C’était il y a sept ans. Le 28 septembre 2009, à Conakry, un meeting de l’opposition allait tourner au drame. Des milliers de manifestants s’étaient rassemblés dans le stade de Conakry (pour dire « non » à une candidature à la présidentielle de Dadis Moussa Camara, alors chef de la junte) lorsque des militaires ont surgi puis ouvert le feu à l’arme automatique. Selon l’ONU, au moins 156 personnes ont été tuées et 109 femmes ont été violées, dont certaines ont été emmenées de force dans des camps militaires puis réduites en esclavage sexuel pendant des jours. Dans son rapport publié en décembre 2009, la Commission d’enquête des Nations unies dénonce un « crime contre l’humanité ». Sept ans après les faits, et six ans après le début de l’instruction menée par la justice guinéenne, plusieurs figures importantes de la junte sont inculpées, mais la procédure s’éternise et beaucoup de questions demeurent sur le procès à venir.
Une année de plus depuis le drame. Une année de plus sans justice. A chaque commémoration du 28 septembre 2009, les associations de victimes espèrent la fin de l’instruction et l’ouverture rapide d’un procès. Espoir une nouvelle fois déçu, il y a quelques semaines, lorsque dans une interview à la presse guinéenne, le ministre de la Justice Cheik Sako a expliqué que quelques mois d’enquêtes seraient encore nécessaires « puisqu’on a découvert des victimes à Dakar ». « Il faut absolument les interroger », a-t-il expliqué avant de promettre que tout serait bouclé d’ici la fin de l’année 2016.
Asmaou Diallo, présidente de l’association des victimes, parents et amis du 28-Septembre (Avipa), s’impatiente : « Combien de temps allons-nous devoir attendre ? », interpelle-t-elle, tout en reconnaissant « les progrès réalisés », car après quelques années de très forte inertie, l’instruction ouverte en février 2010 par le procureur de la République a connu une accélération, en particulier fin 2014 et début 2015, sous l’impulsion du ministre de la Justice récemment nommé, mais aussi de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), partie civile qui multiplie alors les demandes d’acte de procédure, grâce aussi au travail d’accompagnement de la Cour pénale internationale (CPI), qui dès le 14 octobre 2009 a ouvert un examen préliminaire sur ce dossier, mais qui, au nom de principe de complémentarité, fait le choix d’accompagner la justice guinéenne dans cette procédure et non pas de s’y substituer, à condition qu’il y ait des avancées.
Marquée par une présidentielle en Guinée, la dernière année écoulée n’a pas permis en revanche de progrès majeurs. Aucune nouvelle inculpation depuis celle en juillet 2015 de Dadis Camara, une inculpation très attendue, même si l’ex-chef de la junte au pouvoir vit toujours en exil et que le doute plane sur son éventuel retour en Guinée en vue d’un procès, tant il reste un personnage encombrant dans le contexte politique actuel, comme en témoigne l’émoi suscité au printemps 2015 par l’annonce de son retour sur la scène politique guinéenne.
L’autre grand absent à ce stade, c’est son bras droit de l’époque, Toumba Diakité, inculpé lui aussi, mais toujours en fuite, au grand dam des victimes. Il n’a donc pas été entendu par les juges. Or, depuis novembre 2009, la plupart des membres du CNDD – nom officiel de la junte au pouvoir en Guinée en 2009 – s’emploient pour leur défense à le désigner comme l’unique responsable du massacre, assurant qu’il aurait agi seul, en désobéissant aux instructions (voir encadré ci-dessous). Et s’il ne livre pas aux juges sa version des faits, la FIDH craint donc qu’il ne soit le bouc émissaire du procès au détriment peut-être de la vérité. « Afin d’éviter une stratégie de défense qui se bornerait à désigner un bouc émissaire absent, la version des faits du lieutenant Toumba Diakité doit absolument pouvoir être confrontée à celles données par les autres inculpés », plaidait, en mai 2015, la FIDH dans un rapport, « et tout doit être mis en œuvre par le gouvernement pour garantir sa présence au procès ».
Parmi les autres inculpés, trois sont encore aux affaires, même s’ils se font discrets : Claude Pivi, chef de la sécurité présidentielle, Moussa Tiégboro Camara, en charge de la lutte contre le grand banditisme, et Mathurin Bangoura, nommé en mars dernier gouverneur de Conakry. Sans oublier d’autres inculpés parmi d’anciens hauts responsables, Mamadouba Toto Camara, ex-haut gradé de la junte et vice-président du CNDD, et Abulaye Sherif Diaby, ex-ministre de la Santé, que des témoins disent avoir vu en train de frapper des blessés dans les hôpitaux de Conakry dans la nuit suivant le massacre.
Ce n’est pas rien, mais pour l’avocat des victimes, Maître Hamidou Barry, le compte n’y est pas. Il ne comprend pas, par exemple, que Sékouba Konaté, ministre de la Défense le jour du massacre, n’ait toujours été ni entendu ni inculpé. Absent de Conakry le jour du drame, ce dernier semble néanmoins en savoir beaucoup : en juin 2014, il avait confié au site en ligne Guinéenews avoir déposé à la Cour pénale internationale une liste de commanditaires du massacre, information jamais confirmée par la CPI mais qui, à l’époque, avait fait l’effet d’une bombe.
L’avocat des victimes regrette également que, sur les « centaines d’hommes », dit-il, qui ont agi arme à la main dans le stade, si peu soient actuellement poursuivis.
Il faut dire que, pour les trois juges en charge de l’instruction, le parcours a été semé d’embuches. Malgré des demandes répétées, les juges n’ont pas obtenu les registres des entrées et sorties des camps Alpha Yaya et Kaleta ce 28 septembre, au motif qu’ils avaient brûlé. Ces listes auraient permis de confronter bourreaux, victimes et témoins.
De même, les juges ont eu le plus grand mal à entendre les principaux responsables de la junte. Ils ont dû, par exemple, envoyer plusieurs convocations au colonel Claude Pivi, avant que celui-ci réponde à leurs questions. Résultat : les premières inculpations de haut rang ne sont tombées que plus de deux ans après le début de l’instruction. En 2014 dans un communiqué, Zeid Ra’ad Zeid al-Hussein, commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, dénonçait ces lenteurs et demandait aux autorités « des mesures immédiates et concrètes ». « Tous les suspects qui sont membres de l’administration doivent être suspendus en attendant l’achèvement de la procédure judiciaire. Et un message clair doit être envoyé au plus haut niveau selon lequel la coopération avec l’enquête est obligatoire », écrivait-il alors.
De leur côté, les victimes s’interrogent sur de possibles blocages politiques, des victimes qu’il a donc fallu convaincre de coopérer. Autre difficulté, dans un pays où la justice inspire encore méfiance. Au total, les magistrats ont finalement auditionné 440 victimes, mais à peine plus d’une dizaine de témoins, civils ou militaires, mais qui ne sont ni inculpés ni victimes.
Héritière d’une longue tradition d’impunité, la justice guinéenne n’a pas l’expérience de ce genre d’instruction. Et si le nouveau ministre a entrepris depuis deux ans un vaste chantier de réformes, salué de toutes parts, il faut se souvenir qu’en 2010, au moment de l’ouverture de l’information judiciaire, le Premier ministre de la transition déclarait : « L’organe de l’Etat le plus pourri, c’est la justice ».
Malgré tout, cette procédure aura déjà permis des avancées notables, comme l’inculpation le 30 avril 2013 d’un gendarme accusé de viol au stade le 28 septembre 2009. Il a été identifié par sa victime. Et il est un élément des forces armées mis en cause en tant qu’auteur direct de violences sexuelles, ce qui est une première dans l’histoire de la justice guinéenne.
La justice guinéenne n’a jamais, jusqu’à présent, tenu de procès de militaires de hauts rangs pour des violations graves des droits humains. Pour les associations de défense des droits de l’homme comme la FIDH, le procès du 28 septembre 2009, dont ils espèrent qu’il s’ouvrira bientôt, est une première étape indispensable pour combattre « le fléau que constitue la violence politique, récurrente en Guinée ».
■ Comment la défense de Dadis Camara a évolué au fil du temps
Dans les heures et les jours qui suivent le drame, Moussa Dadis Camara s’exprime tous azimuts et livre une version assez confuse des événements et de son rôle dans la répression. Le soir même, sur RFI, il ne nie pas l’intervention de ses hommes, mais minimise, parle « d’accrochage », accuse les manifestants d’avoir été armés.
« Qui a tiré ? », il fait mine de s’interroger car, explique-t-il, il n’était pas au stade. Deux jours plus tard, toujours au micro de RFI, et alors que l’ampleur du massacre apparaît au grand jour et que les témoignages accablants contre les forces de l’ordre se multiplient, il insiste alors sur la totale indiscipline et la désorganisation de l’armée. « Ce qui s’est passé au stade, c’était incontrôlé ».
Parallèlement, le 9 octobre, au micro de Télé Sud, il accuse l’opposition d’avoir fomenté un scénario insurrectionnel sur le modèle du coup d’Etat qui a eu lieu quelques mois plus tôt à Madagascar, un complot dirigé par Alpha Condé, qualifié de « vicieux, méchant ».
Dans une interview qu’il accorde au magazine américain New Yorker, il va même jusqu’à accuser al-Qaïda d’avoir prêté main-forte aux militants de l’opposition, qu’il accuse d’être des « fondamentalistes » musulmans. Au reporter américain, il promet un DVD sur lequel on pourrait voir la présence de membres d’al-Qaïda armés, dans le stade le 28 septembre. Plus tard, un DVD est effectivement donné au reporter, mais il ne fonctionne pas.
Il tient sur ces positions quelques semaines, puis la pression internationale sur lui s’accentue. La CPI annonce l’ouverture d’un examen préliminaire. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, soupçonne publiquement Dadis Camara d’avoir « participé à la décision » de la répression et des enquêteurs de l’ONU se rendent à Conakry. A ce moment-là, Dadis Camara prend-t-il peur ?
Toujours est-il que fin novembre, il change de cap pour désigner un seul et unique coupable : son aide de camp Toumba Diakité, qui aurait, selon lui, tout planifié sans l’en informer. Une version reprise en cœur, depuis, par la majorité des anciens de la junte. Lui aussi restera sur cette ligne de défense tout en l’étoffant peu à peu.
Aux juges guinéens venus l’auditionner à Ouagadougou en juillet 2015, il précise même avoir fondu en larmes en apprenant la trahison de Toumba Diakité et assure qu’il a envisagé de l’arrêter, mais qu’il aurait finalement renoncé face à la puissance de feu des hommes de Toumba et aux risques d’affrontements au sein des forces armées
avec rfi