Figure du hip-hop kenyan, elle est rappeuse, percussionniste et femme d’affaires: Muthoni Drummer Queen monte sur la scène des Trans Musicales vendredi avec l’album “She”, un condensé contestataire et féministe d’expériences vécues par des “héroïnes” kenyanes ordinaires.
A travers la musique, “je veux dire aux femmes que nous sommes le héros, celui qui arrive sur son cheval à la fin des contes. Nous sommes la demoiselle en détresse, mais aussi le héros et nous devons nous sauver nous-mêmes”, explique à l’AFP la chanteuse.
Pour déployer sa prose et sa voix soul au timbre chaud, Muthoni Ndonga, célèbre au Kenya sous le nom de “Drummer Queen”, en raison des percussions qu’elle joue sur scène, s’est entourée il y a cinq ans de deux beat-makers suisses gravitant dans “l’univers rap”, Jean Geissbuhler et Grégoire Escoffey, allias GR! et Hook.
Après un premier “projet” en 2013, le trio revient avec le même “univers hip-hop, soul, électro” mixé à des “sonorités kenyanes“, reggae, dancehall, et même rock, détaille Hook.
“Comme une scène de film“, chaque titre évoque le parcours d’un “personnage, inspiré d’une femme“, en anglais et swahili.
Audacieuses, entrepreneuses, engagées, souvent entravées par les “représentations traditionnelles” de la société kenyane, elles se battent pour “leur liberté”.
L’une d’elles est une jeune kenyane née de parents somaliens réfugiés. “Je voulais parler des perdants du système, ces millions de gens qui luttent pour vivre dignement, contribuent à l’économie mais ne reçoivent aucune reconnaissance”, raconte Muthoni.
“Ici, c’est spécifique aux Somalis”, ajoute-t-elle, évoquant les discriminations subies par cette communauté, en particulier depuis les attentats commis en 2013 par des islamistes somaliens shebab. “Citoyens kenyans“, les Somalis sont pourtant souvent “mis à l’écart, traités avec suspicion“, déplore-t-elle.
L’artiste critique aussi, dans “Kenyan message“, la corruption et les scandales politiques qui gangrènent le pays, à travers la voix d’une activiste et d’une femme médecin asphyxiée par le “manque de moyens”.
– “Maîtresse de sa vie” –
Optimistes, d’autres textes sont une ode à l’émancipation. Comme “Suzie Noma”, inspiré d’une femme entretenue qui décide un jour de “devenir maîtresse de sa vie” en montant son salon de coiffure.
Dans un puissant manifeste, Muthoni prépare la nièce de Hook, tout juste née, à sa vie de femme: “Tu devras travailler deux fois plus dur, pour la moitié du salaire”, “tu apprendras à te surpasser”, mais sache que “tu es une reine”, lance-t-elle.
La chanteuse entend “glorifier le travail“, qui offre “l’indépendance” nécessaire pour “réaliser ses rêves“.
Pour concrétiser le sien, Muthoni a été “contrainte” de “devenir femme d’affaires”.
Née dans une famille de “classe moyenne” modeste, elle découvre la musique “dans des chorales”, s’imaginant dans la peau de Michael Jackson ou des Fugees.
Etudiante, elle organise en 2004 son “premier concert” avec une amie, cherche “des sponsors”, appelle en renfort “des amis danseurs, musiciens”, dessinant ainsi “le début de sa carrière”.
En 2008, alors qu’elle peine à élargir son public, elle décide d’organiser un show régulier “en plein jour”, hors de la ville, avec d’autres artistes en devenir. Ainsi naît le festival “Blankets and Wine”, aujourd’hui l’un des plus courus d’Afrique de l’est.
“Je faisais de la musique alternative, l’industrie était peu développée, c’était compliqué de trouver un producteur, alors je suis devenue mon propre label”, explique-t-elle.
Puis tout s’enchaîne: un album en 2009, la rencontre de Hook et GR! via un ami commun… A 35 ans, la “reine-tambour” est aujourd’hui parfois comparée à Lauryn Hill, M.I.A, ou encore Beyoncé, pour ses shows électrisants.
Drapée dans des vêtements chamarrés et futuristes, ornée jusqu’au bout des cheveux, elle incarne presque tous ses personnages dans des clips graphiques, aux ambiances travaillées.
Devenus “ses amis”, les “discrets” GR! et Hook lui laissent volontiers l’avant-scène. Ils la décrivent comme une battante, anti-conformiste, “drôle et curieuse”.
Ses proches sont aussi graphistes, réalisateurs, stylistes. Une communauté créative “en train de bâtir l’industrie culturelle du pays“, s’enthousiasme-t-elle.
AVEC oeildafrique