L’ancien Premier ministre ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, était récemment l’invité des rédactions du groupe de presse ivoirienFraternité Matin. Occasion saisie par l’ex-directeur général adjoint du FMI pour se prononcer sur l’actualité économique de la Côte d’Ivoire.
Son appréciation de l’admission de la Côte d’Ivoire à recevoir un allégement de la dette au titre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) renforcée, lui permettant ainsi d’atteindre le point de décision prévu par cette Initiative.
ADO : Je suis heureux que nous ayons cette facilité d’effacer notre dette. Ce sont tout de même 14 milliards de dollars, c’est-à-dire 7000 milliards de francs CFA au taux de change d’aujourd’hui. Le programme de réduction de la pauvreté adopté par la Banque mondiale, les premiers décaissements vont intervenir. Mais ce n’est que le point d’entrée, le point de départ d’un processus. Les décaissements seront importants, mais ils ne règlent pas le problème. Ils permettront à la Côte d’Ivoire de renflouer les caisses, de se remettre un peu à flot, de disposer des ressources utilisées pour honorer les engagements contractuels avec le Fonds, la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale. Ces ressources nous seront restituées en partie. Mais, je ne suis pas sûr que le flux net, c’est-à-dire la différence entre ce que l’on reçoit et ce qui sort, sera positif. Dans tous les cas, nous serons soulagés. L’allègement de la dette n’interviendra cependant, au mieux, que dans un an, peut-être même dans deux, voire trois ans. Tout dépendra de la gestion qui sera faite au cours des prochaines années. Le plus difficile, en fait, commence. Je crois qu’on devrait essayer d’être très clair avec nos compatriotes ; il ne faudrait pas que les gens pensent qu’il y aura de l’argent et qu’on pourra faire ce qu’on voudra, ce n’est pas le cas. Plus que jamais, la rigueur devra être de mise dans la gestion des fonds publics : le budget, les ressources pétrolières, le cacao, le café, tout cela demandera beaucoup d’efforts, de vigilance. L’allègement de la dette ne viendra qu’au bout de ce processus. C’est dire si nous devrons faire beaucoup d’efforts.
« Si notre pays peut mieux résister que d’autres à la crise internationale actuelle, malgré la rébellion qui a scindé la Côte d’Ivoire en deux, c’est donc grâce aux restructurations que nous avons entrepris entre 1990 et 1993. »
Son évaluation de l’impact de la crise financière et économique internationale, sur les économies africaines en général et, singulièrement, l’économie ivoirienne. Et les moyens d’y faire face.
ADO : Je pense que les pays africains ont pris la mesure des difficultés à venir. C’est vrai que nous ne sommes pas les mieux intégrés dans la mondialisation, mais nous sommes très affectés par les conséquences de cette mondialisation. Parce que les matières premières subissent une récession dans les pays occidentaux, les gens essayeront de faire des économies sur les dépenses des ménages. C’est-à-dire que les cours du café, du cacao et du textile vont baisser de manière importante dans les six mois à venir. Confrontées à des difficultés financières, les maisons mères des banques risquent de peser sur les portefeuilles et sur la situation de leurs filiales à l’étranger, soit pour se renflouer, sinon pour contenir leurs charges au travers de mesures de dégraissage. Ainsi, les bénéfices obtenus par les filiales pourraient être transférés à la maison mère. Le resserrement déjà effectif du crédit va avoir pour corollaire un rationnement et un contrôle des crédits à l’exportation. La chance que nous avons, nous, en Côte d’Ivoire, c’est que nous n’avons pas beaucoup d’Ivoiriens à l’étranger, et le transfert de ces Ivoiriens à l’étranger, ne va pas trop peser sur notre économie, contrairement à des pays comme le Mali ou le Sénégal qui ont des millions de compatriotes à l’étranger. Pour résister aux effets de la crise, nous avons donc besoin d’une cohésion nationale. Il faut savoir que différentes structurations et restructurations doivent se faire pour solidifier et installer un Etat. Et c’est ce que nous avons fait de 1990 à 1993. Si notre pays peut mieux résister que d’autres à la crise internationale actuelle, malgré la rébellion qui a scindé la Côte d’Ivoire en deux, c’est donc grâce aux restructurations que nous avons entrepris entre 1990 et 1993 et qui ont conduit à la mise en place de structures solides.
Sa lecture des efforts de moralisation de la vie publique engagée par le Président Laurent Gbagbo.
ADO : Souvenez-vous qu’en 1993, on l’avait fait et le chef de l’Etat le sait. C’est une bonne chose. Je suis désolé pour ceux qui sont en prison. Est-ce que les procédures ont été suivies, est-ce qu’ils ont été entendus ? Mais, il faut assainir. L’allègement de la dette va tout de même nous mettre à disposition près de 500 milliards par an. Ce sont les impôts des pays amis. Ils ne vont pas nous donner leur argent pour qu’on puisse le détourner. C’est important que des signaux forts soient donnés. Pas seulement dans le secteur de la filière café-cacao, mais également dans d’autres. Quand j’étais Premier ministre, j’avais des procédures qui faisaient qu’il était impossible de piocher dans la caisse. Souvenez-vous de cette période ; l’exemple doit être donné, afin que les uns et les autres comprennent qu’il y a des périodes qui sont passées. La Côte d’Ivoire a besoin de toutes ses ressources, notamment ses ressources publiques. Nul n’a le droit de puiser dans la caisse de l’Etat impunément. Il faut moraliser la vie publique à tous les niveaux. C’est important. Si le pays n’a pas de repères, si une partie de la population pense que les structures en place ne sont pas légitimes ou que le système judiciaire n’est pas équitable, les problèmes ne seront pas réglés.
Ses recettes pour sortir la Côte d’Ivoire de la mauvaise passe qu’elle traverse depuis plusieurs années.
ADO : Ce que j’offre le plus à mon pays, c’est ma qualité d’économiste. Pas celle d’homme politique. Nous sommes dans une situation dont il nous faut sortir. Et avoir un programme de société ne saurait être suffisant. Il faudra beaucoup plus, des hommes et des femmes, pour pouvoir gérer une telle situation, qui demande une prise de conscience et une capacité ainsi si q’une volonté affirmées d’attaquer tous ces problèmes. Car il faudra prioritairement disposer d’un cadre macroéconomique plus sain. Il faut donc un cadre de gestion économique qui rassure les Ivoiriens. Car nombreux sont les Ivoiriens qui ont des comptes à l’étranger ; ils gardent leur argent à l’extérieur parce qu’ils ne croient pas en leur pays, en sa gestion. Ensuite, il faut faire en sorte que les investisseurs reviennent. Car les crises politiques successives n’ont pas aidé notre pays. Fondamentalement, cela a occasionné des départs. On a ainsi réduit les richesses. Des personnels de maison, des chauffeurs, etc., se retrouvent au chômage. Les questions sociales n’ont pas été résolues. L’amélioration de la qualité des infrastructures dans l’éducation, la santé, etc. je peux passer des heures en à parler, mais je ne voudrais pas m’étendre sur ce volet. Mes priorités en la matière sont, d’une part, l’amélioration de la qualité du service public. C’est-à-dire, tout ce qui a trait à l’éducation, à la santé, aux infrastructures (eau, électricité, routes). D’autre part, l’emploi des jeunes, car plus de 50% de la population active et 85% des chômeurs sont des jeunes. Il y a un travail de fond à faire pour développer un système de production qui emploie les jeunes. Et qui rassure les investisseurs. C’est en créant de nouveaux investissements dans le domaine des services et autres que nous allons créer l’emploi. En tout état de cause, je voudrais seulement dire que nous avons besoin de reprendre la gestion économique en main.
La situation de notre pays est difficile, mais elle n’est pas sans espoir. Les Ivoiriens souffrent. Les mouvements sociaux se multiplient et ils sont légitimes. L’Etat est ébranlé par des affaires. L’heure n’est plus à la politique du « tout ou rien ». La démocratie implique de nouveaux comportements responsables, respectueux, républicains tout simplement. Si nous avons raté notre passé récent, nous pouvons réussir notre avenir proche.
avec lesafriques