On ne change pas à…85 ans. On n’engage pas une révolution de sa politique ou de sa gouvernance après…36 ans. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que la veille de l’ouverture de la campagne électorale de la présidentielle du 7 octobre, ‘’Pour le libéralisme communautaire’’, la boussole de son action longtemps reléguée aux oubliettes, a été exhumée (la nouvelle édition du livre a été présentée dans tout le pays) en vue «d’une réappropriation du socle doctrinal du Renouveau». Autant parler d’une résurrection de la vision fondatrice du magistère de Paul Biya.
Pourtant, à l’écoute de son discours d’investiture, d’aucuns se prennent à rêver d’un Paul Biya nouveau. En effet, le 6 novembre à l’Assemblée nationale, le président de la République a laissé l’impression de vouloir donner un autre souffle à son règne. Surtout quand il déclare, s’adressant à ses jeunes compatriotes qui se sont toujours considérés sous le Renouveau comme des laissés-pourcompte : «J’ai compris votre aspiration profonde à des changements qui vous ouvrent les portes de l’avenir et permettent votre plein épanouissement.»
On est d’autant plus enclin à croire à une dynamique nouvelle que celui qui vient d’être réélu pour un septième mandat d’affilée envoie un autre message clair aux jeunes : «J’ai tout aussi compris votre désir de mieux participer à la prise des décisions qui engagent l’avenir de notre pays». Mais toute la désillusion pourrait être portée par cette nuance : «J’en tiendrai compte en ayant à l’esprit que le Cameroun de demain se fera avec vous». Demain, et non aujourd’hui, appartient donc à cette frange de la population.
CHANGEMENT À DOSE HOMÉOPATHIQUE
C’est dire que si Paul Biya change sa manière de gouverner, le changement devrait s’opérer à dose homéopathique. D’abord son gouvernement. Depuis 1982, Paul Biya a essayé beaucoup de Camerounais, de toutes les générations. Seulement, le Président n’a pas très souvent eu la main heureuse. Quand, au fil des discours, il ne pointe pas la corruption, c’est l’inertie du gouvernement que le président de la République identifie comme principal frein à son action. Dans ces conditions, fastidieux pour lui de prendre le temps pour dénicher le Camerounais nouveau, travailleur acharné pas encore corrompu par les pratiques et l’environnement, mu par le seul intérêt général. Pour autant, le Président prendrat-il les mêmes pour recommencer ?
Il est fort possible que le prochain gouvernement subisse un grand chamboulement, surtout que l’après élection présidentielle est toujours propice à l’entrée de nouvelles têtes en son sein. «Après une élection présidentielle, le Président élu reçoit des lettres et des mémorandums de toutes origines, expliquant les unes que son élection doit particulièrement au dévouement de telles et telles personnalités, et les autres que les populations de la région ou du département d’origine de ces personnalités seraient heureuses et infiniment reconnaissante de voir leurs fils entrer au gouvernement. Les autorités administratives adressent aussi leurs notes confidentielles sur les élites ayant le soutien des leurs ou ayant significativement contribué à la campagne électorale. Les services de renseignements y vont aussi de leurs bulletins spéciaux. Enfin, il y a les partis politiques ayant pris part à la campagne du Président élu», écrit JeanMarie Atangana Mebara, ancien SG/PR, dans «Le secrétaire général de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités».
LE SORT DES BARONS
Dans cet exercice peu aisé surtout en cette fin de règne, Paul Biya peut-il balayer d’un seul trait tous ces barons avec lesquels il a cheminés depuis 1982? Il est fort possible qu’on n’assiste pas à une alternance générationnelle ou à une forte juvénilisation de la classe gouvernante. Même si la formation du prochain gouvernement donne lieu à un tsunami, il est peu probable que la nouvelle équipe ouvre la porte à des personnalités jusque-là inconnues, qui n’aient jamais été appelées par Paul Biya.
«Tout au plus, il va se séparer de quelques anciens n’ayant plus la force de leurs charges ou qui à ses yeux ont péché d’une manière ou d’une autre», souffle une source bien introduite au sein du sérail. Sans plus. Car, croit-elle savoir, il est difficile à Paul Biya de s’entendre avec la jeune garde. En plus, les vieux, qui pour la plupart n’ont d’autre ambition que de couler des vieux jours tranquilles, sont pour lui une assurance de loyauté et d’accompagnement jusqu’à sa propre retraite, à la différence des plus jeunes, qu’il ne connait pas personnellement, et qui présentent des risques. «Il faut tenir compte du contexte, de l’ambiance qui est manifestement celle d’une fin de long règne. Contrairement à hier, le chef de l’Etat qui n’ignore rien des appétits du pouvoir de certains les tolère à cause du temps politique», susurre une source fiable.
Il n’est un secret pour personne que le Président, physiquement, n’est plus tout frais. Pourra-t-il aller jusqu’au bout de son mandat en 2025 ? D’aucuns le croient ferme, qui soutiennent que Paul Biya tient encore à son pouvoir, parce qu’il ne veut pas avoir les regrets d’un Ahmadou Ahidjo ou vivre les infortunes d’un Dos Santos. Donc qu’il est plus enclin à gouverner jusqu’au bout.
Mais réputé indéchiffrable, Paul Biya peut surprendre. D’aucuns sont convaincus qu’il passera la main après deux ou trois ans, après sa CAN 2019 à laquelle il tient plus que tout. Il œuvrera pendant ce temps à restaurer cette paix troublée ces derniers temps et qui lui est si chère. Ceux-là pronostiquent le scénario du 4 novembre 1982. Mais avec ce Président si insaisissable, c’est comme si on ouvrait un débat sur le sexe des anges
Journaliste: Dominique MBASS