La marque au losange est à la veille d’un nouveau cycle produit qui sera inauguré en 2019 avec la Clio. C’est l’occasion de faire un bilan sur le précédent qui a, certes, permis à Renault de renouer avec les volumes mais a produit des effets pervers sur sa rentabilité.
C’est un vrai débat qui agite les spécialistes du secteur automobile. Comment faut-il juger les performances de Renault sur ces dix dernières années ? Pour certains, c’est un succès indéniable avec une gamme totalement restaurée et des volumes en forte hausse. Pour d’autres, la marque emmenée par Carlos Ghosn n’est pas parvenue à résoudre l’ensemble des questions d’un positionnement qui produit des effets paradoxaux.
Un souffle de fraîcheur et de “désirabilité”
Il faut d’abord rappeler que Renault revient de loin. Lorsque Laurens van den Acker prend les commandes du style en 2009, la marque vit le crépuscule de l’ère Le Quément avec une gamme de voitures qui ne plaisait pas… Indéniablement, le designer néerlandais venu de chez Mazda a redonné un souffle de fraîcheur et de « désirabilité », comme il le dit souvent, à la marque française.
« Depuis 2014, la première raison d’achat d’une Renault, c’est le design. En 2012, ce critère n’arrivait qu’en troisième position après la fidélité à la marque », observait Laurens van den Acker, interrogé par La Tribune au dernier Mondial de Paris, en octobre 2016.
Quel succès ! Le Captur symbolise le plus cette reconquête d’image mais également de repositionnement puisque Renault inventait alors le SUV de segment B, pour en prendre le leadership en Europe, devant les Peugeot 2008 et Opel Mokka.
Le Kadjar a en partie corrigé le raté du Koleos première génération, et la Clio a fait le travail d’une citadine à volume tout en défendant sa place historique sur le podium. À l’international, le bilan est également flatteur. En Russie, en Amérique latine et en Inde, Renault est à l’offensive et gagne des parts de marché conséquentes.
Le plan produit se veut cohérent avec le positionnement d’une marque populaire, familiale et sympathique à la fois. Cela se caractérise par un design tout en rondeur, sans agressivité, pensée pour le bon père de famille, loin de la sophistication agressive de la concurrence allemande. Mais cette approche est à contre-courant d’un marché qui a fortement évolué vers le “BtoB”. Même en France, le marché du neuf est passé en quelques années d’un tiers à plus de la moitié des ventes en direction des flottes d’entreprise. Sans surprise, c’est le haut de gamme de Renault qui en a le plus pâti.
L’Espace, voiture emblématique de la marque, a perdu son pari d’un repositionnement crossover. La Talisman n’est pas parvenue à faire oublier les ratés de la Laguna qu’elle a remplacée. Même le succès du Kadjar est tout relatif si on le compare à celui du 3008. Avec 156.000 voitures commercialisées en 2017, les ventes du SUV produit par Renault ont été inférieures de 30% à celles de son concurrent tricolore. En outre, le Kadjar ne propose même pas une finition haut de gamme “initiale”. La situation est si critique que l’usine de Douai, qui fabrique l’Espace, la Talisman et le Scenic, a dû revoir ses objectifs de production en les baissant de 25%. Cette désaffection du haut du segment impacte mécaniquement la marge opérationnelle de Renault, qui ne ressort qu’à 6,6% au premier semestre 2017. Ce qui est bien par rapport aux 2% à 3% enregistrés entre 2004 et 2007, soit juste avant la crise, mais qui est à deux points de moins que PSA (hors Opel) voire de deux à trois points de moins que Peugeot.
Pourtant, Renault affiche des ventes mondiales en hausse, culminant à des niveaux records qui sont battus chaque année ! En réalité, la marque dirigée par Carlos Ghosn est dans une stratégie de volume extrêmement offensive fondée sur deux leviers. D’abord, elle ouvre chaque année de nouveaux marchés. En 2016, Renault arrive en Chine, un beau levier de volumes avec 151.000 voitures vendues sur les huit premiers mois de l’année. Mais l’offensive n’est pas seulement géographique, elle est aussi sur les segments. Ainsi, en Inde, Renault a frappé un grand coup avec son Kwid, ajoutant 120.000 voitures à son palmarès. Une performance que le groupe espère réitérer au Brésil et en Afrique du Sud.
Le Duster, instrument de conquête
Et puis il y a évidemment le Duster, véritable machine à volumes et à cash du groupe renouvelé cette année. Partout où il est lancé, ce SUV d’entrée de gamme rencontre un fantastique succès : design sobre mais efficace, équipement rationalisé, qualité perçue tout à fait correcte et prix défiant toute concurrence, taux de fidélité au niveau des marques premiums… Le Duster est un puissant instrument de conquête pour la marque. D’ailleurs, Renault le vend partout dans le monde sous ses propres couleurs alors que ce modèle a été initialement conçu pour sa filiale à bas coûts Dacia. Le Duster est devenu la deuxième voiture la plus vendue du groupe dans le monde après la Clio !
Pour aller plus loin, Renault tente de rejouer le même coup que le Duster mais sur les SUV coupés, jusqu’ici réservés aux marques premiums. En août, l’Arkana a ainsi été présenté au salon de Moscou. Il sera lancé en Chine, mais n’a pas pour l’instant vocation à arriver en Europe.
La nouvelle Clio vise à repositionner la marque
Mais là encore, avec ces modèles très entrée de gamme, Renault a choisi le volume plutôt que la marque. Une stratégie louable qui lui permet de détenir des positions fortes sur des marchés prometteurs comme le Brésil, avec 8,5% de parts de marché, ou l’Argentine, avec 14%. Mais Renault risque de s’enfermer dans le carcan de l’entrée de gamme, ce qui le coupe de ses modèles historiques et de sa capacité à tirer les prix vers le haut.
Même en Europe, la confusion est latente. Pourquoi acheter un Kadjar quand le Duster, équipé du même moteur et 30% moins cher, fait les yeux doux à quelques mètres de là ? Le danger est que Dacia, ou du moins ses produits, incarne davantage la voiture populaire Dès 2019, un nouveau cycle produit débutera avec la nouvelle Clio. L’accent sera mis sur les finitions intérieures, la qualité perçue et les équipements. Des innovations sont également attendues en matière de connectivité. Renault veut flatter sa marque et retrouver des marqueurs forts, y compris face à Dacia.
En vérité, Renault n’a aucune raison d’échouer. La marque possède des positions fortes sur des marchés importants, elle fait également partie d’une alliance totalisant 10 millions de véhicules, et est très bien placée sur l’électromobilité, la technologie de demain. Sa capacité d’innovation reconnue par tous est intacte. La prochaine génération de voitures Renault ne pourra plus faire de compromis !
Avec la tribune afrique