Le clan Bongo a peur depuis l’AVC d’Ali Bongo, survenu à Riyiad le 24 octobre. Réussira-t-il à garder la main sur le coffre-fort gabonais, comme c’est le cas depuis plus de cinquante ans, si le président ne pouvait pas reprendre les rênes du pouvoir ? Rien n’est moins sûr, tant le peuple gabonais est remonté comme jamais après des décennies de pillage systématique et d’élections truquées. Notamment la dernière qui aurait dû installer Jean Ping dans le fauteuil présidentiel. Mais pour l’instant, le système Bongo dispose d’une très belle carte dans le jeu compliqué qui s’annonce : Marie-Madeleine Mborantsuo, la présidente de la Cour constitutionnelle, baptisée 3M ou « la tour de Pise » parce qu’elle penche toujours du même côté, celui d’Ali et consorts
Cet ancien mannequin âgée de 63 ans doit toute sa carrière à Omar Bongo qui a été son amant et le père de ses deux enfants. Elle a été nommée présidente de la Cour constitutionnelle en 1991 avec l’avènement du multipartisme. Dès décembre 1993, pour les élections présidentielles, elle a couvert son amant pour avoir proclamé au premier tour sa victoire avant la fin des dépouillements alors qu’il était en ballottage contre Paul M’Ba Abessole… Plus récemment, en 2009 et 2016, elle a validé le trucage des élections et proclamé Ali Bongo président avec un toupet extraordinaire. En août 2016, 3M a ainsi fermé les yeux sur les résultats du Haut-Ogooué, sa province natale et celle des Bongo qui aurait voté pour Ali à 95,46% des voix, avec un taux de participation de 99,83% ! La mission des observateurs européens a mis en doute les résultats définitifs en parlant d’une « évidente anomalie » tout en pointant du doigt « la trop grande marge procédurale laissée à la discrétion de la Cour constitutionnelle. »
RÉUNIONS CLANDESTINES DU CLAN BONGO
Auteur d’un livre publié en France en 2007 chez Economica avec comme titre « La contribution des Cours constitutionnelles à l’État de droit en Afrique », Marie-Madeleine Mborantsuo est en réalité la garante de l’Etat de non-droit au Gabon ! Ajoutons qu’elle est soupçonnée de détournements de fonds publics et blanchiment en bande organisée par le parquet national financier français. Pour les enquêteurs, ses seuls salaires ne peuvent expliquer d’importantes sommes en liquide comme des dépôts sur ses comptes à Monaco. Elle a donc été entendue par la police française en décembre 2017…
Dans les heures et les jours qui ont suivi l’accident de Riyad, des réunions clandestines du clan Bongo ont eu lieu au domicile de 3M pour essayer de définir une stratégie de gestion de crise. S’y sont succédés Boniface Assélé, l’oncle d’Ali, Frédéric Bongo, demi-frère du président, ex de Saint-Cyr et patron des services spéciaux, Brice Laccruche Alihanga, le directeur de cabinet d’Ali, Emmanuel Issozé Ngondet, le Premier ministre, Etienne Massard Kabinda Makaga, le ministre de la Défense, André Dieudonné Berre, le patron du Parti démocratique gabonais (P.D.G, le parti présidentiel), Alain-Claude Billie bi Nzé, le ministre des Sports, et quelques autres. Question centrale au cœur des débats : Ali Bongo sera-t-il en mesure de reprendre sa place et si oui, quand ?
La gestion de la communication officielle ayant été complètement chaotique, le Premier ministre allant jusqu’à qualifier les problèmes de santé du chef de l’Etat de « non-événement », la rumeur de son décès s’est déchainée et les réseaux sociaux ont relayé et amplifié la confusion.
JEAN PING, L’HOMME QUI FAIT PEUR AU CLAN BONGO
L’absence du président se prolongeant et paralysant le fonctionnement de l’Etat, la « tour de Pise » craignait d’être inéluctablement contrainte d’appliquer un jour prochain l’article 13 de la Constitution qui prévoit l’installation de la présidente du Sénat, Lucie Milebou Mboussou, à la place d’Ali pour préparer de nouvelles élections. Impossible pour le clan d’imaginer une telle extrémité qui les priverait à coup sûr du pouvoir. Car à leur yeux Lucie est hautement suspecte : une de ses filles n’est-elle pas l’épouse de Franck Ping, le fils de Jean Ping, le « vrai » vainqueur des dernières élections. Suspecte aussi en raison de ses liens de proximité avec Denis Sassou Nguesso, le président du Congo, dont le fils Denis Christel est marié avec une autre fille de Lucie. Un Sassou qui de surcroît a soutenu et soutient Ping…
Le président congolais, grand-père d’un demi-frère et d’une demi-sœur d’Ali, suit de très près la situation gabonaise et n’a pas l’intention de rester les bras croisés. Il est en relation permanente avec Paris où la question de l’après-Ali mobilise plusieurs acteurs : Franck Paris, le conseiller Afrique d’Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian, le patron du quai d’Orsay et Rémi Maréchaux son directeur Afrique et Océan indien. Visites et coups de fil gabonais s’enchaînent. Jean Ping, l’homme qui fait évidemment très peur au clan Bongo, fait l’objet d’une grande attention à l’Elysée puisqu’il incarne incontestablement la volonté populaire. Sans le soutenir ouvertement, il lui a été conseillé de prendre rapidement la parole. Le 3 novembre, se présentant comme l’actuel président de la République, Jean Ping a ainsi lancé un appel au rassemblement de tous les Gabonais: « J’envisage donc avec votre aide la mise en place de la Nouvelle République pour le bien de tous. » Ping a aussi noué et renoué des contacts secrets avec quelques leaders de la majorité et ceux de la Coalition pour une Nouvelle République, jugés, semble-t-il, « fructueux » de part et d’autre. L’équation pour Ping est à la fois simple et compliquée : comment passer de l’état de président virtuel du Gabon à celui de président en exercice.
La présidente de la Cour constitutionnelle, devenue en réalité la patronne effective du pays, fera tout pour contrarier la solution Ping. Elle a finalement décidé de modifier la Constitution en ajoutant un alinéa à l’article 13, pour y introduire la notion d’ « indisponibilité temporaire » et ainsi de faire vivre Ali …sans Ali alors qu’elle n’a en réalité pas le droit de toucher aux textes,toute modification relevant du seul ressort de l’Assemblée nationale. Par décision n° 219/CC du 14 novembre dernier, 3M a décidé de placer aux commandes de l’Etat deux obligés d’Ali, Pierre-Claver Maganga Moussavou, le vice-président, et Emmanuel Issoze Ngondet, le Premier ministre, permettant ainsi la tenue d’un conseil des ministres convoqué par le premier malgré l’absence du président.
L’Union Africaine, qui ne brille pas toujours par son souci démocratique, a néanmoins mis en garde le pouvoir gabonais. Le 17 novembre, le président de la Commission réaffirme « l’indéfectible attachement de l’Union Africaine au strict respect de l’ordre constitutionnel. » De son côté l’opposition crie fort et parle de coup d’Etat institutionnel. L’ancien premier ministre et sénateur Jean-Eyeghe Ndong, demande à la population à se réunir au carrefour Rio, le vendredi 23 novembre. La société civile exige la démission de Marie-Madeleine Mborantsuo pour usurpation flagrante de la souveraineté nationale. L’agitation s’amplifie. Les syndicats menacent…Mais le 21 novembre, pour tous ceux qui commençaient à croire à une embellie démocratique c’est la douche froide : « Africa intelligence » (La Lettre du continent) lance une alerte pour annoncer qu’Ali Bongo s’apprête à quitter le King Faisal Hospital de Riyad pour une convalescence au Maroc comme le souhaitaient les autorités gabonaises et Mohammed VI. Marie-Madeleine Mborantsuo a validé ce transfert avec les pontes du clan et malgré l’opposition de Sylvia Bongo qui souhaitait que son mari soit transféré à Londres. Justement : au même moment, Jeune Afrique annonce qu’Ali Bongo va effectivement poursuivre sa convalescence à Londres ! Les réseaux sociaux s’enflamment et crient à la manipulation. « Ce sont des articles commandés par l’entourage de Bongo, s’indigne un membre de l’entourage de Jean Ping. La contradiction entre les deux articles est révélatrice des divisions qui existent au sein de l’équipe d’Ali. » Le lendemain, sur TV5.Monde, l’ambassadeur du Gabon à Paris confirmait grosso modo cette analyse, précisant qu’Ali Bongo était toujours hospitalisé à Riyad. Bref, le clan Bongo a du souci à se faire.
Avec marianne