Comment répondre à des exigences qui relèvent de l’apport des connaissances dans des contextes où les demandes d’expertise technique en matière d’intervention sanitaire ou médicale se multiplient ?
En juin 2018, au WARC (West African Research Center) à Dakar, nous présentions pour la première fois notre ouvrage collectif Tu seras docteur.e mon enfant, en présence du Professeur Laurent Vidal, auteur de Faire de l’anthropologie : santé, science et développement (éditions La Découverte, 2010).
Parmi nous, un jeune docteur en sociologie avouait avec une pincée d’amertume qu’il aurait aimé « continuer » à l’université, mais qu’il n’était pas moins « fier » d’être consultant pour une grosse organisation non gouvernementale :
« Les contraintes ne sont pas les mêmes. On travaille avec des termes de référence imposés […]. Mais ça nourrit bien son homme ».
Le cas de ce jeune collègue n’est absolument pas isolé. Pour les nombreux candidat·es au doctorat sur les questions comme l’éducation, l’agriculture ou la santé, la consultance s’avère être à la fois un marqueur du parcours doctoral et un projet professionnel.
Dans l’ouvrage collectif précité, au rang des motivations à s’engager dans une thèse de doctorat, il y a très souvent les opportunités ouvertes par des projets financés par des acteurs étrangers. Ces projets constituent des incitations sérieuses à s’engager dans la recherche au cours de son master ou de son doctorat, et le désir de travailler à temps plein pour les organisations qui financent ces projets est considérable.
S’éloigner des objectifs de la recherche
En effet, l’insuffisance, voire l’absence de moyens destinés à la recherche au sein des universités africaines, de même que les demandes de plus en plus croissantes d’expertise locale sur des enjeux dits de développement poussent les jeunes chercheur·e·s à s’éloigner, parfois pendant longtemps des objectifs propres à la recherche qui sont : le positionnement dans des débats scientifiques, empiriques et théoriques à travers les publications ; la priorité aux enquêtes de terrain rigoureuses et intensives ; la priorité à la production de connaissances nouvelles empiriquement fondées ; le respect des normes et standards internationaux en matière scientifique.
La consultance et l’expertise répondent à des logiques différentes. Les termes de référence sont plus ou moins imposés, le temps imparti à la collecte des données est court, la pression forte pour une aide à l’action au service du commanditaire, etc. Au final, rien n’indique que l’expertise sociologique sollicitée ait un réel impact.
Un seul thème : « l’Afrique » ou « les Africains »
Le ou la jeune chercheur·e en sciences sociales et santé africain·e est dès le départ pris·e entre plusieurs logiques qu’il doit concilier. Premièrement, le choix de ses objets de recherche. Contrainte postcoloniale ou géographique ?
La quasi-totalité des recherches menées par les jeunes chercheur·e·s africain·e·s sur la santé ont pour dénominateur commun, unité partagée et point de départ et d’arrivée « l’Afrique » ou « les Africains ».
Bien sûr la recherche sur le continent par les enfants du continent est jeune et nécessite d’être approfondie. Cependant, les sujets traités ont (presque) toujours trait au développement. L’Afrique n’est-elle pas le laboratoire par excellence des politiques d’aide au développement ?
L’Université elle-même, ce legs colonial, n’a-t-elle pas été pensée pour répondre aux exigences de développement ?
Lorsqu’on choisit par exemple de travailler sur la santé maternelle, le paludisme, ou le VIH/sida plutôt que sur le tabagisme, la santé mentale ou l’obésité, c’est dans la certitude que ces thématiques intéressent les acteurs du Nord (ONG ou centres de recherche). En l’état actuel des choses, c’est-à-dire vu l’état de nos universités et le déséquilibre des relations Nord-Sud, il semble quasi impossible d’échapper à cet étau. Il y a pourtant une liberté à conquérir dans le choix de ses objets, peu importe qui on est et d’où on vient. Le premier enjeu est donc celui de l’autonomie.
Avec weforum