Avant sa réouverture au public le 9 décembre, le Musée royal d’Afrique centrale de Tervuren, à Bruxelles, a voulu expliquer son « nouveau narratif ». Edifié dans une aile du palais royal de Léopold II durant l’exposition coloniale de 1897, cet ancien musée d’histoire naturelle et d’ethnologie est revenu sur sa nécessaire entreprise de décolonisation. Pour ce faire, il a organisé une conférence internationale, les 18 et 19 septembre à Bruxelles.
« Notre musée a servi d’instrument de propagande pour la colonie, reconnaît d’emblée Guido Greyseels, directeur du Musée royal d’Afrique centrale. Il est aujourd’hui une référence mondiale sur l’Afrique centrale, avec entre autres 4 km d’archives, des programmes avec 20 pays et 130 scientifiques africains formés chaque année. »
Les cinq ans de travaux qui sont sur le point de s’achever à Tervuren, dans un splendide cadre de verdure situé aux portes de Bruxelles, ont permis d’édifier une structure ultra-moderne. Attenant au bâtiment principal, un cube de verre servira de nouvelle entrée au musée, avec magasin au rez-de-chaussée et restaurant ouvert sur le vaste parc à l’étage. L’accès se fera par un couloir souterrain d’une blancheur immaculée, orné d’une pirogue d’une longueur spectaculaire, un « cadeau » du Congo fait au roi belge en 1958.
Pour la direction du musée, « le plus difficile » n’a pas porté sur les travaux en tant que tels, mais « le changement spirituel » qui veut positionner Tervuren comme une place de débat. « Une exposition permanente d’art contemporain africain contribuera au nouveau narratif sur le colonialisme, qui a été une entreprise de domination, d’exploitation, de suprématie blanche et même de racisme », déclare ainsi Guido Gryseels – sans pouvoir s’empêcher d’ajouter : « ce qui n’occulte pas la contribution valabe faite par des individus valables ».
La galerie des crocodiles en guise de vestige
A des statues dorées du roi Léopold posant une main condescendante sur la tête de petits « indigènes » va ainsi répondre une sculpture en bois d’un visage africain stylisé, signée par un artiste congolais. Le musée, classé monument historique, n’a pas pu bazarder tout ce qu’il voulait. Il ne s’est pas non plus résolu à le faire quand c’était possible. Il garde ainsi intacte sa galerie des crocodiles, avec sauriens empaillés, papillons épinglés et poissons dans le formol. L’idée : « montrer comment les musées d’histoire naturelle étaient conçus à l’époque ».
Les reproductions grandeur nature d’un éléphant, d’une girafe et d’un hippopotame sont toujours là. « Heureusement », selon un responsable, qui ne voit pas en quoi ces monuments de plâtre relèvent du même imaginaire que Tintin au Congo. Des statues de bronze montrant des Congolais dénudés et hideux resteront aussi exposées, regroupées dans une pièce à part, et traitées comme un vestige du regard colonial.
Les noms d’hommes belges morts au Congo, gravés sur des plaques de pierre, ont aussi été conservés. Y répondront les ombres projetées des noms de sept Congolais morts durant l’Exposition coloniale de 1897 et enterrés à Tervuren. Un moyen de contourner une commémoration plus massive des vies fauchées par la colonisation, un sujet sensible. « Il faut que vous parliez des morts congolais au Congo ! », s’est exclamé le chercheur rwandais David Mwambari, rattaché à l’Université de Gand, qui travaille sur les questions de mémoire.
« Un fossile devenu embarrassant »
Galop d’essai pour un musée qui sait qu’il n’échappera pas au débat, sa première conférence a voulu « partager le passé et l’avenir, pour renforcer les liens entre l’Afrique et l’Europe ». Consensuel, ce thème n’a pas empêché d’aborder des sujets de fond.
David Van Reybrouck, auteur du célèbre Congo, une histoire (Actes Sud, 2012), a rappelé que le musée de Tervuren était devenu le « fossile parfois embarrassant de la vantardise coloniale ». Il voit dans sa rénovation un « évènement d’importance nationale, une avancée majeure dans la façon dont la Belgique gère son passé colonial, longtemps vu comme un motif de gloire et de fierté ».
Il a appelé à dépasser les réflexions nationales entreprises à Bruxelles, Londres ou Paris, et à sortir d’un récit binaire « en noir et blanc ». Sa proposition : un musée européen du colonialisme « qui pourrait s’installer, pourquoi pas, à Kikwit » en République démocratique du Congo, pour englober toutes les formes de colonisation européenne, y compris l’expansion du Danemark au Groenland.
C’est un musée mondial des colonisations qu’il faudrait ériger pour « décoloniser l’histoire européenne des colonies », a renchéri l’historien français Pascal Blanchard. « Personne d’une certaine manière n’a envie d’une histoire coloniale, soit pour éviter un passé douloureux, soit parce qu’elle fait encore débat sur son bien-fondé ou non. L’écriture d’une histoire commune susceptible de dire la vérité ne fait que commencer ». Telle est d’ailleurs son ambition dans une prochaine somme collective, Sexe, race et colonies, la domination des corps du XVe siècle à nos jours, à paraître aux éditions La Découverte.
« La maladie ne se guérit pas en prononçant le nom du médicament », a conclu Smockey Bambara, du mouvement Balai citoyen au Burkina Faso, en citant Thomas Sankara. Ses propositions concrètes sont allées de l’« enseignement correct de notre histoire dans vos manuels en Europe » à un système plus juste de visas, « la fin des candidats au suicide méditerranéen quand l’Occident arrêtera d’empêcher le développement », sans oublier la restitution des œuvres d’art africain. « Faites-en des copies et renvoyez-nous les originaux ! », a lancé Smockey sous les applaudissements du public.
Avec RFI