Camouflet pour la justice sénégalaise : saisie d’une demande de confiscation immobilière et bancaire, la justice parisienne ne voit rien à reprocher à Karim Wade et Bibo Bourgi au vu du code pénal français.
C’est depuis le Qatar, où il réside depuis sa libération, le 24 juin, que Karim Wade a accueilli la bonne nouvelle. Via WhatsApp, où son compte a adopté comme photo de profil le drapeau sénégalais, il a répercuté lundi soir, 26 septembre, le communiqué rédigé par ses avocats : « La justice française vient de rejeter les demandes présentées par l’État du Sénégal pour obtenir la confiscation des biens [parisiens] appartenant à Karim Wade. L’État du Sénégal se prévalait de l’arrêt tant décrié de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), juridiction d’exception ressuscitée par le président Macky Sall en violation de la Constitution et des conventions internationales signées par le Sénégal. »
Un désaveu qui s’ajoute aux déconvenues déjà subies
De fait, ce lundi 26 septembre, la justice sénégalaise a essuyé, devant le TGI de Paris, un cinglant désaveu qui vient s’ajouter aux déconvenues déjà subies devant la Cour de justice de la Cedeao (en 2013) ou le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire (en 2015). Comme le rappellent les avocats de l’intéressé, « ce jugement, solidement argumenté, écarte l’une après l’autre les accusations portées contre Karim Wade en constatant qu’aucun des faits invoqués contre lui ne constitu[e] une infraction ».
L’objet officiel de la saisine apparaît moins important que la portée du jugement provisoire, lu à l’audience et dont JA a pu prendre connaissance. Condamnés en mars 2015, respectivement à 6 et 5 ans de prison pour enrichissement illicite et complicité, Karim Wade et Ibrahim Aboukhalil (alias Bibo Bourgi) sont par ailleurs soumis à des peines secondaires conséquentes. Si tous deux ont été graciés en juin par le président Macky Sall, ce qui les exonère de la peine carcérale, ils demeurent en revanche soumis à une amende de 138 milliards de F CFA et à la confiscation de tous leurs biens.
Faire exécuter en France la saisie de plusieurs biens
Soucieuse de faire appliquer la sentence à l’étranger, la justice sénégalaise avait saisi, en 2015, le parquet national financier afin de faire exécuter en France la saisie de plusieurs biens appartenant aux condamnés : pour Karim Wade, un appartement sis rue de la Faisanderie, dans le XVIe arrondissement de Paris, ainsi qu’un compte bancaire à l’agence Paris-Madeleine de la Société générale (au solde de 48 000 euros) ; pour Bibo Bourgi, un appartement parisien rue Émile-Ménier, également dans le XVIe arrondissement, détenu par une SCI parisienne elle-même propriété d’une société basée au Luxembourg.
Pour se prononcer sur l’exécution de cette demande de confiscation, les magistrats français ont dû se plonger dans les deux jugements de référence produits par la justice sénégalaise contre Karim Wade et Bibo Bourgi : l’arrêt de la CREI de mars 2015, et la décision de la Cour suprême du Sénégal, venue le confirmer en août 2015. Le délit d’enrichissement illicite n’existant pas en droit français, la juridiction parisienne a passé en revue l’ensemble des délits assimilables qui auraient pu être reprochés à Bibo Bourgi, mais surtout à Karim Wade.
Concernant l’homme d’affaires d’origine libanaise, l’affaire est vite entendue. Selon le tribunal, l’arrêt de la CREI « ne mentionne à aucun moment la SCI Aisa [Paris] et la SA Djoz [Luxembourg], de sorte qu’il est impossible d’établir un lien entre les parts de ces sociétés et l’infraction reprochée à M. Aboukhalil ». « La demande de confiscation ne peut qu’être rejetée à l’égard de celui-ci », concluent sèchement les juges.
Les faits reprochés n’apparaissent pas constitutifs de l’une quelconque de ces infractions en droit français »
Pour Karim Wade, ces derniers se livreront à un exercice laborieux : examiner un à un les articles du code pénal français susceptibles de correspondre à l’incrimination, retenue par la justice sénégalaise, d’enrichissement illicite. Dans le jugement lu à l’audience, ils évoqueront ainsi la corruption, le blanchiment, la non-justification de ressources, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts ou encore le détournement de fonds publics. Là encore, les magistrats réduisent à néant les prétentions de leurs homologues sénégalais : « Aucun de ces agissements spécifiques n’a été suffisamment établi à l’encontre de M. Wade, de sorte que les faits reprochés n’apparaissent pas constitutifs de l’une quelconque de ces infractions en droit français. »
Vers un appel ?
« C’est enfin une victoire du droit », estime Me Corinne Dreyfus-Schmidt, avocate de Bibo Bourgi, selon qui « le tribunal a rendu une décision extrêmement motivée dans laquelle il indique qu’il n’existe aucun élément prouvant que les biens revendiqués auraient servi ou seraient issus d’une quelconque infraction ». Dans le camp adverse, Me Félix Sow, avocat de l’État du Sénégal, ne cache pas son mécontentement : « La France a ratifié la Convention de Merida, qui a, dans ses dispositions, l’enrichissement illicite, la corruption, le blanchiment. Cette Convention est ainsi au dessus du droit interne français. »
Selon l’avocat, « le Sénégal a le droit d’introduire un appel ». Un scénario qui apparaît peu probable, car les juges français ont déjà estimé, en juin, que l’État sénégalais ne saurait être partie prenante à cette procédure. Si appel il doit y avoir, il ne pourra donc émaner que du Parquet français.
avec jeuneafrique