Président de CHERPAA, laboratoire d’idées qu’il a fondé en 2013 sur les enjeux du développement de l’Afrique, Liévin Feliho* revient ici sur son cheval de bataille : l’indispensable mise en place ou adaptation des politiques publiques déterminées par les Africains pour eux-mêmes, et sans lesquelles aucune avancée structurelle ne sera possible pour financer l’essor de l’Afrique, estime-t-il.
Créé en 2013, CHERPAA – Cercle Humaniste d’Engagement et de Réflexion sur l’Avenir de l’Afrique – est un laboratoire d’idées spécialisé dans les enjeux de développement et les politiques publiques (conception, conduite et évaluation). Dans un esprit d’ouverture, il rassemble des cadres originaires d’Afrique mais basés en Europe et aux États-Unis, ainsi que des Africains de cœur, tous convaincus que le développement de l’Afrique constitue un
enjeu majeur. CHERPAA compte aujourd’hui également des membres quasiment dans toutes les zones du continent.
« La mission que nous avons choisi d’assumer, explique le Président et fondateur, Liévin Feliho, est de réfléchir et de formuler des recommandations. Notre démarche consiste à faire remonter vers les décideurs les positions de la société civile des diasporas, ce que nous permettent de faire notre présence à Paris et nos nombreux correspondants, surtout du secteur privé, implantés partout en Afrique. »
Après quelques années d’existence, CherpAA est encore « en phase de plaidoyer », considère son président : « Notre démarche est de sensibiliser en premier lieu l’Union africaine, les entités économiques régionales et les institutions financières africaines de premier plan.
Mais L’Union Africaine, à laquelle CHERPAA est liée par un partenariat stratégique, est le premier destinataire de nos travaux et recommandations. Je dois par ailleurs préciser que comme citoyens européens, nous sommes naturellement disponibles à toute entreprise de refondation ou de redynamisation des relations Nord-Sud ».
C’est dans cet esprit que CHERPAA a organisé en partenariat avec l’Union Africaine une série de conférences le 29 novembre dernier à Abidjan, sur le thème « Tourisme et agriculture : Quels dividendes pour les jeunesses africaines et européennes » en marge du Sommet Europe Afrique.
Afin de promouvoir sa vision, CHERPAA organise chaque année deux journées de conférences, généralement à Paris, à l’Assemblée nationale, avec des thématiques telles que « Coopération décentralisée et diplomatie économique » en 2014, « Changement climatique et développement », en 2015, « Recherche et santé : des leviers pour le développement en Afrique et pour l’optimisation du dividende démographique ? » en 2017.
La coopération avec des institutions telles que la Banque Africaine de Développement (BAD) permet également à CHERPAA de disposer d’espaces d’expression privilégiés et d’une audience auprès des décideurs financiers. C’est ainsi que CHERPAA a organisé en 2016 en marge des assemblées annuelles de la BAD, à Lusaka en Zambie, un séminaire sur le thème « Énergie et changement climatique : quel rôle pour les jeunes, les femmes et la diaspora ? ».
Les colloques sont montés selon un processus toujours identique : « Réunir l’ensemble des acteurs de terrain ainsi que les financeurs et les décideurs politiques (policy makers), et chaque colloque donne lieu à des recommandations spécifiques au thème traité », précise Liévin Feliho.
Pour la création d’un fonds souverain de la diaspora africaine
Mais certaines recommandations sont récurrentes. Par exemple celle de créer une banque d’investissement de la diaspora, ou plutôt d’un fonds souverain de la diaspora africaine susceptible de mobiliser une partie de l’épargne de celle-ci.
« L’idée, explique Liévin Feliho, est de créer un outil financier alimenté quasi exclusivement par les diasporas et ciblant un périmètre restreint de secteurs prioritaires – par exemple la santé, l’éducation, l’environnement – pour lesquels il est plus difficile d’impliquer les banques commerciales. Je suis particulièrement attaché à cette idée, non seulement parce qu’elle serait révolutionnaire à bien des égards, mais également parce qu’elle s’inscrit dans la logique de l’Afrique qui aide l’Afrique ».
La mise en place d’un tel outil suppose donc l’élaboration préalable d’un recensement des diasporas, hypothèse qui génère bien des levées de boucliers, mais Liévin Feliho considère qu’il y a maintenant moins « de réticences et de difficultés techniques qu’auparavant. ».
Surtout, ce véhicule d’investissement serait plus en phase avec l’évolution du rapport que les diasporas entretiennent avec les pays d’origine, estime le président de CHERPAA : « La première génération de la diaspora avait un attachement très fort aux pays d’origine. L’attachement des générations suivantes est différent, parfois plus idéel que réel, mais cela ne les rend pas moins mobilisables.
Moi, par exemple, si vous permettez que j’évoque mon cas… Je suis originaire du Bénin et je suis arrivé en France à l’âge de quatorze ans. Aujourd’hui, je n’ai aucune attache familiale (au sens famille nucléaire) dans mon pays d’origine. Je n’ai a priori aucune raison d’y envoyer de l’argent. Pour autant, si on me présente un projet d’investissement sérieux, je suis comme beaucoup d’Africains mobilisable pour le soutenir, quelle que soit sa localisation et au besoin via de l’épargne ! »
La question, selon Liévin Feliho, n’est donc pas de détourner une partie des 65 milliards de dollars annuels transférés par les diasporas vers leurs familles, « car c’est un flux familial qui a son utilité pour adoucir la vie sur place. Le cœur du débat est de briser une certaine culture de dépendance, voire “une logique de mendicité” : comment mobiliser des fonds autres, et tout aussi importants, issus de l’épargne de la diaspora pour participer aux besoins de financement d’infrastructures et de bien d’autres prestations – éducation, santé, formation… » – indispensables à l’essor du Continent ? »
« Aujourd’hui, considère encore Liévin Feliho, l’argent des diasporas permet certes de pallier les difficultés de la vie quotidienne et les carences des États, mais rien de plus. Cela ne suffit pas à engendrer un effet de masse qui permettrait à l’Afrique de décoller véritablement, irréversiblement ! L’Agenda 2063 de l’Union Africaine constitue une vision stratégique précieuse qui sert le Continent et favorise un certain type d’échanges avec le monde. Penser que cet agenda puisse être financé par des non-Africains serait chimérique et d’ailleurs totalement malsain.
Il faut donc aller chercher l’argent ailleurs qu’au travers des flux familiaux. Cela implique que les États deviennent capables de mobiliser les fonds… Actuellement, un grand problème est qu’à l’exception de quelques-uns – par exemple le Nigeria, l’Égypte, le Kenya qui mobilisent des ressources pour de grands projets – la quasi-totalité des États africains ne pense même pas à le faire ! Comment voulez-vous que la diaspora au sens large – c’est-à-dire au sens de la définition de l’Union Africaine –, mobilise son épargne si on ne lui demande rien, si elle n’est pas informée ni sensibilisée, principalement sur les projets d’intégration régionale ? » s’exclame Liévin Feliho.
Pour penser le développement et lutter contre l’extrême pauvreté et la pauvreté, l’appui et la dynamisation du secteur privé sont utiles, considère le président de CHERPAA. Mais « La vision stratégique est vitale et son appropriation décisive. Nous avons délibérément choisi de nous inscrire dans le temps long… On créera toutes les entreprises que l’on voudra, l’écosystème ne pourra pas être performant si l’on ne met pas en place une bonne politique publique.
C’est le rôle incontournable des États, et c’est pourquoi ils sont la cible de l’action de plaidoyer de CHERPAA. Car il ne peut y avoir de développement sans une vision stratégique incarnée dans des politiques publiques. »
Avec AfricaPresse.Paris