ABIDJAN – C’est en 1957, sous la direction de Kwame Nkrumah, que le Ghana est devenu le premier pays africain à devenir indépendant. Néanmoins en 1966, lorsqu’il a été renversé par un coup d’Etat, peu de ses concitoyens ont regretté son régime. Pourtant un aspect de son héritage reste pertinent jusqu’à aujourd’hui et mérite d’être pris en considération.
Nkrumah était un leader visionnaire et charismatique qui voulait moderniser le Ghana et visait à l’unité politique de l’Afrique, son idée centrale. Il voulait intégrer le continent et créer les Etats-Unis d’Afrique. Mais il s’est engagé dans des projets coûteux qui ont conduit à une dette étrangère et à des déficits insoutenables, sans toutefois créer beaucoup d’emplois. La contraction économique a entraîné de nombreux troubles à travers le pays et une perte de crédibilité de l’idée d’intégration africaine, ainsi que la chute de son célèbre conseiller économique, le futur prix Nobel W. Arthur Lewis.
L’intuition de Nkrumah quant à l’intérêt potentiel de l’intégration africaine reposait sur un raisonnement économique fiable, mais qu’il n’a pas réussi à formuler de manière convaincante. Avec 16 pays enclavés, l’Afrique est le plus morcelé de tous les continents. Plus du trois-quarts des pays africains comptent moins de 30 millions d’habitants et la moitié d’entre eux ont un PIB inférieur à 10 milliards de dollars. Aussi, la petite taille de beaucoup de pays africains et la fragmentation des marchés intérieurs qui en résulte conduisent-elles à des “déséconomies” d’échelle qui freinent le développement.
Après le renversement de Nkrumah, d’autres dirigeants africains ont repris son projet de construction des Etats-Unis d’Afrique, basé sur l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Cette dernière a adopté par la suite un ensemble de traités destinés à faire de l’intégration économique une réalité. Elle a aussi décidé en 1991 la création de la Communauté économique africaine. En 2002 l’OUA a été remplacée par l’Union africaine. Dans le cadre de cette Union, les chefs d’Etat et de gouvernement africains ont créé un grand nombre d’institutions régionales et ont adopté en 2015 l’Agenda 2063 pour faire un pas vers les Etats-Unis d’Afrique qu’ambitionnait Nkrumah.
Malheureusement, des organes économiques régionaux aux prérogatives redondantes et aux mandats parfois contradictoires forment un méli-mélo d’institutions sans grande autorité et sans grande capacité d’analyse. Dans ce contexte, l’intégration africaine n’est qu’une vague promesse dans la bouche de dirigeants qui n’y sont pas particulièrement favorables.
Certains chercheurs mettent en doute l’objectif de l’intégration. Tous ensemble, les pays africains ne représentent que 3% du PIB mondial, et leur pouvoir d’achat reste faible. Dans ces conditions, pourquoi consacrer des ressources financières limitées à construire des infrastructures coûteuses destinées à intégrer le continent ? La création d’un marché unique africain est sans doute un objectif louable, mais il ne doit pas détourner l’attention des dirigeants de l’avantage potentiel considérable que représenterait pour l’Afrique son intégration à l’économie mondiale.
Une nouvelle étude de la Banque africaine de développement montre, preuves à l’appui, que ces deux objectifs ne sont pas incompatibles – ils pourraient même se renforcer l’un l’autre. Cette étude examine également l’intérêt potentiel de mesures prises à l’échelle régionale telles que la coordination des cadres de gouvernance financière, la mise en commun des sources d’énergie, l’ouverture du transport aérien à la concurrence et l’ouverture des frontières à libre circulation des personnes, des biens et des services.
L’étude montre également que la suppression des frontières en Afrique, notamment pour la production agricole et industrielle, serait la base d’un marché africain compétitif à l’échelle mondiale. Elle permettrait des économies d’échelle aux investisseurs, aboutirait à la création de marchés bien plus vastes et offrirait de nouvelles opportunités aux entreprises. Elle aiderait aussi à se débarrasser des positions de monopole et favoriserait le désenclavement des pays ne disposant pas d’un accès maritime.
L’intégration pourrait améliorer la sécurité régionale, car l’accroissement des échanges commerciaux internationaux s’accompagne souvent d’une diminution des conflits. Une intégration plus approfondie en ce qui concerne les biens, les services d’infrastructure et les principaux facteurs de production (la main d’œuvre et le capital) est cruciale pour les petites économies fragmentées d’Afrique, tant sur le plan économique que stratégique.
Dans un monde où 60% des échanges commerciaux se font dans le cadre des chaînes de valeur mondiales, l’Afrique ne doit pas se limiter à la production de matières premières, mais s’industrialiser afin de créer des emplois pour sa population jeune en croissance rapide. Encourageant le commerce intercontinental, la consommation et les investissements, l’intégration régionale peut constituer un moyen efficace pour améliorer la productivité, stimuler le développement économique et créer des marques africaines crédibles. Un régionalisme africain ouvert pourrait aussi favoriser l’intégration des petites et moyennes entreprises aux chaînes de valeur internationales, ce qui leur ouvrirait la porte des marchés mondiaux.
Cinq mesures commerciales pourraient notamment accroître le PIB du continent de 4,5%, soit 134 milliards de dollars par an – presque autant que le montant total de l’aide publique au développement reçue par l’Afrique en 2017 :
1) La suppression de toutes les taxes douanières bilatérales ;
2) La règle du pays d’origine (pour déterminer l’origine d’un produit) doit rester simple, flexible et transparente ;
3) Les barrières non tarifaires appliquées aux biens et services doivent être supprimées sur la base de la “nation la plus favorisée” ;
4) L’Accord sur la facilitation des échanges de l’OMC doit être appliqué de manière à réduire le temps de passage aux frontières et le coût des transactions associées aux mesures non-tarifaires ;
5) Les barrières tarifaires et non-tarifaires appliquées aux autres pays en développement doivent être réduites de 50% sur la base de la “nation la plus favorisée”.
Le socle économique du rêve de Nkrumah est plus fort que ce que l’on a pu croire. L’adoption l’année dernière de la zone de libre-échange continentale africaine par les dirigeants africains lui donne un nouvel élan. Avec le bon équilibre entre audace et pragmatisme, l’intégration régionale pourrait se révéler très avantageuse pour l’Afrique et pour le reste du monde.
Avec weforum