de plus en plus importants, qui se comptent généralement en dizaines de millions de dollars. Facebook dispose ainsi d’effectifs fantômes atteignant 6000 personnes, afin de protéger discrètement ses dizaines de milliers d’employés dans le monde.
Les défis auxquels le géant de la tech est confronté sont nombreux. Cela va des harceleurs aux vols de prototypes, en passant par les risques de voitures piégées, la violence des gangs et les affaires d’espionnage parrainées par les États.
Business Insider s’est entretenu avec des employés actuels et anciens de l’organisation de sécurité de Facebook. Le site américain a également obtenu des documents internes à l’entreprise et consulté des informations accessibles au public sur la manière dont l’entreprise gère sa sécurité. Ces sources décrivent les défis logistiques importants liés à la protection quotidienne de dizaines de milliers d’employés et de contractuels, ainsi qu’une tension sous-jacente entre les idéaux sur la liberté des ingénieurs et les réalités de la protection d’une multinationale.
Parmi les problèmes traités par l’équipe de sécurité de Facebook figurent des problèmes simples, comme ceux que l’on rencontre dans toutes les grandes entreprises, comme de petits vols, des accidents de voiture et des urgences médicales. Mais l’influence sans précédent de Facebook sur la société civile et la vie quotidienne de milliards de personnes à travers le monde fait que la société est confronté à des problèmes de sécurité singuliers.
Seules 2 personnes bénéficient d’une protection 24 heures sur 24
Des milliers de personnes affluent dans les bureaux de Facebook, pour simplement jeter un coup d’oeil, ou bien exprimer leurs arguments et leurs griefs aux dirigeants de l’entreprise. L’un des plus importants défis est notamment d’assurer la protection de Mark Zuckerberg. D’autant que le fondateur de Facebook, au début des années 2010, ne tenait pas toujours au courant les agents de sécurité de ses projets et déplacements.
“Il avait autour de 25 ans (…) il développait une plateforme qu’il croyait vraiment bonne … à l’époque, il ne comprenait pas le principe selon lequel il y avait des gens qui pouvaient le détester à l’extérieur”, a expliqué une source à Business Insider. Mais aujourd’hui, il se serait fait une raison. Son mode de vie étroitement surveillé ressemble beaucoup plus à celui d’un chef d’État que d’un ingénieur de 34 ans, avec des pratiques strictes de sécurité, qui reflètent la sécurisation croissante de Facebook au fil des ans.
Par exemple, si Mark Zuckerberg se rend dans un bar, ses agents effectueront un balayage auparavant pour s’assurer que le lieu est sûr. Ils examineront aussi tous les nouveaux médecins et ouvriront les colis et cadeaux que Zuckerberg peut recevoir à son domicile. Le bureau du PDG de Facebook se trouve dans un open-space, mais des agents restent près de lui pendant qu’il travaille, en cas de menace.
Au total, l’équipe de protection des cadres de Facebook, dirigée par l’ancien agent spécial des services secrets américains Jill Leavens Jones, compte désormais plus de 70 personnes. En juillet dernier, le conseil d’administration de l’entreprise a approuvé une allocation de sécurité de 10 millions de dollars rien que pour Mark Zuckerberg et sa famille pour l’année.
Mark Zuckerberg reçoit de nombreuses menaces de mort chaque semaine et l’équipe de sécurité surveille activement les réseaux sociaux à la recherche de mentions de lui et de sa directrice des opérations, Sheryl Sandberg. Mark Zuckerberg et Sheryl Sandberg sont les deux seuls administrateurs de Facebook à bénéficier d’une protection 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, bien que d’autres puissent l’obtenir pour des occasions spécifiques comme les voyages.
Aujourd’hui, Facebook compte 40 000 employés à temps plein, mais son effectif total est beaucoup plus élevé. Plus de 80 000 personnes dans le monde, y compris des sous-traitants et des travailleurs occasionnels, sont placées sous la protection de l’équipe de sécurité mondiale, dans plus de 160 installations (bureaux d’ingénierie, data centers, centres de modération de contenus…), dans plus de 100 pays.
Chiens renifleurs et ex-agent de la CIA
Sur les 6000 personnes qui travaillent pour la sécurité du groupe, 500 sont employés à temps plein et plus de 1000 agents se trouvent dans les seuls bureaux de la région de la baie de San Francisco, patrouillant à pied, en voiture, à vélo, ou encore avec des chiens renifleurs. En comparaison, Snap, la société mère de Snapchat, compte “que” 3000 salariés, et Twitter un peu moins de 4000.
Facebook participe au financement d’un commissariat du département de police de Menlo Park, situé près de ses bureaux, et collabore étroitement avec les forces de l’ordre et les services d’urgence locaux.
Le système de sécurité de Facebook est très organisé. Il consomme et accumule de vastes flux d’informations, saisis sur le dark web, via les reportages des médias ou encore les publications des utilisateurs sur Facebook. Comme un service de renseignement, c’est une organisation qui tente d’identifier les risques et les menaces et de les résoudre en amont.
Le géant de la tech est connu pour avoir mis l’accent sur la rapidité et l’initiative. Si quelque chose ne fonctionnait pas, cela pouvait toujours être corrigé plus tard. Pour développer des applications, cette approche peut fonctionner. Mais ce n’est pas celle utilisée dans l’univers rigide de la sécurité. “Je sais que la culture de Facebook est ‘nous sommes tous amis et il n’y a pas de friction’. En réalité, la sécurité nécessite parfois des frictions”, a déclaré une source à Business Insider.
Nick Lovrien, ancien officier du contre-espionnage à la CIA qui a notamment effectué des missions au Moyen-Orient et en Irak, est le responsable de la sécurité mondiale de Facebook. S’il a reconnu que Facebook était comme ça auparavant, il assure que les choses ont depuis évolué. “C’est une affirmation correcte sur Facebook il y a six ans, lorsque j’ai commencé à travailler”, a-t-il déclaré. “Au cours des six dernières années, nous nous sommes vraiment attachés (…) à introduire de nouveaux systèmes de sécurité.”
140 000 invités par an à surveiller
Un autre défi clé pour Facebook est de gérer les invités et de refouler les personnes qui ne sont pas censées se trouver dans les locaux de l’entreprise. Le nombre de personnes qui franchissent les portes de Facebook est stupéfiant. En juin 2018, par exemple, l’entreprise comptait 140 000 invités dans le monde, sans compter les employés eux-mêmes. Ce sont des candidats à des postes au sein de la société, des participants à des rendez-vous d’affaires ou encore des amis des employés. Il y avait près de 54 000 de ces visiteurs rien qu’à Menlo Park. Au total, Facebook compte 1,5 million de visiteurs par an.
Mais des visiteurs non invités envahissent aussi Facebook. La société doit refuser l’accès à ses bureaux à environ 1000 personnes chaque semaine. Il s’agit de touristes, de personnes souhaitant effectuer des propositions commerciales, de manifestants parfois bruyants. L’équipe de sécurité de Facebook voit des douzaines d'”incidents” chaque jour.
Il existe une “équipe rouge”, une unité de “test d’intrusion” dans l’entreprise, qui tente de pénétrer de différentes façons dans les locaux et installations de Facebook, pour tester les défenses et maintenir la sécurité sur ses gardes. Des cadres de la société sont parfois recrutés pour aider lors de ces tests, en échangeant des badges d’entrée et en tentant d’accéder aux bureaux en tant que tiers.
Le centre mondial des opérations de sécurité de Facebook, le GSOC (global security operations center), surveille les menaces et analyse les nombreuses données. En novembre 2015, lors des attentats de Paris, il est notamment entré en action. Dans une grande salle, des dizaines de postes informatiques et d’écrans accrochés au mur permettent de surveiller les déplacements de tous les employés à l’étranger et de voir s’ils se trouvent en danger, sur les lieux d’une attaque terroriste par exemple.
Avec businessinsider