Il y a un an, le 22 janvier 2018, l’ancienne star du football et premier ballon d’or africain prenait ses fonctions de président du Liberia. Son élection a suscité de grands espoirs parmi les plus jeunes et les classes populaires, enthousiasmés par l’annonce d’un vaste plan de lutte contre la pauvreté dans ce pays d’Afrique de l’Ouest où 80% de la population vit avec moins de 1,25 dollar par jour. Mais les promesses de campagne tardent à se concrétiser, car le gouvernement peine à contenir l’inflation et à stabiliser une économie profondément fragilisée par 15 années de guerre civile, l’épidémie d’Ebola et la chute du cours des matières premières.
« Je veux construire le plus grand mécanisme de gouvernance en faveur des pauvres de l’histoire du pays ». Ce 22 janvier 2018, le stade Samuel Doe exulte tandis que le discours d’intronisation de Georges Weah résonne jusque dans les ruelles en terre battue de Clara Town, le quartier populaire qui l’a vu grandir.
Une année s’est écoulée et l’impatience a remplacé l’espoir. « Même le terrain de foot est dans un état déplorable », s’insurge Victor Lamine Belo, un jeune chômeur. « La vie est de plus en plus dure », ajoutent en chœur les vendeuses de charbon. Gérant d’un atelier de menuiserie, Gbessy Kiarzolu apprécie toutefois le désenclavement de son village d’origine : « Dans l’intérieur, c’est indispensable d’avoir des routes pour vendre les produits. Son projet, c’est de sortir les gens de la pauvreté. »
Sortir un million de Libériens de la pauvreté en cinq ans, c’est l’objectif du « Pro-Poor Agenda », le plan de développement présenté fin octobre par le gouvernement. Il s’agit notamment de « combler le déficit d’infrastructures routières et d’électricité qui entravait le secteur privé, détaille Samuel D Tweah, ministre des Finances. Nous allons construire 1 000 kilomètres de routes et investir l’agriculture qui emploie 75% des travailleurs. »
L’attente des retombées économiques
Ainsi, la réforme agraire adoptée mi-septembre et plébiscitée par la société civile vise à protéger les communautés contre l’accaparement des terres. « Jusqu’ici, l’Etat était propriétaire des terres qui n’avaient pas de titre. Le gouvernement pouvait à tout moment les saisir pour les donner en concession à une entreprise comme cela a été fait après la guerre pour relancer l’économie », rappelle Constance Teage, militante de la société civile. La loi reconnaît maintenant le droit coutumier, mais en l’absence de cadastre, et alors que la plupart des titres de propriété ont été falsifiés ou détruits pendant la guerre, les populations rurales devront attendre avant de bénéficier des retombées économiques.
Les étudiants, eux, ont déjà obtenu satisfaction. « Dix mille de nos camarades avaient abandonné les études faute d’argent », relate Opelo Grene, étudiant en administration publique qui salue la suppression des frais de scolarité du premier cycle. Du côté de l’administration, « plus d’étudiants vont s’inscrire et il nous faudra davantage de salles et d’enseignants », souligne David Fahrat, directeur de master. Le « Pro Poor agenda est très ambitieux, mais les fonds manquent pour le réaliser », juge-t-il. Son coût total avoisine les six milliards de dollars.
Deux monnaies sont en vigueur au Liberia : le dollar américain pour les affaires et le dollar libérien pour la vie quotidienne. Avec l’inflation ce dernier peut se déprécier en quelques jours, affirme Presley Tenoah du Groupement des entrepreneurs patriotes : « Entre l’achat au fournisseur en dollars US et la vente au public le taux de change peut avoir augmenté jusqu’à engloutir le profit. », ce qui désole Elisabeth Morba, vendeuse de fripes sur le marché : « Si ça continue je vais fermer boutique ! »
Pour endiguer la dépréciation, 35 millions de dollars ont été injectés dans l’économie tandis qu’un fond de trois millions devrait faciliter l’accès au crédit des petits commerçants. « Mais nous avons hérité d’un milliard de dette qui limite notre capacité d’emprunt », déplore Samuel D Tweah.
« Climat d’incertitude »
« Les problèmes existaient bien avant l’élection, reconnaît Georges Wisner, ancien directeur exécutif de la Commission nationale d’investissement, puis le pays a subi deux chocs majeurs, mais prévisibles : le retrait de la mission des Nations unies au Liberia et la transition politique. Le nouveau gouvernement est arrivé sans véritable stratégie et les partenaires internationaux veulent voir un plan de développement clairement articulé avant de débloquer des fonds. »
« Ce climat d’incertitude pourrait compromettre les plans de George Weah, estime David Farhat, il faut d’abord instaurer l’Etat de droit, lutter contre la corruption et l’argent viendra tout seul. » Le défi est de taille, d’autant que l’équipe actuelle n’est pas épargnée par les soupçons. En un an, les scandales dénoncés par la presse se sont multipliés. « Nous craignons que le président ne devienne comme ses prédécesseurs », s’inquiète Rodney Sieh, directeur du principal journal d’investigation au Liberia.
Selon Franklin Wesseh, organisateur de plusieurs manifestations réclamant l’instauration d’une Cour spéciale pour juger les crimes économiques et les crimes de la guerre civile, l’impunité concerne les crimes les plus graves et monte jusqu’aux plus hauts sommets de l’Etat. Son regard se tourne vers le Sénat où siège notamment Prince Johnson, l’un des principaux seigneurs de guerre qui jouit encore d’une forte popularité dans le Nimba, sa région d’origine, et dont le soutien a été décisif pour faire élire de George Weah.
George Weah prendra-t-il ce risque politique ? Eugene Fanghon, vice-ministre de l’Information, brandit la Constitution : « Cela ne fait pas partie de ses prérogatives. Le Parlement a le pouvoir de constituer des cours subordonnées à la Cour suprême. Mon président a dit au monde que c’est au peuple de décider et le peuple décidera à travers ses représentants au Parlement. Cela fait partie de nos priorités, mais ce n’est pas notre priorité numéro 1. »
Avec RFI