Démission, état de santé invalidant (coma, hospitalisation longue durée), destitution ou décès, autant de faits qui d’ordinaire, sont les raisons de la constatation puis de la déclaration d’une vacance de pouvoir par les institutions d’un pays.
La vacance de pouvoir est une période au cours de laquelle le Président de la République se trouve en incapacité provisoire ou définitive d’assurer la gestion de l’Etat. Coutumier du fait, le Gabon s’est presque toujours retrouvé dans cet imbroglio constitutionnel comme ce fut le cas en 1967 avec le décès Léon Mba Minko qui avait eu lieu en juin et dont l’annonce officielle n’a été faite qu’en novembre, et en 2009 après le décès de feu Omar Bongo Ondimba où la Cour Constitutionnelle a dû se résoudre à la constater, puis à la prononcer par la force des choses.
A l’heure où des suspicions nées de l’état de santé du Chef de l’État actuel font poindre l’ombre d’un empêchement définitif, il devient impératif d’édifier ces derniers sur les dispositions juridiques encadrant cette procédure.
De la lettre et l’esprit de l’article 13
La vacance présidentielle est prévue dans la Constitution. Elle organise l’exercice des pouvoirs du Président de la République en cas d’absence temporaire, prolongée ou définitive.
En droit gabonais, cette disposition visant à circonscrire des hypothèses portant atteinte à la fonction présidentielle est soulevée par l’article 13 de la Constitution.
Issue de la révision constitutionnelle du 12 janvier 2011, la disposition relative à la vacance nous enseigne qu’ « en cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement définitif de son titulaire constatée par la Cour Constitutionnelle saisie par le gouvernement et statuant à la majorité absolue de ses membres, ou à défaut par les bureaux des deux chambres du Parlement statuant ensemble à la majorité de leurs membres, le président du Sénat exerce provisoirement les fonctions de Président de la République…»
D’emblée, la Loi Fondamentale pose les conditions de la vacance de pouvoir. Elle doit être appréciée puis constatée par la Cour Constitutionnelle après que cette dernière eut été saisie par le Gouvernement après qu’il ait statué à la majorité de ses membres. En sus du Gouvernement, la Cour Constitutionnelle peut être saisie aux fins de constatation de la vacance de pouvoir présidentiel par les bureaux des deux chambres du Parlement (Sénat et Assemblée nationale) statuant elles aussi à la majorité des leurs membres.
En cas d’empêchement du Président du Sénat, lequel doit être dûment constaté par la Cour Constitutionnelle, il est remplacé par le 1er vice-président du Sénat.
Pour le constituant, l’alinéa 2 du présent article encadre les pouvoirs de l’autorité assurant l’intérim en édictant ceux-ci non sans poser quelques limites. C’est en cette occurrence qu’il précise que « l’autorité qui assure l’intérim du Président de la République est investie, à titre temporaire, de la plénitude des fonctions du Président de la République à l’exception des articles 18, 19 et 116, alinéa 1er. Elle ne peut se porter candidat à l’élection présidentielle ».
Par le présent alinéa, le constituant bien qu’octroyant à l’autorité assurant l’intérim les pouvoirs exclusifs du Chef de l’Etat, il n’omet pas de restreindre certains d’entre eux. C’est en conséquence de cette volonté, qu’il retire de l’autorité intérimaire les prérogatives issues des articles 18, 19 et 116. Soit respectivement, le recours au référendum, la dissolution de l’Assemblée Nationale, et pour finir, l’initiative de réviser la Constitution.
Enfin, au terme de cet alinéa, il l’exclut de la course à la présidentielle anticipée, l’autorité ayant assuré l’intérim.
En restreignant de façon stricte et inflexible, les prérogatives nées des articles 18, 19 et 116, et en les excluant de la course à la magistrature suprême, le constituant veut se prémunir de toute initiative opportuniste et antirépublicaine. Visionnaire, il a surtout voulu préserver l’idéal Républicain en nous épargnant des éventuelles forfaitures et félonies masquées au sommet de l’Etat.
L’alinéa 3 pour sa part, précise qu’« Avant son entrée en fonction, l’autorité concernée, prête serment dans les conditions prévues par l’article 12… ». Le constituant par cet alinéa, souhaite pour l’autorité intérimaire qu’il épouse pleinement la fonction de chef de l’Etat en garantissant, entres autres, de préserver le pays de tous dommages, de respecter et de garantir l’état de droit.
Du blanc-seing donné à la Cour Constitutionnelle
Afin de saisir aisément, l’essence et l’esprit de l’article 13, y compris les effets éventuels de celui-ci dans la situation actuelle, il convient de distinguer clairement, la vacance de l’empêchement.
Ainsi, selon François Luchaire, professeur de droit public, cofondateur de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste du droit constitutionnel, « la vacance concerne une fonction, l’empêchement une personne ; la vacance est le fait qu’une fonction reste sans titulaire, l’empêchement est la situation d’un homme titulaire d’une fonction qu’il ne peut remplir. Cet empêchement peut être temporaire ou définitif ; s’il est définitif, il entraîne la vacance ».
En amont, il convient de préciser que la vacance est de fait, constatée de par la matérialité de l’absence physique de la personne censée assurer la fonction présidentielle. Cela dit, juridiquement, la vacance n’est susceptible d’être prononcée que dans le cas précis de l’absence définitive de l’homme supposé assurer la fonction vacante.
Dit autrement, l’empêchement temporaire pour maladie notamment, n’entraîne pas une vacance de pouvoir. La seule condition supposée faire constater la vacance de pouvoir par l’institution, est un empêchement définitif donc la mort du Président en exercice ou une maladie tellement invalidante qu’il serait dès lors, impossible pour lui, de présider aux destinées du pays.
Ce dernier de poursuivre, « la vacance est une situation objective dont l’existence ne se discute pas, l’empêchement est une situation subjective dont l’existence exige une appréciation confiée au Conseil Constitutionnel. Si la constitution distingue ces deux notions, c’est parce que la seconde exige une appréciation du Conseil Constitutionnel tandis que la première s’impose par elle-même sans qu’il y ait besoin de la déclarer ».
Ainsi posé, l’empêchement du moins sa prononciation ne dépendent que du bon vouloir de la Cour. En d’autres termes, consciemment, la Cour Constitutionnelle peut décider dans une situation nécessitant la constatation d’une vacance, de ne ni la constater, ni la prononcer.
Car, le constituant ne donne aucune indication sur la durée susceptible de faire constater la vacance de pouvoir.
Quand ? Passés combien de jours ou de semaines doit-on considérer comme vacante la fonction de Président de la République ?
A cette interrogation, le constituant reste évasif. Il se borne à évoquer une vacance de pouvoir en restant tout aussi imprécis sur la raison pouvant faire constater celle-ci. Il n’évoque pas « quelque cause que ce soit ». Tout est fait comme si on donnait à la Cour Constitutionnelle, partant au Gouvernement, une sorte de blanc-seing, c’est à dire toute la latitude de décider du moment le plus pertinent, selon eux, de faire constater la vacance de pouvoir.
Une situation qui interroge, car c’est en vertu de son statut d’autorité indépendante du pouvoir politique sur laquelle ne devrait peser aucune suspicion de partialité, que la Cour Constitutionnelle est l’institution qui doit certifier de la situation l’empêchement. Sauf que l’histoire récente de la vie politique gabonaise nous enseigne que la partialité de la Cour Constitutionnelle n’est que vérité qui tombe véritablement sous le sens.
Pourtant, il est important que ne s’éternise pas une situation dans laquelle le président de la République ne puisse plus exercer sa fonction. Il en va de la légitimité de la fonction. C’est pourquoi la situation de l’état de santé du Chef de l’exécutif, doit faire l’objet d’une attention particulière.
En l’espèce, selon plusieurs médias, renforcés en cela par la sortie du porte-parole de la Présidence, le Chef de l’Etat serait hospitalisé à Riyad pour dit-on, « une fatigue sévère ».
Plus d’une semaine après, en prenant appui sur les informations privilégiants la thèse de la fatigue, il semble difficile, pour une telle situation, sans preuve effective d’un état de santé critique, de se prononcer en faveur d’une constatation de la vacance de pouvoir. Et ce d’autant plus que sa constatation, puis sa prononciation, restent emmurées par la seule volonté de la Cour Constitutionnelle qui se trouve être la seule dixit l’article 13 de la Constitution compétente à rendre ouverte la vacance de pouvoir. Elle reste donc soumise à l’appréciation souveraine de la Cour Constitutionnelle.
Dit autrement, même en présence d’une situation particulièrement grave comme le font feindre les médias internationaux, en évoquant un éventuel accident vasculaire cérébral, la rédaction lacunaire de l’article 13, ne fait peser ou prévaloir, ni sur la Cour, ni sur le Gouvernement, encore moins sur le Parlement, un moyen de pression suffisamment important pour ouvrir la vacance dans des conditions transparentes et objectives.
Du déroulement de la vacance de pouvoir
La vacance de pouvoir une fois constatée et prononcée par la Cour Constitutionnelle, «…la fonction de Président de la République est provisoirement exercée par le Président du Sénat…» ou en cas d’absence de ce dernier, par le premier Vice-président du Sénat. C’est la période de transition nécessaire à la préparation, puis l’organisation de la future élection présidentielle.
S’agissant de l’élection présidentielle, le constituant écarte de la course celui qui assure l’intérim soit le président du Sénat soit le vice-président du Sénat. C’est ainsi qu’il l’affirme dans l’alinéa 2 de l’article 13 de la Constitution, « l’autorité qui assure l’intérim du Président de la République… ne peut se porter candidat à l’élection présidentielle ».
L’alinéa 3 du même article, pour sa part, donne des précisions sur les délais légaux nécessaires à l’organisation de l’élection présidentielle. Une fois l’empêchement définitif constaté par la Cour Constitutionnelle, « le scrutin pour l’élection du nouveau président de la république, a lieu sauf cas de force majeure, constaté par le Cour Constitutionnelle, trente jours au moins et soixante jours au plus après l’ouverture de la vacance ou la déclaration définitive de l’empêchement ». C’est l’innovation née de la révision constitutionnelle de 2011 qui fait passer le délai maximum de 45 à 60 jours.
En 2009, après le décès de feu Omar Bongo Ondimba le 8 Juin, l’élection avait été organisée le 30 août 2009 soit un peu moins de 3 mois après le décès et la constatation officielle de la vacance de pouvoir.
Ce prolongement des délais largement au-dessus de ceux prévus par les textes, avait justement été rendu possible en soulevant un cas de force majeure. En effet, le 6 juillet 2009, le gouvernement avait officiellement demandé à la Cour Constitutionnelle de repousser le tenue de l’élection au-delà du délai légal de quarante-cinq jours. La Cour avait à cette époque considéré que l’organisation les obsèques de feu Omar Bongo pouvait être considérée comme le « … cas de force majeure…» au sens de l’alinéa 3 de l’article 13 de la Constitution. Finalement, c’est le 30 août soit exactement quatre-vingt-sept jours, après la constatation de la vacance de pouvoir que le scrutin fut organisé.
In fine, la rédaction de l’article 13 de la Constitution bien que lacunaire sur la période ou l’absence au terme de laquelle la vacance de pouvoir présidentielle devrait être constatée puis prononcée, pose assez clairement les conditions de son exercice du moins sur le plan formel. Seulement, son application stricte se heurte au blanc-seing donné à la Cour qui n’apprécie que subjectivement et aléatoirement la nécessité de prononcer une vacance de pouvoir.
Le respect et l’application de nos dispositions constitutionnelles participent à l’équilibre de l’Etat de droit. C’est pourquoi elles doivent prévaloir sur l’omerta qui entoure l’état de santé véritable du chef de l’exécutif.
Pharel Boukika
Juriste, Co-fondateur de Que Dit La Loi
Avec gabonmediatime