L’ambiance délétère qui prévaut à sept mois du scrutin d’avril 2019 relègue au dernier rang des préoccupations politiques la reprise en main du potentiel industriel national à la dérive. Le problème est pourtant si grave qu’il requiert des mesures de sauvegardes urgentes qui doivent transcender les intrigues qui polluent la scène politique algériennes.
Les entreprises de production laminées par les importations et la concurrence déloyale de l’économie informelle, devraient en effet bénéficier d’un intérêt tout particulier de la part de l’exécutif en place, tant l’explosion de la demande sociale déjà très forte promet d’être encore plus difficile à satisfaire dans ce contexte de déclin des recettes budgétaires et de mauvaise gouvernance, qui se poursuivra sans doute encore longtemps.
La tâche ne sera évidemment pas facile, car il s’agira non seulement de remettre à flot le secteur industriel étatique qui dispose d’un potentiel de production déclassé ou en voie de l’être, mais aussi et surtout, d’inciter les détenteurs de capitaux privés poussés par une législation peu motivante pour les industriels, à dévier vers les activités d’importations plus gratifiantes et moins risquées. A quelques mois de ce prochain scrutin présidentiel dont aucune information crédible sur le déroulement n’a pour l’instant filtrée, la quiétude requise pour réformer utilement le mode fonctionnement du pays ne sera certainement pas au rendez-vous de si tôt. La relance économique et, plus précisément, celle du secteur industriel sera, à l’évidence, un pari quasi impossible à tenir.
La tâche du gouvernement sera d’autant plus difficile qu’il doit consacrer dans ce climat d’intrigues et de rumeurs, une bonne partie de son temps à démanteler le dispositif législatif et réglementaire à l’origine du marasme de l’industrie algérienne qui ne contribue plus qu’à 4% du PIB, alors qu’il en était à 12% dans les années 80. Le démantèlement de l’arsenal juridique qui pose problème, sera de surcroît difficile à opérer car il est en grande partie l’héritage du chef de l’Etat qui concentre aujourd’hui encore tous les pouvoirs et de surcroît très chatouilleux sur la mise en cause de ses décisions. Ce sont effectivement les dispositions expresses que ce dernier a insérées dans la loi de finances complémentaire pour l’année 2009 et la loi de finance pour l’année 2010, qui ont en grande partie précipité le déclin du secteur productif, en ouvrant notamment la porte aux importations et en compliquant toutes les initiatives entrepreneuriales (privatisation, partenariat, investissements locaux et étrangers, complication pour les importations d’inputs, etc.), soumises au bon vouloir de l’autorité politique au moyen du Conseil National de l’investissement, pour le privé, et le CPE, pour les entreprises publiques. Des conseils qui sont comme on le sait présidés par le premier ministre.
L’arrêt du processus de privatisation, la gestion étatique du commerce extérieur, la règle du 49/51 imposée à toute initiative de partenariat avec des sociétés étrangères, la remise sous tutelles ministérielles des entreprises publiques économiques, le Crédoc qui avait tant de ravages avant d’être abrogé dix années plus tard, figurent parmi les mesures-phares décidées par le président de la République qui est, de par la Constitution, le chef suprême de l’Exécutif gouvernemental, le Premier ministre n’étant en réalité uniquement chargé de la mise en œuvre de ses décisions.
Quand bien même le premier ministre pourrait se permettre d’effectuer quelques menus réglages, il n’osera certainement pas s’aventurer à remettre en cause les directives emblématiques imposées par le président de la République. La levée de boucliers suscitée par le partenariat public privé qu’Ahmed Ouyahia voulait introduire dans la loi de finance pour l’année 2017 est le parfait exemple de l’étroitesse de manœuvre du premier ministre. Et à supposer que le président de la République accepte les modifications législatives que le premier ministre souhaiterait engager, leurs mises en chantier demanderaient de longs mois à ce gouvernement appelé à disparaître dés l’annonce des résultats du scrutin d’avril 2019, à savoir, dans à peine sept mois. Comme pour les précédentes mandatures, et sans doute encore plus, pour ce prochain scrutin porteur d’incertitudes, la redressement du secteur industriel, comme du reste celui des autres départements économiques, a donc toutes les chances de rester au stade d’une déclaration d’intention, un généreux slogan destiné à la consommation interne dans un contexte d’agitation pré électorale.
Mais à regarder de prés, ce tissu industriel objet de promesses de redressement jamais tenues est en réalité insignifiant. Il est composé d’à peine 1400 entreprises publiques (EPE et EPIC essentiellement) pou la plupart empêtrées dans de graves difficultés financières et managériales, et d’environ 200 000 petites entreprises privées de production en grande partie très jeunes et sans envergure, qui éprouvent d’énormes difficultés à se maintenir en vie. Plus de 800 entreprises publiques sont en effet en situation de faillite consommée (actifs nets négatifs) et de plusieurs centaines d’autres en phase de déstructuration financière avancée. Les entreprises privées de production ne sont guère mieux loties. Exténués par les efforts surhumains que requiert l’activité industrielle soumise à des tracasseries permanentes, bon nombre d’industriels ont en effet, fait le choix de s’installer dans les confortables créneaux de l’importation et de la revente en l’état.
Tous ces blocages font qu’aujourd’hui il ne reste pratiquement plus rien de ce potentiel industriel public qu’on évoque comme s’il n’avait jamais perdu de son aura des années 70 et 80. Les entreprises industrielles publiques ont en effet été affaiblies par l’interdiction qui leur avait été faite, dans le milieu des années 1990, d’investir dans la modernisation, l’accroissement et la réhabilitation de leurs équipements. Les usines, pour la plupart acquises durant les années 1970 et 1980, ont ainsi eu le temps de vieillir et d’être passées de mode, au moment où la technologie et l’innovation progressaient à grands pas à travers le monde. La reprise des unités industrielles publiques par des opérateurs privés ne s’étant pas faite comme prévu, les actifs industriels algériens dépassant pour la plupart vingt années d’âge ont fini par être technologiquement déclassés. C’est une réalité que le gouvernement algérien ne veut pas admettre en injectant à concours perdus des centaines de milliards de dinars dans d’inutiles opérations d’assainissements financiers.
L’état des lieux global de l’industrie algérienne risque même d’empirer dans les prochaines années en raison de la désertion du secteur industriel par les opérateurs privés, de plus en plus nombreux à investir les créneaux les plus lucratifs, à savoir, l’importation et le commerce informel. De 2010 à ce jour, l’Algérie aurait en effet perdu un peu plus de 50 000 PME industrielles, pendant que le nombre des sociétés de négoce (importateurs) progressait, passant d’environ 12 000 entités en 2003 à environ 40 000 aujourd’hui.
Avec algerie-eco