La campagne électorale a démarré en trombe au Sénégal. Cinq candidats sélectionnés selon un système de parrainage introduit pour la première fois solliciteront le suffrage des sénégalais lors d’un premier tour prévu le 24 février 2019. Financial Afrik a passé leurs programmes économiques au peigne fin. Dans un pays sahélien où 44% des habitants ont moins de 15 ans, la qualité de toute vision devrait reposer sur sa capacité à créer de l’emploi et à faire face aux défis du changement climatique. Nous pensons que la question de la monnaie n’est pas plus importante que celle de l’approfondissement de l’intégration économique ouest-Africaine, l’UEMOA, cadre extraordinaire et opportunité unique pour les entreprises sénégalaises devant évoluer vers la CEDEAO.
Macky Sall: l’émergence par les infrastructures
Auréolé d’une moyenne de croissance de 6% durant son premier mandat, le président sortant, Macky Sall, compte passer à la phase II de son Plan Sénégal Emergent (PSE) dès sa réélection.
Ce programme keynesianiste repose sur la relance par la dépense publique et, particulièrement, les grands travaux, le BTP étant l’un des secteurs efficaces d’absorption de la main d’oeuvre non qualifiée, et l’Agriculture. Mais pour que le PSE puisse s’ancrer dans la durée, il devra, après une première phase marquée par une forte augmentation de la production agricole et les investissements dans les infrastructures routières, passer à une deuxième phase, celle de la transformation, de l’exportation des produits et services compétitifs.
S’il est réélu, Macky Sall poursuivra son programme d’investissement dans les infrastructures dans un esprit réaliste de consensus et de partenariat avec les investisseurs nationaux et internationaux. Pour rappel, 14 000 milliards de Franc CFA ont été mobilisés à Paris, à la fin décembre, pour le Programme d’actions prioritaires (PAP) devant couvrir la période 2019-2023. Le PAP comporte quelque 700 projets dont “la priorisation a été opérée sur la base de 11 critères”, selon une présentation faite à Paris par le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan, Amadou Ba, lors du Groupe consultatif. Il est notamment attendue de la mise en oeuvre de ce programme, une une croissance économique de 9, 1 % en 2023.
La nouvelle ville de Diamniadio, à équidistance du triangle Dakar, Mbour, Thiès est appelée à jouer le rôle d’une locomotive logistique et technologique du pays. Sur la période 2019-2023, un nouvel étage viendra s’ajouter à la fusée. Il s’agit du district financier de Diamniadio, lancé récemment avec la prétention de devenir un hub financier à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest.
Au niveau du social, le président intensifera le programme des bourses familiales . Durant son premier mandat, quelque 330 000 familles ont été enrolées par ce programme de 100 000 Franc CFA annuels qui vise l’inclusion économique et sociale des plus démunis. Le Sénégal qui a doublé sa capacité énergétique installée entre 2013 et 2018 et accéléré son programme autoroutier avec les axes Dakar-Mbour-Thès et l’autoroute Ila-Touba, n’a pas oublié le social durant ce premier septenat. De la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et le troisième âge, à la couverture maladie universelle (CMU) mise en place depuis 2012 et qui permet, à raison d’une cotisation annuelle de 3 500 Francs CFA (environ 5 euros), la prise en charge de 80% des prestations de soins et des actes médicaux dans les structures sanitaires publiques, la vision de Macky Sall, qui repose sur l’impulsion par l’investissement public et les grandes infrastructures, n’a pas laissé de côté le social. Plus de 800 km de pistes de production ont été construites depuis le lancement du projet en 2015. Reste à faire plus de place au secteur privé local en pleine transformation.
Ousmane Sonko, la sortie du Franc CFA
Nouvelle figure politique du Sénégal, Ousmane Sonko prône le nationalisme économique, le doigt pointé vers l’Occident et, surtout, la France, celle-là étant accusée de s’accaparer des matières premières africaines sans devises delier. S’il est élu, le candidat du Pastef-Les Patriotes, promettait en septembre dernier d’engager un processus de sortie du Franc CFA. Au fil des semaines et, certainement, des concertations avec les experts, la position du pourfendeur du système semble avoir bien évolué.
Sur ce sujet, l’ancien inspecteur des Impôts ne prône plus de sortir du Franc CFA mais d’en sortir la France. De même, l’abandln du Franc CFA ne sera plus unilatéral mais précédé d’une concertation avec les autres pays membres. Si le procédé a changé, le diagnostic est resté le même. Ousmane Sonko estime que le taux de change de la monnaie commune aux 8 pays de l’UEMOA est surévalué.
Autre mesure annoncée par le candidat Sonko, la révision des contrats miniers et pétroliers. L’option déjà testée au Sénégal (cas d’Arcelor Mittal et de Kumba Mining) avait abouti devant le tribunal international d’arbitrage (CIRDI). Conditionné par son cursus et son expérience pratique de fonctionnaire des Impôts, Ousmane Sonko accorde une grande partie de son discours économique aux incitations fiscales qu’il ne semble pas encourager (Nous perdons plus de 500 milliards par année avec des exonérations fiscales, s’alarmait-il en mars 2018 lors d’un entretien avec la télé 2STV) et à l’augmentation de la pression fiscale à 20%, soit trois points au dessus du critère de convergence de l’Union Economique Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).
Suivant ce procédé, le candidat du Pastef compte mobiliser 600 milliards de Franc FCFA par an. Cette vision de la mobilisation des ressources par l’arme fiscale ne semble pas prendre en compte l’impact que cette collecte engendrerait sur les entreprises et le secteur privé national. En clair, le candidat Sonko semble privilégier la collecte des ressources fiscales, y compris dans l’informel.
En revanche, le leader du Pastef développe peu d’arguments sur la relance de la production, la compétitivité et l’attractivité du territoire Sénégal dans un contexte de forte concurrence entre les pays pour attirer des IDE et la manne de l’industrie du tourisme et des voyages. Reste que la vision d’un Etat déconcentré avec un palier central et 6 paliers régionaux assorti de la revitalisation des collectivités territoriales au moyen de la fiscalité locale se pose en alternative à l’Etat centralisé. La véritable rupture prônée par Sonko réside certainement dans sa vision du financement des pouvoirs religieux. Le leader du Pastef compte injecter de la transparence en faisant passer ce dossier délicat par l’assemblée nationale.
Idrissa Seck, le Sénégal d’abord
Ancien premier ministre du président Abdoulaye Wade, Idrissa Seck se présente aux présidentielles pour la troisième fois avec une vision (déclinée en chiffre 1-3-15-45) qui peut se résumer en trois mots: gouvernance, économie et sécurité . Pour cet économiste formé à Princeton et à la Sorbonne, l’économie passe par l’accès universel à l’électricité à l’horizon 2029, année où le mix énergétique du Sénégal sera constitué de 30% en énergies renouvelables. L’autre grand axe du candidat Idrissa Seck est l’éducation. Un conseil supérieur de l’éducation verra le jour dès sa prise de fonction. S’il est élu, le secteur privé aura droit à une exemption ou amnestie fiscale, le temps de se mettre à niveau. Les entreprises du numérique auront droit à une fiscalité propre.
Les investisseurs étrangers, astreints à un cahier de charges, devront réinvestir une partie des dividendes acquis au Sénégal. Aux yeux de Idrissa Seck, il faudrait une renégociation des accords de pêche avec la Mauritanie afin de permettre aux pêcheurs sénégalais opérant dans les eaux mauritaniennes de débarquer leurs prises au Sénégal. Le candidat du Rewmi ne cache pas son admiration pour Donald Trump dont le slogan tapageur “America First” lui a inspiré son “Sénégal d’abord”. Et certainement son intention de relever les pensions des anciens combattants et des blessés de guerre. Certains observateurs ont décelé des similitudes entre les visions économiques de Ousmane Sonko et d’Idrissa Seck, notamment sur la question des transferts de ressources aux collectivités locales et l’édification des pôles régionaux. Sur la question de la monnaie, Idrissa Seck promet de garder le Franc CFA tout en oeuvrant pour la concrétisation de la monnaie unique de la CEDEAO. Le candidat du Rewmi prévoit de rationaliser les ressources de l’Etat en éliminant les agences inutiles.
Madické Niang, le réformateur
Ancien ministre d’État, Garde des Sceaux et ministre de la Justice de 2007 à 2009, Madické Niang n’est pas le plus novice des candidats en lice. Dans son programme, le candidat du PDS propose 19 mesures d’urgence en espérant et 28 mesures phares. L’avocat de formation veut réduire sensiblement le coût de la vie et, surtout, renégocier les contrats pétroliers et gaziers. Parmi les autres mesures d’urgence, figure le diagnostic de la Couverture maladie universelle (CMU).
Dans un autre volet, Madické Niang propose d’ouvrir des négociations avec la France pour l’inscription des étudiants sénégalais. Sous son magistère, la dette intérieure sera “immédiatement” règlée aux entreprises. L’administration verra la généralisation de l’appel à candidature pour les fonctions de directeur général, incompatibles avec la politique. S’inscrivant dans la réduction du train de vie de l’Etat, celui qui dit se présenter pour suppléer l’absence de Karim Wade, s’engage, une fois élu, à supprimer le Conseil économique social et environnemental (CESE), le Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT) et la Commission nationale du dialogue des territoires (CNDT). Allant plus loin que Sonko et Idrissa Seck, il promet (sans expliquer comment) de consacrer entre 500 millions et 1,5 milliard aux collectivités territoriales, avec une allocation spéciale pour certaines grandes communes urbaines’’. Une fois élu, Madické Niang s’engage à créer un ministère en charge des Affaires Religieuses rattaché à la présidence.
EL Haj Issa Sall, le “Pur 100”
Il veut rendre impératifs l’anglais et l’informatique depuis la maternelle. Issa Sall est certainement le plus inattendu des cinq candidats en lice. Le poulain du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) défend un programme “Pur 100” qui place l’homme au début, au centre et à la fin de tous. Son réseau électoral, constitué des écoles coraniques (Dahiras) et des militants “Moustarchidines”, branche issue de la confrérie musulmane soufie des Tidjanes”, laissait présager un programme axé sur la religion et le retour aux valeurs. Foin de tout cela, le candidat des verts insiste sur l’éducation et l’inclusion des écoles coraniques dans le système éducatif pour lutter contre le phénomène des enfants de la rue. Parmi les 6 piliers de son programme économique, figure un pacte avec le secteur privé national. Le fondateur de l’Université du Sahel veut aussi faire de la ressource en eau une priorité pour le développement agricole et, entre autres, consolider, développer et encourager la pratique des cultures fourragères en tenant compte des spécificités des différentes zones agro-écologiques. Le candidat du Pur veut instaurer un système de patriotisme fiscal incitatif en élargissant l’assiette fiscale et en encourageant l’épargne intérieure. Proposant la consolidation du potentiel financier de la diaspora pour en faire un levier de développement, Issa Sall devrait certainement expliquer comment il compte faire pour financer son programme.
Avec financial