Le retrait de la CAN ne laisse aucun camerounais indifférent. Au-delà de l’amour et la passion que ce pays a pour le football, chaque acteur trouvait de l’intérêt dans cet évènement. La question qui me préoccupe est de savoir : quelles sont les incidences macro-économiques et micro-économiques du retrait de la CAN 2019 ?
Cette analyse s’appuie sur les indicateurs macro-économiques projetés en 2019, et sur l’incidence micro-économique qui pourrait en découler. I-Les indicateurs macro-économiques menacés À l’analyse de la loi des finances et du programme économique présentés par le Premier ministre, le cadrage macro-économique du Cameroun pour 2019 a été significativement influencé par la tenue de la CAN. En effet, l’État du Cameroun, associé à ses différents bailleurs de fonds, a fait des projections optimistes sur les revenus fiscaux hors pétrole de l’État.
Cet optimisme a principalement été motivé par les revenus que devraient générer toutes les activités autour de la CAN. L’illustration de cet optimisme est traduite par les objectifs à atteindre en termes de recettes non pétrolières nettes. En effet, le taux croissance des revenus non pétroliers a été projeté à 7 % en 2018. En revanche, pour 2019, il a doublé et est passé à 16 %. Une autre précision pertinente est l’aspect saisonnier de ces recettes. Car les prévisions établies montrent qu’au cours de l’année 2019, le deuxième trimestre de l’année et le début du troisième trimestre devraient connaitre un niveau de croissance à deux chiffres.
Ce second trimestre correspond à la période de la CAN. De même, en ce qui concerne les projections sur la taxe sur les boissons alcoolisées, bien que les prévisions de recettes aient été faites sur les consommations des années 2017 et 2018, la CAN aurait pu avoir un effet tampon avec la crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest qui occasionnent des déplacements de plus en plus massifs des populations dans les pays voisins, entrainant ainsi une baisse de la consommation de ces produits.
La simulation tenant compte des consommations de 2017 et 2018 sera difficilement réalisée en l’absence de cet évènement, qui nous le savons, entraine une forte consommation des boissons alcoolisées et notamment de la bière. Par ailleurs, si l’on se focalise sur les recettes douanières spécifiquement, il ressort de cela que ces dernières devraient connaitre un taux de croissance de 17 % entre 2017 et 2019.
Cependant, le taux a été de 7 % entre 2017 et 2018. En Plus, les prévisions établies font état de ce que ces recettes douanières devraient connaitre un rebond à la fin du premier trimestre. Cette période correspondant à la fin des exonérations liées aux importations des matériaux de construction et au rétablissement des droits de douane, augmenté des droits d’accises sur certains produits. Il semble alors nécessaire de revoir la disposition d’exonération en retenant des taxes après échange avec les différents partenaires.
Cette décision permettra de disposer des recettes douanières pour amortir une partie du choc entrainé par la décision de la CAF. Le cas des impôts suit la même tendance. En effet, le taux de croissance des impôts a été projeté à 15 % en 2017 et 2019 contre 4 % entre 2017 et 2018. Bien que ce taux soit en grande partie tiré par l’augmentation de la pression fiscale, cette augmentation est endossée sur l’euphorie économique que devrait susciter l’organisation de la CAN. Il ressort de cela que la tenue de la CAN en 2019 devrait constituer un tremplin pour la croissance économique de manière générale, mais également favoriser la fourniture des services publics de qualité. Cet optimisme a par ailleurs contribué à la modification vers la hausse de la loi de finances 2019 et le recrutement massif de l’État dans l’enseignement supérieur.
Par conséquent, le retrait de ladite CAN devrait entrainer un réajustement structurel sur les dépenses prioritaires et une révision partielle du modèle économique à adopter. A défaut, un nouvel emprunt de l’État pourrait être envisagé et ses programmes avec les bailleurs de fonds compromis. Visiblement la CAN aurait pu avoir un effet positif sur le solde budgétaire du Cameroun. Donc, inévitablement le retrait de la CAN a des incidences au plan micro-écono
mique. II-Adieu à l’effet d’aveuglement L’organisation d’un évènement d’envergure comme la CAN masculine est souvent l’occasion d’émotions importantes. Les émotions ont un effet d’aveuglement (ne voir que ce que notre portée ou plutôt la moitié de notre champ de vision peut voir) sans doute utile pour faire accepter des décisions difficiles.
C’est pendant la CAN que la taxe sur la bière par exemple est envisagée, ce qui aurait pu passer sans grande incidence et s’installer dans la durée. L’absence de la CAN pourrait avoir un effet de rejet au-delà de la baisse des consommations et par ricochet la baisse des recettes projetées. Aussi, les activités connexes à la CAN auraient généré auprès de certains acteurs économiques et culturels des gains substantiels. Hélas ! L’espoir vole en éclat, laissant au passage plusieurs acteurs endettés sans perspectives ni alternatives crédibles ou d’égales importances. Certains hommes d’affaires, qui ont pris des engagements dans la perspective de la CAN, sont sans doute anxieux en ce moment. L’effet direct sur leurs économies, sur les banques concernées et sur toutes les personnes affiliées est évident. Je pense particulièrement au personnel de ces entreprises qui pourraient perdre leur emploi et se retrouver au chômage. De même la CAN aurait été une opportunité de cohésion sociale après une élection présidentielle qui n’a pas fini de panser ses plaies, et une élection législative et municipale prévue au second semestre de 2019.
Entre ces deux évènements, la CAN aurait été un bon catalyseur émotionnel pour rapprocher les différentes composantes politiques, sociales, culturelles et religieuses du Cameroun. Il faut donc craindre que les diffé
rents groupes se replient davantage, que les frustrations soient de plus en plus visibles. Le coût psychologique est très élevé. On pourrait donc, à juste titre, parler des conséquences sociales du retrait de la CAN 2019 au Cameroun. C’est l’occasion d’envisager des activités permettant d’absorber les attentes émotionnelles et identitaires qui s’expriment fortement depuis les élections présidentielles. Il s’agit alors de trouver un sujet d’intérêt national qui fédèrerait l’attention de tout le peuple. J’en vois deux pour l’instant. Le premier est bien sûr de participer à la CAN 2019 et surtout de la gagner.
Pour le dire comme Joseph Antoine Bell, « c’est le prochain match qui compte » ! Par ailleurs, une fois les infrastructures construites, il faut envisager des projets viables pour un retour sur investissement ; à défaut, le coût d’opportunité sera très élevé pour le Cameroun. Le deuxième sujet d’intérêt national est l’engagement politique et réel pour la bonne gouvernance sans parti pris. Pour moi, le sursaut national, l’orgueil camerounais pourrait se déporter sur cette valeur partagée qui fait l’unanimité dans les discours. Une unanimité dans les dispositions juridiques et intentions, alimentées par toutes les parties prenantes pourrait constituer un bon projet fédérateur.
Il est certes délicat, mais c’est pour ma part l’enjeu pour un leadership plus fort, un espoir d’augmentation de recettes et une perspective crédible pour l’engagement vers une éthique indispensable à la justice et la cohésion sociales. Le problème du retrait de la CAN, au-delà de l’émotion qu’il génère, est révélateur de fenêtres de vulnérabilité qu’il faut détecter et corriger. C’est du bon usage de ce scandale que le Cameroun s’en sortira. Nul besoin de se concentrer sur la dramatisation, l’heure est à l’analyse des dysfonctionnements et de leurs corrections.
Source: Integration N°348