Après des années de libéralisation, les producteurs locaux bénéficient désormais d’un prix garanti. Le pays fournit 40 % du cacao mondial, loin devant le Ghana, le deuxième fournisseur du marché.
Le ciel est plombé sur Cocody, le quartier chic d’Abidjan, au bord de la lagune. La saison des pluies anormalement longue et son lot de pistes embourbées n’ont pas dissuadé les planteurs de cacao de venir massivement à Abidjan, début octobre, assister au lancement de la campagne de production. Initiées par Alassane Ouattara, le chef de l’Etat ivoirien il y a trois ans, les Journées nationales du cacao sont un très gros événement en Côte d’Ivoire. Le cacao est une ressource essentielle du pays , premier producteur mondial avec 40 % des tonnages devant le Ghana (20 %). C’est la deuxième source de rentrées fiscales après le pétrole, 15 % du PIB, et 50 % des recettes à l’export. Un enjeu considérable dans un pays où le gouvernement souhaite stopper l’exode rural qui vient grossir les ghettos urbains.
Les Journées nationales sont l’occasion pour le gouvernement d’annoncer le prix du cacao aux planteurs et de préciser leurs objectifs. Des délégations du monde entier sont invitées. Des PME comme des multinationales (Cargill, Nestlé) sont présentes. Certaines sous la houlette du Syndicat du chocolat français. Les trois quarts du chocolat consommé en France sont d’origine ivoirienne ou ghanéenne.
Très faibles rendements
Tous espèrent profiter de la stabilité politique et monétaire actuelle pour approfondir la réforme engagée depuis quatre ans par Alassane Ouattara et relancer la production. Même si la campagne écoulée a vu plonger la production de 17 % en 2015-16 en raison d’une sécheresse exceptionnelle suivie de longues semaines de pluies. R ompu à l’économie des matières premières , Alassane Ouattara veut faire du cacao « la colonne vertébrale du développement de son pays ».
L’ancien directeur général adjoint du FMI a mis sur pied une gestion très encadrée avec un prix garanti aux planteurs et a abandonné le système libéral installé voilà dix ans par la Banque mondiale. Celle-ci était devenue hostile aux aides à la transformation locale, du fait des détournements. Au lieu de continuer à favoriser l’exportation, le gouvernement ivoirien encourage le broyage des fèves de cacao sur place afin de créer des emplois et de la richesse.
Depuis 2012, le prix garanti aux planteurs a bondi de près de 50 % à 1.100 francs CFA l’hectare pour la campagne 2016-2017, améliorant sensiblement un revenu dérisoire, porte ouverte à toutes sortes de trafics comme la revente des engrais ou des pesticides destinés aux cacaoyers. Les plantations font de 2 à 5 hectares. Estimé parfois à 60.000, le nombre de planteurs n’est pas vraiment connu, ni même la localisation de tous. Pas plus que leur potentiel de production. Des pisteurs sont chargés de les trouver par « les traitants » (le négoce) et les coopératives. Nombreuses et petites, ces dernières ont la préférence de l’Etat ivoirien. Mais beaucoup reste à faire pour les structurer.
Exigence des chocolatiers
Le Conseil du café-cacao (CCC), pièce maîtresse de la remise sur pied de la filière, veille à ce qu’elles se dotent d’un directeur compétent et d’un conseil d’administration. Le recensement des planteurs par géolocalisation est en cours sous le contrôle du conseil. C’est lui qui leur fixe les normes de qualité. « Il y a encore cinq ans il n’était pas rare que les entreprises refusent la moitié des fèves livrées pour humidité excessive », explique Patrick Poirrier, le patron de Cémoi, qui fabrique du chocolat sur place depuis vingt ans.
La fermentation des fèves, responsable de l’expression des précurseurs d’arômes, est un autre point crucial de la transformation du cacao. Les chocolatiers, qui veulent proposer des goûts différents, sont de plus en plus exigeants. Le cacao ivoirien a le potentiel pour y répondre. « Il est très fort en chocolat », souligne Patrick Poirrier. Mais le verger a vieilli. A quarante-cinq ans, les arbres s’essoufflent, ne donnant que 300 à 500 kilos de cacao, quand l’Equateur affiche des rendements de 2 à 3 tonnes. Les entreprises étrangères, qui ont tout intérêt à relancer la production, participent à la rénovation du verger. Tout comme elles transforment de plus en plus localement pour échapper aux taxes à l’importation. Prochaine étape majeure, l’informatisation des transactions, car le cacao se paie toujours en liquide. L’introduction de boîtiers électroniques évitera à des masses de cash de circuler et d’être détournées.
avec lesechos