Après des explosions de batterie, Samsung a rappelé des millions d’exemplaires de son nouveau smartphone et suspendu ses ventes. Retour sur le fiasco de la campagne de rappel du Galaxy Note 7.
Un coup dur pour Samsung et de belles polémiques. Un problème de batterie sur son nouveau téléphone vedette, le Galaxy Note 7, a contraint le constructeur coréen de rappeler 2,5 millions d’exemplaires et suspendre ses ventes. Les experts du secteur parlent d’un milliard d’euros de pertes, obligeant l’entreprise, mardi 20 septembre, à revendre ses participations dans le capital de quatre sociétés pour dégager des liquidités.
Pis, en plus de saper la confiance que les consommateurs plaçaient jusqu’alors dans la marque leader de téléphonie mobile, l’événement a ruiné le lancement de son dernier bijou de technologie, sorti mi-août et censé damer le pion au nouvel iPhone 7.
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Dans un article daté du 16 septembre, « The Wall Street Journal » titrait ainsi : « Comment Samsung a bâclé le rappel de son Galaxy Note 7 ». Pourtant, si l’on revient au point de départ, c’est peu de dire que Samsung a fait preuve de réactivité. Alors que de premiers rares cas d’incidents sont rendus publics outre-Atlantique le 31 août, dès le 2 septembre l’entreprise organise un point presse et publie un communiqué. Elle reconnaît un défaut de fabrication sur les batteries, annonce l’interruption des ventes du Galaxy Note 7 et lance un vaste programme d’échange auprès des utilisateurs. La firme offre même un chèque-cadeau de 25 dollars en dédommagement.
Retour de flamme
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Hélas ! Ce sont les jours suivants qui précipitent réellement Samsung dans la crise : malgré la mise en garde de l’entreprise, plusieurs nouveaux cas d’incidents sont relayés, images à l’appui, par la presse et les internautes. En particulier, le 7 septembre, la vidéo d’une Jeep entièrement carbonisée suite à l’explosion d’un téléphone Galaxy fait le tour des réseaux sociaux.
Cette vidéo fait la preuve que, malgré le rappel, les consommateurs ont continué d’utiliser leurs smartphones. L’objectif du rappel n’a donc pas été atteint et la sanction est immédiate : les autorités interviennent et prennent contrôle de la situation.
Dès le 7 septembre, la Federal aviation administration – équivalente de notre DGAC – déclare envisager de proscrire le Galaxy en vol. A partir du 8, plusieurs compagnies aériennes , dont Air France, Singapore Airlines et SAS, annoncent l’interdiction d’allumer ou de charger le modèle incriminé dans les avions. Le 9, l’agence de protection des consommateurs américaine (CPSC) exhorte les possesseurs du Galaxy Note 7 à l’éteindre et à ne plus l’utiliser. L’entreprise sud-coréenne tombe alors dans le pire scénario possible : passer pour incompétente et irresponsable alors qu’elle a décidé d’un rappel volontaire.
Rappel timoré, rappel raté
La communication de Samsung en date du 2 septembre fournit une première réponse. Dans les éléments de langage de ses porte-parole – global et américaine – comme dans ses communiqués de presse, l’entreprise évoque des « problèmes de batterie isolés » et « un petit nombre d’incidents signalés ». Des propos rassurants qui, à aucun moment, ne spécifient le risque réel auquel s’expose le consommateur.
Dans la foulée, Samsung « encourage » les utilisateurs du téléphone à l’échanger soit contre un nouveau Galaxy Note 7, disponible la semaine suivante, soit contre un autre modèle. Mais « encourager » n’est pas demander, ni même inciter. Surtout, la communication de l’entreprise ne répond pas à LA question essentielle en cas de rappel : « puis-je continuer à utiliser mon portable ? ».
En fait, le rappel produit de Samsung n’en est pas un. C’est, tout au plus, un « appel » aux utilisateurs. Mais pas d’un rappel ! Le chapeau du communiqué en est la meilleure illustration : « Programme d’échange pour assurer que les besoins des consommateurs sont traités rapidement ». Parler de « besoins consommateurs » quand des téléphones menacent d’exploser paraît, a posteriori, un pâle euphémisme.
D’autant qu’aucune information n’est donnée pour, justement, permettre d’évaluer ce besoin. Résultat : les possesseurs du Galaxy Note 7 ont très majoritairement ignoré l’appel de Samsung. Les chiffres fournis par le cabinet d’analyse Apteligent le confirment : le taux d’utilisation du téléphone est resté quasiment inchangé les jours suivant le 2 septembre.
Absence de coordination
Mais la communication du leader coréen n’est pas seule en cause. Plusieurs témoignages montrent aujourd’hui que Samsung a lancé son opération sans coordination préalable, ni avec les autorités américaines, ni avec les distributeurs.
Le 9 septembre, le CPSC décide d’intervenir pour demander aux possesseurs du Galaxy Note 7 d’éteindre leur téléphone, tandis que le président de l’agence fédérale, Elliot Kaye, se fend d’une conférence de presse pour critiquer la méthode du constructeur : « La recette du succès d’un tel rappel est de ne pas le faire seul ».
Le reproche est d’autant plus fondé qu’aux États-Unis, comme ailleurs, tout rappel de produits lié à un enjeu de santé doit être validé et officiellement relayé par l’autorité en charge. Il y a fort à parier que Samsung a préféré faire sans, peut-être pour garder la maîtrise de sa communication et simple hypothèse, éviter de partager des données sensibles à l’administration du pays de son plus sérieux rival, Apple. C’est raté.
Ou est-ce pour une raison encore plus simple : le manque de temps ? C’est ce que laisse supposer l’état de confusion observé dans les circuits de distribution au lendemain du premier rappel : téléphones toujours en vente dans les magasins, échanges ou remboursements refusés chez certains revendeurs, informations contradictoires sur les délais avant livraison des nouveaux appareils. Autrement dit, les quelques utilisateurs de bonne volonté ayant accepté de rendre leur téléphone se sont parfois retrouvés face à des commerçants eux-mêmes ignorants de la procédure à suivre.
Épilogue ?
Le 9 septembre, emboîtant le pas du CPSC, Samsung finit par diffuser une seconde communication ne laissant, cette fois, plus aucun doute sur la criticité de la situation : « La compagnie exhorte les utilisateurs du Note 7 d’éteindre leur téléphone et de l’échanger immédiatement ».
Ce jour-là, toutes les conditions d’un rappel efficace sont réunies : coordination étroite avec les autorités, information de l’ensemble des distributeurs, consignes claires aux consommateurs. Des préceptes nécessaires à respecter dans le cadre de tout rappel de produits, et dès la première prise de parole, si l’on espère en tirer au moins un profit d’image. Pour Samsung, malheureusement, le mal est fait.
Stanislas Barnett est consultant en gestion de crise et affaires publiques
avec lesechos