Ambition Africa 2018, organisé par Business France, a réuni plus de 600 entreprises, les 22 et 23 octobre. Les rencontres ont entériné le tournant engagé depuis quelques années par l’hexagone. Entre pragmatisme et recentrage géographique, la France s’appuie sur de nouveaux « ambassadeurs » issus du secteur privé pour soutenir une realpolitik européo-africaine.
Ambition Africa 2018 s’est ouvert sur la signature d’un accord pour le développement durable et le climat entre l’Agence Française de Développement (AFD) et Business France. Une initiative qui a été particulièrement applaudie, en dépit de l’absence remarquée de Bruno Le Maire ou du Premier ministre éthiopien, entre autres ministres d’Etat attendus à Paris. Cina Lawson, ministre des Postes et de l’Economie numérique du Togo, Amadou Koné, ministre des Infrastructures et des Transports de Côte d’Ivoire et Sambou Wague, ministre de l’Energie et de l’Eau du Mali, avaient néanmoins répondu présents à l’invitation de Business France.
Le rendez-vous d’affaires a réuni plus de 800 personnes pendant 48 heures, au centre de conférences Pierre-Mendès France du ministère de l’Economie et des Finances. L’attractivité du continent ne faiblit pas. L’année dernière, ce sont 38 000 entreprises françaises qui ont exporté vers des pays africains et les IDE français sur le continent (53,5 Md€) ont été multipliés par 7 entre 2002 et 2017. Par ailleurs, plusieurs accords de partenariat économique (APE) sont actuellement en cours de signature avec différentes régions du continent, qui concentrera 25 % de la population mondiale d’ici 2050.
Une nouvelle approche euro-concertée
Cette première édition d’Ambition Africa était attendue comme l’un des moments « clef » de l’année, dans la stratégie de refondation des relations franco-africaines initiée depuis 2012 par l’Elysée. « Les émissaires, les intermédiaires et les officines trouvent désormais porte close à la présidence de la République française comme dans les ministères » déclarait le président Hollande. L’événement parisien était le reflet de ce repositionnement stratégique « 100% business » renforcé aujourd’hui par le président Macron.
L’absence d’acteurs politiques français de premier plan et des grands « barons » des anciens réseaux d’affaires, contrastait avec les échanges tous azimuts entre acteurs économiques français et africains, dans le cadre des rendez-vous BtoB organisés en marge des séances plénières. « Il est temps de passer des discours aux actes » a insisté Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. L’heure est aux initiatives concrètes pour des solutions « durables ». Le forum était donc marqué par un certain pragmatisme, relayé par des personnalités du monde des affaires telles qu’Alexandre Maymat, DG Afrique de la Société Générale, Yoven Moorooven, DG d’Engie Afrique, Patrice Fonlladosa, DG de Veolia Afrique et Moyen-Orient, Mossadeck Bally, PDG-Fondateur d’Azalai Hôtels et autres entrepreneurs et porteurs de projets européens et africains.
L’approche gouvernementale se veut désormais résolument européenne. « Nous avons une vision européenne de construction intégrée (…) Si nous ne sommes pas capables de construire ses positions de co-construction, c’est une vraie problématique pour l’Europe et en particulier pour la France » a souligné Agnès Pannier-Runacher, nouvellement nommée secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie. « Nous sommes à un moment particulier dans notre relation avec l’Afrique » a ajouté Jean-Baptiste Lemoyne qui considère lui aussi, que le temps est venu de « travailler de façon euro-concertée ».
Forte présence des Africains anglophones
« Arrêtons de couper l’Afrique en deux ! » a déclaré Rémy Rioux, rappelant l’engagement de l’AFD de traiter le continent indépendamment de ses frontières linguistiques, dans le cadre d’une stratégie du « tout Afrique ». Fini le tropisme des anciens pré-carré francophones, l’heure est à la conquête de l’Est !
La multiplication des signes du président français envers Paul Kagamé et la récente nomination de Louise Mushikiwabo au secrétariat général de la Francophonie témoignent de « l’attractivité anglophone », notamment pour le Rwanda, engagé dans une véritable révolution économique et technologique, qui vient de faire son entrée dans le top 50 du Doing Business. Aussi, malgré une vive concurrence des acteurs indiens, britanniques, américains ou chinois, qui campent depuis longtemps l’Est du continent : de Kigali à Kampala et de Nairobi à Addis-Abeba, les entrepreneurs tricolores s’orientent de plus en plus vers les nouveaux « champions » africains qui enregistrent des taux de croissance proches de 7% et jusqu’à 10% en Ethiopie.
De leur côté, entre intérêt non feint et décryptage du business français, les entrepreneurs anglophones venus nombreux du Nigéria, de l’Ethiopie, d’Afrique du Sud, du Kenya, de l’Ouganda et de Zambie, ont fait entendre leurs voix.
Le marché francophone reste attractif, il représente 14% du PIB mondial et le nombre de francophones devrait atteindre 770 millions d’ici 2050. « Avec la structuration du marché africain, le Kenya peut jouer un rôle important notamment en agribusiness sur le continent mais aussi en dehors. Nous recherchons actuellement des voies d’accès au marché francophone qui est considérable » explique Judi W. Wakhungu, Ambassadrice du Kenya à Paris.
Une Afrique francophone à reconquérir
Le dynamisme des échanges n’efface pas le déclin de la France sur le continent. Les parts de marché à l’exportation de la France en Afrique se sont effondrées, passant de 11% en 2000 à 5,5% en 2017. Simultanément, le volume des échanges commerciaux entre la Chine et le continent a été multiplié par vingt… « La France a beaucoup reculé sur le continent depuis que monsieur Balladur a dévalué le F. CFA et qu’il ait dit : On s’en va ! Les Chinois, les Turcs sont arrivés et ont pris leur place (…) il y a une surévaluation du risque or, sans rectification la France reculera encore face à l’Inde ou la Chine (…) alors que les Français tergiversent, les Portugais sont déjà dans l’avion »a prévenu Mossadeck Bally PDG-fondateur d’Azalai Hôtels.
Parallèlement, l’homme d’affaires a rappelé que le temps du recrutement d’expatriés à tout-va pour assurer les postes de management était révolu. « Les rares sociétés françaises qui restent en Afrique, ont fait confiance aux compétences africaines» précise le PDG du groupe Azalai Hôtels qui génère plus de 4 000 emplois directs et indirects dans la sous-région et dont le siège est basé à Bamako.
L’amélioration des échanges interafricains était également à l’ordre du jour: « Comment se fait-il que des fleurs du Kenya doivent transiter par les Pays-Bas pour parvenir en Afrique de l’Ouest ? » s’étonne un participant, lors d’une série de questions-réponses. Les rendez-vous d’Ambition Africa auront notamment permis aux « 2 Afriques » de se rencontrer et de croiser les chemins d’une diaspora venue nombreuse, qui reste le premier bailleur du continent avec près de 65 milliards de dollars envoyés chaque année …
L’année prochaine, le forum devrait se tenir sur le continent : « Il est important d’aller au contact des réalités, d’alterner l’évènement entre la France et l’Afrique. Cela permettra à un plus grand nombre d’acteurs de participer à ces rencontres » a annoncé Jean-Baptiste Lemoyne.
Avec la tribuneafrique