Attachée parlementaire à la Région Bruxelles-Capitale, la jeune trentenaire belge d’origine burundaise est aussi une militante de la cause de la diaspora. Et doublement : avec la plate-forme d’organisations Adyfe (African Diaspora Youth Forum in Europe) pour l’action visant les institutions et l’international ; avec l’association Shift & Twist, membre de la plate-forme, pour agir sur le terrain, dans des communes de Bruxelles-Capitale. Mais toujours, avec son unique credo : apporter la preuve par l’exemple pour faire bouger les institutions, et les jeunes aussi. Rencontre.
« Comment favoriser, faciliter l’implication de la diaspora en Afrique, pour l’Afrique ? me demandez-vous… Oui, à notre niveau associatif, nous essayons aussi de contribuer à répondre à cette question », me dit Karen Kaneza, avec une voix si sereine et posée
que j’ai l’impression qu’elle est là, tout près, alors qu’en fait nous échangeons au téléphone, elle à Bruxelles et moi à Paris…
Elle reprend, après un court instant de silence : « Nous avons identifié deux points qui nous paraissent très importants pour se rapprocher de l’objectif : d’une part influer sur les politiques publiques africaines, qui devraient faciliter plus les échanges entre les gouvernements africains et la diaspora, ou encore avec les associations qui accompagnent les candidats entrepreneurs désireux de transplanter leur expertise sur le Continent ; d’autre part développer une meilleure coopération, qui serait plus active entre l’Europe et l’Afrique.
La diaspora aurait naturellement un rôle central à jouer dans ce scénario. Car elle représente à l’évidence un pont entre les deux continents, elle leur est attachée par des liens forts, à la fois objectifs et subjectifs… ».
Elle a dit tout cela d’un trait, à peine si elle a ralenti parfois, presque imperceptiblement, pour reprendre son souffle… Elle a dit cela avec la certitude tranquille de ceux qui ont été instruits par l’expérience. Car l’Adyfe (African Diaspora Youth Forum in Europe), plate-forme d’organisations dont elle est la Chargée d’affaires gouvernementales et politiques publiques, se mobilise en effet depuis des années sur les problématiques de l’entrepreneuriat, de l’employabilité et de l’engagement civique, à l’adresse de la jeunesse de la diaspora africaine d’Europe.
« Le point central pour nous, relève Karen Kaneza, c’est effectivement la mise en place de politiques publiques intercontinentales. Car elles doivent faciliter le retour des diasporas en Afrique et inversement, elles doivent permettre d’accueillir au Nord des Africains qui viendront acquérir des expertises qu’ils pourront ramener sur leur continent. »
« Ce à quoi nous nous engageons auprès de nos jeunes, c’est que le projet soit suivi jusqu’au bout »
Bien sûr, à ce stade des échanges institutionnalisés entre les deux continents d’Europe et d’Afrique, les exemples d’une telle synergie ne sont pas légion… Mais justement, c’est à changer cet état des choses que s’emploie l’Adyfe :
« Nous plaidons beaucoup pour la transparence des politiques, reprend Karen Kaneza. Ne serait-ce que pour la jeunesse, des politiques qui pourraient être une réponse aux phénomènes migratoires que l’on connaît maintenant… Il faudrait ainsi investir beaucoup plus dans la jeunesse pour pouvoir lui donner un espoir d’avenir. D’ailleurs c’est une attente universelle, commune à tous les continents. »
En attendant, la plate-forme se mobilise sur deux fronts : la promotion des projets des candidats entrepreneurs ; le plaidoyer auprès des pays africains pour que ces jeunes entrepreneurs ne soient pas laissés à l’abandon une fois sur place.
Karen Kaneza donne un exemple : « Dans le cadre de notre volet entrepreneurial, nous avons développé depuis près deux ans un partenariat avec le Mali, où l’on met en place un incubateur de jeunes entrepreneurs que l’on va déployer dans trois villes. On ne peut pas encore être tout à fait précis, mais sachez qu’il s’agit d’un projet fintech et agritech porté par deux jeunes.
Bien sûr, nous ne pouvons pas être partout, mais ce à quoi nous nous engageons auprès de ces jeunes, c’est que le projet soit suivi jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’il prenne tout son sens. Il n’est donc pas question pour nous d’envoyer des jeunes et de les laisser seuls sur place, sans suivi ni accord d’encadrement local. Ce serait une manière de les envoyer à l’abattoir, je le dis, même si la formule peut sembler brutale. »
Cette exigence de l’accompagnement – « Il ne faut pas les laisser seuls, c’est très important, dit-elle encore – est l’une des caractéristiques de l’Adyfe. En revanche, pour avoir une chance d’être sélectionnés et de se faire accompagner par l’association, les entrepreneurs en herbe doivent remplir des critères bien précis : matérialiser leur projet dans un pays africain, avoir construit un modèle économique créateur d’emplois et garantir aussi la réalité d’un volet social.
Au Forum annuel de l’Adyfe, des ateliers très intensifs pour les porteurs de projets
Autant de thématiques qui seront une fois encore mises en avant lors du Ve Forum annuel de l’Adyfe, les 3, 4 et 5 juillet prochains à Vienne (Autriche) dans les locaux de l’Onudi (l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel), avec un focus sur l’efficience énergétique et l’innovation agricole en Afrique, tandis que l’Algérie et le Ghana seront les pays invités d’honneur.
« Nos fora, explique la Chargée d’affaires gouvernementales et politiques publiques de l’Adyfe, sont structurés autour de trois temps forts. D’une part des ateliers très intensifs où nous aidons les jeunes à finaliser leur projet sur un mode très intensif pendant deux ou trois jours, au terme desquels ils se présentent en “pitch competition” devant un jury d’experts – représentants d’entreprises et d’Institutions participantes intéressées par le développement entrepreneurial de la jeunesse de la diaspora africaine.
D’autre part, nous donnons à ces jeunes la possibilité d’amorcer la création de leur réseau, car nous organisons parallèlement des conférences thématiques centrées sur la jeunesse de la diaspora, ainsi que des rencontres B2B et B2G en partenariat avec les chambres de commerce autrichienne et allemande.
Enfin, après avoir croisé nos argumentaires avec les remontées « bottom up » issues des trois jours de d’échanges, nous livrons nos recommandations à nos partenaires institutionnels ou entreprises, cherchant à établir des partenariats ou des synergies durables. C’est ainsi que nous avons procédé pour finaliser le projet d’incubateur au Mali, dont je vous parlais. Et c’est comme cela que nous construisons nos réseaux internationaux, d’un forum annuel à l’autre. Cette année encore, l’objectif global du Forum de Vienne sera toujours le même : faire connaître la diversité et les spécificités de la diaspora africaine en Europe, promouvoir les différents projets que nous portons, débattre pour faire avancer des politiques publiques plus favorables. »
Avec Shift & Twist, l’action « sur le terrain » dans trois communes de Bruxelles-Capitale
Titulaire d’un master en Sciences politiques option Relations internationales et d’un master en communication stratégique, obtenus tous deux à l’université libre de Bruxelles, Karen Kaneza est évidemment tout à fait à l’aise lorsqu’elle évoque les politiques publiques et leur évolution souhaitable. Mais du haut de ses 34 ans, l’assistante parlementaire qui est arrivée à l’âge de 13 ans en Belgique – « Mais oui, c’est ici que j’ai attrapé mon accent de Parisien, car ils sont nombreux à Bruxelles », s’amuse-t-elle – a aussi les pieds bien sur terre, ancrée dans son environnement : en contrepoint de son engagement global, elle agit aussi au plan local, en militant dans l’association Shift & Twist, membre de la plate-forme Adyfe, et dont elle est vice-présidente.
« C’est une association locale, œuvrant pour l’inclusion des jeunes de la diaspora et/ou ayant moins d’opportunité dans la région de Bruxelles-Capitale. On peut dire qu’au plan local elle répond à la même question qui nous occupe à l’Adyfe : comment faire pour favoriser, faciliter l’intégration des jeunes de la diaspora ? Je crois que c’est par l’exemple, il n’y a pas d’autre voie pour faire bouger les lignes. Tant vis-à-vis des jeunes que des institutions. »
Par l’exemple, oui, mais aussi par l’échange et la réflexion. Ainsi Karen Kaneza et d’autres bénévoles de Shift & Twist ont-ils organisé l’année dernière une excursion de trois jours à Paris.
« On les a emmenés voir le spectacle de Yassine Belattar au Bataclan, précise la vice-présidente. Ces jeunes venaient de trois communes de Bruxelles : Ixelles, Saint-Gilles et Molenbeek. Et nous avons aussi organisé un échange avec des associations de jeunes de Drancy (Agir ensemble), dans le département de la Seine-Saint-Denis [le fameux « 9-3 » que les Belges prononcent « nonante-trois », ndlr].
Cela nous a permis d’aborder plusieurs problématiques liées aux discriminations et aux communautarismes… Voilà. Je crois que nos jeunes ont compris que peu importe où l’on se trouve, les problématiques liées à la jeunesse sont les mêmes partout, à Bruxelles comme à Paris.
À la suite de cet événement, un incubateur artistique sera prochainement créé à Molenbeek-Saint-Jean, en partenariat avec Shift & Twist, la commune de Molenbeek-Saint-Jean et l’humoriste français Yassine Belattar. Deux autres incubateurs artistiques verront le jour au Mali et au Maroc.
Les retours de cette expérience ont été très positifs, tous nos jeunes ont été agréablement surpris de constater qu’ils vivaient avec les mêmes interrogations. Et si le problème fondamental reste le même – trouver les bons mots pour communiquer – ils savent maintenant que le civisme est la clé du vivre ensemble… Nous en ferons des citoyens engagés, je le crois ! »
Avec AfricaPresse.paris