« C’est un froid. » Ainsi résume-t-on à l’Elysée la crise diplomatique entre Paris et Varsovie. François Hollande a reporté, vendredi 7 octobre, une visite en Pologne prévue jeudi 13 octobre. Le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a annulé un déplacement projeté pour le lundi 10 octobre. Cette crise intervient après la décision du 4 octobre de Varsovie de rompre les négociations sur la commande de 50 hélicoptères Caracal à Airbus, entamées, en 2015, avec le précédent gouvernement polonais.
Le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, devrait se rendre à Varsovie à la demande de M. Hollande. Mais sans date précise. « C’est une mauvaise nouvelle qui souligne les contradictions politiques de la Pologne, dit une source diplomatique. Ce contrat participait à la constitution d’une Europe de la défense, que les Polonais eux-mêmes souhaitent, puisqu’ils parlent d’armée européenne. »
« Cela aura des conséquences, dit-on à l’Elysée. On ne peut pas demander la solidarité européenne et prendre des décisions sur une base purement politique ou idéologique. La Pologne risque de se trouver isolée quand les relations de l’Union européenne et de la Russie seront moins tendues. »
Paris entend réexaminer ses accords de coopération en matière de défense avec la Pologne.
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Dans un discours sur l’Europe, jeudi 6 octobre, François Hollande mettait les points sur les i :
« Il y a des pays européens qui pensent que les Etats-Unis seront toujours là pour les protéger, au point même d’acheter des armes uniquement aux Etats-Unis et pas aux Européens. Il y a des pays qui pensent qu’il y aura toujours une couverture qui viendra les mettre à l’abri de toutes les influences. »
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Le premier ministre, Manuel Valls, a fait part, vendredi, de sa « préoccupation » sur les conséquences du choix polonais pour « la conception de la défense européenne ».
Menace des licenciements massifs
Avant même son arrivée au pouvoir, le parti ultraconservateur Droit et justice (PiS) avait vivement critiqué le choix d’Airbus par le précédent gouvernement de centre-droit. Contrairement à ses deux concurrents au sein de l’appel d’offres – l’américain Sikorsky Aircraft et l’italien Leonardo Helicopters –, l’industriel européen ne possédait pas, en Pologne, d’usine de production d’hélicoptères. Les concurrents avaient fait planer la menace des licenciements massifs, dans leurs propres unités, si le contrat avec Airbus était signé. Les syndicats, alliés de poids des conservateurs pendant la campagne électorale, étaient montés au créneau. Le PiS avait tenté d’attaquer en justice la procédure d’appel d’offres.
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Après la victoire du PiS aux législatives de 2015, Varsovie a continué de discuter du contrat avec Airbus et le gouvernement français, notamment sur les compensations à donner en matière de transfert de technologies (dit « offset »). Airbus avait promis d’installer en Pologne une ligne de montage du Caracal, avec, à la clé, plusieurs centaines d’emplois directs.
Début septembre, le président d’Airbus Pologne, Sebastian Magadzio, avait fait part de son « optimisme » quant à la suite de ces négociations.
« Airbus a fait un travail important pour répondre aux demandes du gouvernement polonais. Les négociations étaient avancées au niveau industriel et technique », assure une source diplomatique française.
« Otage de la campagne »
Cela n’a pas suffi à Varsovie, qui a soufflé le chaud et le froid sur ce dossier depuis un an. Jusqu’au communiqué de mardi en provenance du ministère de l’économie :
« La différence de points de vue dans les négociations empêche de parvenir à un compromis, en conséquence, la poursuite de ces négociations est inutile. »
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Sur un ton moins diplomatique, la porte-parole du ministère de la défense, Katarzyna Jakubowska, a indiqué, vendredi, que le contrat « a été rompu par la faute de l’industriel français ».« C’est plutôt la Pologne qui devrait demander des compensations liées au refus de signer l’accord d’offset par les Français », a-t-elle surenchéri.
« C’est dommage que cette question stratégique soit devenue l’otage de la campagne électorale, regrette Tomasz Siemoniak, ministre de la défense sous le gouvernement précédent de centre-droit. C’est d’autant plus dommage que les relations franco-polonaises en matière de défense étaient en plein essor ces dernières années. »
Ce « coup de froid » intervient alors que les multiples prises de position de Varsovie inquiètent de nombreuses capitales européennes. Le gouvernement polonais est en butte à de sévères critiques internationales, provoquées par la proposition de loi – finalement rejetée – d’interdiction totale de l’avortement. La Pologne fait également l’objet d’une procédure de sauvegarde de l’Etat de droit par la Commission européenne, après les craintes suscitées par la reprise en main de la justice et des médias publics par le pouvoir. Des critiques qui n’entament guère la détermination du PiS et de son chef, Jaroslaw Kaczynski.