Les banques en ligne, comme Boursorama, et autres néobanques sur de la Fintech, comme le compte Nickel, ont une part de marché de 6,5% selon une enquête de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR/Banque de France). Mais la difficulté à trouver un modèle économique pose la question de leur pérennité.
Qui a dit que la banque n’était pas un marché concurrentiel ? Les nouveaux entrants du secteur, qu’on les appelle banques en ligne – comme Boursorama ou Fortuneo apparues dans les années 2000, bien souvent comme des courtiers en ligne – ou bien “néobanques”, terme plus récent appliqué aux startups de la Fintech proposant des services basiques de compte courant sur mobile (comme le compte Nickel ou Orange Bank), ont réalisé une vraie percée sur le marché français. Selon une enquête de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR, adossée, à la Banque de France) publiée ce mercredi 10 octobre, ils ont conquis 4,4 millions de clients en cumulé à fin 2017. Des chiffres qui avaient déjà été rendus publics par des professionnels du secteur mais que l’ACPR détaille et décortique.
“Les nouveaux acteurs bancaires ont progressivement réussi à s’installer dans le paysage bancaire français pourtant mature. [Ils] ont de fait gagné des parts de marché : 6,5% des Français en sont aujourd’hui clients et surtout un tiers des conquêtes clients ont été réalisées par ces nouveaux acteurs en 2017. Par leur dynamisme commercial, ils sont devenus des acteurs incontournables de la banque de détail en France”, explique l’étude.
Avec leurs applications simples à utiliser et leurs offres, ils ont en effet séduit 1,3 million de clients au cours de l’année 2017, ce qui représente 33,5% des conquêtes de clients de l’année.
L’ACPR n’entre pas dans le détail mais certains chiffres sont connus : Boursorama est leader avec plus de 1,5 million de clients et Compte Nickel revendique plus d’un million de comptes ouverts. ING Direct avoisine le million de clients dont 400.000 comptes courants (le reste en livrets) tandis que Fortuneo aurait dans les 400.000 clients en France. Hello bank ! de BNP Paribas en comptait 350.000 à fin 2017 et Monabanq en aurait 310.000. Orange Bank n’a pas mis à jour les 100.000 clients recensés en mars. Si l’on regarde les seuls comptes courants, ces acteurs en auraient 3,1 millions selon l’ACPR, soit environ 3,9% du total estimé à 80 millions de comptes.
“À l’horizon fin 2020, les plans stratégiques des nouveaux acteurs bancaires tablent sur un total de 13,3 millions de clients soit un triplement du fonds de commerce en trois ans”, relève l’ACPR.
A titre de comparaison, en banque de détail en France, BNP Paribas et Société Générale ont respectivement 6,7 millions et 8 millions de clients.
Des acteurs très disparates
Il s’agit cependant d’un ensemble d’acteurs disparates, dont certains présents sur le marché depuis une douzaine d’années, d’autres depuis quelques mois. Un grand nombre d’entre eux sont en fait des filiales de groupes bancaires comme les banques en ligne (Boursorama de Société Générale, ING Direct d’ING, Fortuneo de Crédit Mutuel Arkea, BforBank de Crédit Agricole, Monabanq du Crédit Mutuel CM11-CIC) ou le compte Nickel (racheté par BNP Paribas). Certains sont des marques sans personnalité juridique comme Hello bank ! de BNP Paribas et le compte C-Zam de Carrefour Banque.
Très rares sont les startups indépendantes : l’allemande N26(1,5 million de clients en Europe, dont plus de 200.000 en France) et la britannique Revolut qui revendique désormais 3 millions d’utilisateurs en Europe, dont 375.000 en France. L’ACPR a aussi inclus Orange Bank mais aussi Ma French Bank, de La Banque Postale, qui n’est pourtant pas encore lancée, mais pas Morning (ex-Payname), rachetée par la Banque Edel (Leclerc). Certains de ces acteurs n’ont pas un modèle 100% digital : c’est notamment le cas d’Orange Bank, dont l’offre est commercialisée à 60% dans les boutiques de l’opérateur, de C-Zam (coffret à acheter en hypers) et de Nickel, dont le compte s’ouvre obligatoirement chez un buraliste.
Des tarifs compétitifs, des primes, peu de revenus
En dépit de ces différences de profil, ces banques en ligne, en pleine stratégie de conquête, ont toutes “des pratiques tarifaires très compétitives, voire offensives“, autrement dit des prix cassés, voire du quasi tout-gratuit. Ce qui rend leur modèle d’affaires compliqué. L’ACPR, qui a pu analyser les résultats financiers de 8 établissements sur les 12 retenus, observe que “sauf quelques rares exceptions, ces nouveaux acteurs ne sont pas parvenus à dégager un résultat net positif en 2017“.
Compte Nickel affirme être rentable depuis l’an dernier, Fortuneo le serait depuis plusieurs années. En septembre dernier, Revolut a annoncé avoir dégagé en 2017 une perte de 14,8 millions de livres, supérieure à ses revenus (12,8 millions de livres, environ 14,6 millions d’euros). Boursorama a essuyé une perte de 48,8 millions l’an dernier (dont 20 millions hors éléments exceptionnels). Orange Bank a creusé ses pertes au premier semestre, à 68 millions d’euros, du fait notamment des “coûts d’acquisition des clients de la nouvelle offre bancaire et digitale” avait expliqué l’opérateur télécoms. C’est l’un des points noirs de leur modèle.
“Les offres commerciales comme les primes de bienvenue ou de parrainage peuvent en particulier constituer un poste de dépense significatif (jusqu’à 24% du PNB)”, le produit net bancaire, autrement dit les revenus, note l’ACPR.
Or ces entreprises ne génèrent que de faibles revenus, “en moyenne sur sept établissements 138 euros par an et par client“, indique l’étude, avec de forts écarts (Orange Bank a dégagé un PNB de 26 millions au premier semestre quand Boursorama a réalisé 160 millions d’euros de PNB l’an dernier).
“Pour l’ensemble de ces acteurs, 20% des clients rapportent systématiquement plus de 80% des revenuset pour beaucoup d’entre eux plus de 90%”, soulignent les auteurs de l’étude.
Ces revenus sont en outre fortement dépendants de “la marge sur dépôt tirée des dépôts à vue et des livrets (en moyenne 55% du PNB)“.
A la recherche d’un modèle d’affaire pérenne
Le régulateur observe que “dans leurs plans stratégiques, la majorité des nouveaux acteurs bancaires comptent dégager des résultats positifs en 2020“. Ils espèrent atteindre “la taille critique suffisante pour amortir la base de coût liée à la mise en œuvre d’une relation bancaire” et devenir la banque principale de leurs clients, afin d’augmenter les encours et le nombre de produits vendus à chacun. L’amélioration de la rentabilité passera aussi par “une meilleure maîtrise du coût du risque” estime l’ACPR (risque de fraude surtout).
“Les établissements de l’étude qui dégagent les meilleurs résultats financiers ont également une charge de risque plus faible”, remarque le gendarme bancaire.
L’ACPR pointe ainsi “les incertitudes qui pèsent sur [les] perspectives de développement” de ces nouveaux acteurs. Le groupe BPCE (Banque Populaire Caisse d’Epargne) a d’ailleurs renoncé à lancer en France Fidor, la néobanque allemande rachetée il y a deux ans. De son côté, La Banque Postale a repoussé le lancement de sa banque mobile.
“Si les plans stratégiques de certains établissements pourraient se révéler trop ambitieux, il reste toutefois délicat de juger de projections de rentabilité pour des acteurs dont la stratégie d’innovation et de développement peut induire des transformations profondes du secteur”, écrivent prudemment les auteurs de l’étude.
Le superviseur bancaire reconnaît que ces acteurs jouent un rôle d’aiguillon, sur le plan technologique et commercial, du marché, ou de laboratoire pour les grands groupes : “ils se sont imposés comme des acteurs essentiels des transformations à venir de la banque de détail.” Reste à savoir s’ils seront tous encore là en 2020.
Avec la tribune afrique