A ce rythme, il finira par se rencontrer dans un aéroport, lui aurait lancé un de ses amis qui n’en pouvait plus de s’entendre dire « il vient de prendre l’avion ». C’est que Samy Achour n’est plus de nulle part. A l’image de son monde, il est partout. La globalisation, c’est bien cela.
Ce Tunisien encore jeune, 43 ans, a déjà marqué son domaine. A la vitesse de la lumière, qui est la mesure dans son univers cybernétique. Son entreprise, Integration Objects, créée en 2002, n’a pas encore dix ans, mais traite avec les plus grands et collectionne les distinctions internationales. La Fondation arabe des sciences et des technologies, créée en 2000 aux Emirats arabes unis pour appuyer financièrement le développement de projets technologiques arabes dans les pays arabes, l’a élu deuxième techno-entrepreneur arabe en 2005.
Tournée vers l’export, Integration Objects ne vit pas à l’heure de la Tunisie. Ni le français, ni l’arabe n’y sont du reste parlés. Y règne l’anglais que manient avec aisance la vingtaine d’ingénieurs informatiques dont la plupart ont été formés aux Etats-Unis.
De même, la Chambre de commerce tuniso-américaine, qui récompense chaque année les entreprises tuniso-américaines, a décerné à Integration Objects le « Prix spécial du meilleur exportateur de produits TIC ». Ce prix souligne l’importance de la technologie de l’information en particulier dans l’économie tunisienne, mais aussi l’apport de la Tunisie dans les solutions informatiques pour le marché américain.
Clients prestigieux
Plus que les prix, c’est à ses clients que se mesure le succès de Samy Achour. Integration Objects, une société de « services informatiques spécialisée dans le développement de solutions de connectivité maintenables et évolutives, entre systèmes temps réel, applications et périphériques ». Plus prosaïquement, l’entreprise est spécialisée dans la conception, la vente et la mise en service de solutions informatiques pour l’industrie et les services. Sa gamme d’intervention concerne de fait pratiquement tous les métiers de l’intelligence informatique, conseil en NTIC, solutions en NTIC, développement de logiciels, serveurs de services informatiques. Ses clients sont parmi les plus grands : Aramco, Exxon Mobil, ABB, Tetrapak…
Dans le monde des technologies de l’information, la Tunisie est le leader africain. Le monde l’a reconnu en y tenant le deuxième sommet mondial sur la société de l’information en 2005, malgré le forcing des organisations de défense des droits de l’Homme, tels Human Rights Watch, Reporters sans frontières, le Conseil national des libertés en Tunisie, qui dénonçaient le contrôle et la censure d’Internet dans le pays. Le CNLT déplorait même « une surveillance étroite exercée sur les sites visités et ceux qui “troublent l’ordre public”, soigneusement verrouillés ».
Pourtant la Tunisie a été en 1991 le premier pays africain à se connecter à ce qu’on appelait encore le réseau des réseaux, à travers son Institut régional des sciences informatiques et des télécommunications pour l’usage des chercheurs et des universitaires, avant d’être étendu, en mars 1996, au grand public et aux entreprises. Le nombre d’internautes y serait d’environ 1,5 million, soit 15% de la population. C’est la Tunisie qui a également lancé, dès 1998, à Minneapolis, aux Etats-Unis, le premier appel pour la tenue d’un sommet mondial sur la société de l’information. L’impulsion viendrait du président Ben Ali, un féru de nouvelles technologies. Chez ce champion africain des TIC, Achour figure parmi les champions. C’est qu’il a mis les atouts de son côté, avant de se lancer à son propre compte.
Brillantes études
Bac français passé à la fameuse La Marsa de Tunis, Samy, qu’on attendait en conséquence plutôt en France, se tourne vers les Etats-Unis, à l’Université de Caroline du Nord, pour décrocher un diplôme d’ingénieur en électricité avec l’informatique en option. Etudes brillantes puisqu’il est classé cinquième de sa promotion. Il est coopté dans la National Engineering Honor Society et prend la deuxième place du concours universitaire de l’Etat en avril 1984. Bien doté au plan technique, prévoyant déjà ce qu’il ferait dans l’avenir, il entreprend des études de gestion en 1988/1989 au Furman University.
Les meilleurs diplômes au monde ne suffisent pas à assurer la réussite. Achour semble l’avoir compris très tôt en multipliant ses expériences dans les plus grandes entreprises. Cela commence chez Michelin, à Anderson. Il y est chargé entre juin 1987 et avril 1990 de développer des projets d’automatisme et d’informatique industrielle pour les chaînes de production des produits finis.
En mai 1990, il quitte Michelin tout en restant aux Etats-Unis. C’est une société basée à Houston, SetPoint, qui changera de dénomination pour s’appeler Aspen Technology, qui l’accueille. Il est nommé, trois mois après son arrivée, ingénieur senior chargé des applications. Une nomination qui sanctionne ses aptitudes dans « les applications de base de données temps réel, contrôle avancé et optimisation ». A ce titre, c’est lui qui est chargé des comptes de multinationales telles que Dupond de Nemours, Exxon, Nestlé… Il s’en tire avec brio puisqu’il lui est décerné au bout d’une année seulement le prix du meilleur ingénieur en support avant ventes.
Il ne s’en contente pas. Toujours décidé à gravir les échelons, il tente un nouveau challenge en 1992 en rejoignant le géant Gensym. Pari réussi. Il est nommé directeur pour la France jusqu’en 1995, puis vice-président de la division Europe, Moyen-Orient et Afrique. Son talent et son savoir-faire éclatent au grand jour. Il fait progresser le chiffre d’affaires de la filiale française de 30 à 50%. Parmi ses clients, les plus grands groupes français, Elf, France Télécom, permettant à la filiale de contribuer pour 67% au chiffre d’affaires mondial de Gensym.
S’accomplir
Plus d’un, à sa place, se contenterait d’un tel succès qui lui prédisait une carrière en or chez un leader mondial. Ce n’est pas assez pour lui. Il veut s’accomplir désormais par lui-même, et peut être le pays lui manque-t-il. « Être entrepreneur, c’est pouvoir contrôler sa propre destinée. C’est une chose à laquelle j’ai toujours aspiré », plaide-t-il.
Il décide de rentrer à Tunis et de créer en 2002 sa propre entreprise Integration Objects spécialisée dans les automatismes industriels, l’informatique industrielle, la télégestion et les systèmes d’aide à la décision. Bien connu dans le secteur, doté de connaissances techniques et d’aptitudes managériales avérées, il a mis de son côté tous les atouts. La réussite est aujourd’hui au rendez-vous. En l’espace de quelques années, Integration Objects est parvenue à se forger une excellente réputation à l’échelle mondiale dans le domaine des automatismes industriels et de la télégestion.
A contre-courant
Une ombre au tableau. S’il avait été rappelé par l’appel du pays, il n’a guère le loisir d’en profiter. Integration Objects est certes basée sur les berges du Lac, à Tunis, mais à peine. Tournée vers l’export, elle ne vit pas à l’heure de la Tunisie. Ni le français, ni l’arabe n’y sont du reste parlés. Y règne naturellement l’anglais que manient avec aisance la vingtaine d’ingénieurs informatiques dont la plupart ont été formés aux Etats-Unis.
C’est peut-être pourquoi Achour mesure bien l’intérêt à travailler avec les pays développés où se trouvent, du reste, l’essentiel de ses clients.
A la table ronde de haut niveau sur le partenariat dans le domaine des TIC en 2005, il n’hésite pas à ramer à contre-courant, en soutenant qu’il ne croit pas à une coopération exclusivement Sud-Sud. Il prône plutôt une coopération triangulaire Nord/pays émergents/pays en développement qui est, à ses yeux, la seule susceptible de réduire la fracture numérique. « Ce modèle de coopération a l’avantage de permettre à chacun de prendre chez l’autre ce qui lui manque. Les pays émergents ont réussi à développer des capacités en TIC et les pays en développement peuvent profiter de leur expérience et de leurs compétences, d’autant plus qu’ils en sont plus proches géographiquement et économiquement. Les pays développés, plus connus comme pays donateurs ayant accès à des ressources financières à moindre coût, peuvent travailler en équipe avec les pays émergents, réduire leurs coûts et élargir leur marché. On réduirait ainsi la fracture numérique », plaide-t-il.
avec lesafriques