La Francophonie, réunie à Erevan, doit nommer à sa tête une Rwandaise, consacrant ainsi la victoire de l’Afrique, mais aussi celle du président français Emmanuel Macron, héraut d’une vision plurilinguiste de la défense du français.
“J’apprends les mots les plus utiles : comment ça va ? Où allez-vous ?”: Armen Darbinian, chauffeur de taxi à Erevan, s’est préparé comme jamais à ce XVIIe Sommet de la Francophonie.
Mais il aurait aimé “en connaître plus pour dire que nous sommes contents de les accueillir, parler de notre histoire, d’Erevan…”. Pour l’Arménie, un petit pays de trois millions d’habitants, dont 6% de francophones, il s’agira du plus grand événement international jamais organisé sur son sol.
Mais la joie est quelque peu ternie par la mort récente du chanteur franco-arménien Charles Aznavour, qui devait faire le déplacement à Erevan. Hommage lui sera rendu jeudi soir au cours d’un concert. Un centre culturel sera également inauguré en son nom par Emmanuel Macron.
Le président français se rend à Erevan auréolé d’une victoire, avec la nomination de sa candidate, Louise Mushikiwabo, prévue pour la fin du Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), une sorte d’ONU de poche de 84 Etats et gouvernements.
La ministre rwandaise des Affaires étrangères a le chemin libre depuis que le Canada a annoncé, avec le Québec, qu’il retirait son soutien à la secrétaire générale sortante, la Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean, qui briguait un nouveau mandat.
Le Canada et le Québec, dont la contribution financière est la deuxième de l’OIF derrière la France, ont “bien vu qu’elle n’avait pas les appuis nécessaires”, a déclaré une source gouvernementale canadienne.
Mme Mushikiwabo, adoubée par la France d’abord, a reçu le soutien essentiel de l’Union africaine présidée cette année par le Rwanda.
En vertu de son explosion démographique, l’Afrique, continent sur lequel se trouvent 27 des 54 membres de l’OIF ayant droit de vote, représentera 85% des francophones en 2050, sur un total de 700 millions, contre 274 aujourd’hui, selon l’OIF.
“Le centre de gravité de la francophonie aujourd’hui, il est en Afrique”, a récemment répété le secrétaire d’Etat français en charge de la Francophonie, Jean-Baptiste Lemoyne.
– Epineux dossier saoudien –
La prochaine nomination de Mme Mushikiwabo consacre ainsi le “retour” de l’Afrique à la tête de l’OIF, qui avait toujours été dirigée par des Africains avant Mme Jean. Cette logique a eu raison des critiques qu’a suscitées la candidature Mushikiwabo, en particulier sur son rapport assez lointain avec la francophonie.
Le Rwanda a ainsi remplacé en 2008 le français par l’anglais en tant que langue obligatoire à l’école, avant de rejoindre le Commonwealth, pendant anglophone de l’OIF, un an plus tard. C’est d’ailleurs en anglais que le président rwandais Paul Kagame avait annoncé la candidature de sa ministre, à Paris en mai.
“Y a-t-il au monde un pays moins bien placé que le Rwanda pour prétendre présider aux destinées de la francophonie linguistique ? Sans doute pas”, écrivaient mi-septembre dans une tribune au quotidien français Le Monde Charles Josselin, Pierre-André Wiltzer, Hélène Conway-Mouret et André Vallini, quatre anciens ministres français chargés de la francophonie.
Dans l’entourage de M. Macron, on souligne que le plurilinguisme du Rwanda, loin d’être un handicap, “illustre parfaitement” la politique inclusive du président, qui veut défendre le français sans l’opposer aux autres langues, une position contestée par nombre de “puristes”.
La langue n’est cependant pas le seul grief fait à la candidature rwandaise, accusée d’être contraire à la charte de l’OIF, qui a inscrit “le soutien aux droits de l’Homme” parmi ses missions premières.
Le Rwanda pratique “censure, menaces, arrestations, violences, assassinats” contre les journalistes qui osent dénoncer l’autoritarisme de ses dirigeants, a récemment dénoncé Reporters sans frontières (RSF).
Mme Mushikiwabo affirme que “la majorité des Rwandais sont contents du système démocratique”.
Le Sommet d’Erevan devra se saisir d’un autre dossier sensible: la candidature contestée de l’Arabie saoudite, qui souhaite rejoindre l’OIF en tant que simple observatrice, donc sans droit de vote.
L’embarrassant dossier saoudien fait froncer plus d’un sourcil, étant donné les violations des droits de l’Homme dans le royaume, encore illustrées par la récente disparition de l’opposant Jamal Khashoggi. La candidature saoudienne est d’autant plus embarrassante que l’OIF doit entériner à Erevan une résolution sur “la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes”.
Avec AFP