Issu d’une grande famille de la bourgeoisie tunisienne, Sakhr El Materi s’est fait un prénom en plaçant l’argent hérité dans des affaires qui marchent. A 29 ans, il est à la tête d’un empire ayant des ramifications dans le tourisme, l’automobile, l’immobilier, et maintenant les médias.
« Je tiens à rendre hommage aux journalistes. Comme eux, je suis conscient que le développement du groupe implique l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail, meilleurs garants de leur indépendance. » C’est en ces termes que l’homme d’affaires tunisien Sakhr El Materi a tenu, le 18 avril dernier, à rassurer les journalistes du groupe de presse privé Dar Assabah qu’il venait de racheter. Au Syndicat national des journalistes et à l’opposition, qui s’inquiétaient des conséquences de l’opération sur la relative liberté d’expression qui distinguait les quatre journaux du groupe fondé en 1951 par Habib Cheikhrouhou, le jeune entrepreneur a lancé : « Notre but sera la quête de la vérité et la contribution au renforcement du climat démocratique à travers un groupe de presse solide. » Tout le microcosme politique tunisien est aujourd’hui curieux de voir l’issue de ce mariage inédit entre le monde des affaires et celui des médias. Entre l’argent et la liberté d’expression. Les premiers signes sont, toutefois, rassurants. Quelques jours après la finalisation de son « OPA amicale », le nouveau patron du premier groupe de presse privé tunisien a joint la parole à l’acte en majorant les salaires des journalistes et en entamant une « mise à niveau intégrale » de la boîte, dont la trésorerie était chancelante. « C’est son habitude. Partout où il passe, il agit en bon père de famille », commente l’un de ses collaborateurs.
Fils de millionnaire
Aujourd’hui âgé de 29 ans, l’homme a accompli en moins de six ans l’une des plus spectaculaires percées jamais effectuées dans le monde des affaires tunisien. Héritier d’une grande famille tunisoise qui s’est constitué une fortune avec le tournant libéral qu’a connu le pays depuis les années 1970, Mohamed Fahd Sakhr El Materi, de son nom complet, est le petit-neveu de Mahmoud El Materi, qui fut en 1927 un des premiers musulmans diplômés de la faculté de médecine de Paris. Le docteur El Materi était également une grande figure de la lutte contre l’occupation française et le fondateur du Néo Destour, l’ancêtre du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir.
Le docteur El Materi était également une grande figure de la lutte contre l’occupation française et le fondateur du Néo Destour, l’ancêtre du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir.
Ancien militaire reconverti dans le business, Moncef El Materi, le père de Sakhr, s’était associé à son frère Tahar pour créer, en 1973, la société El Adwya, aujourd’hui le plus important laboratoire pharmaceutique privé du pays, et plus tard beaucoup d’autres entreprises prospères dans le secteur agroalimentaire.
Voler de ses propres ailes
Après une enfance de fils de millionnaire et des études sanctionnées par un Master en sciences de gestion, le jeune Sakhr intègre la société Adwya, dont il est toujours l’un des administrateurs. Entre temps, il se marie à Nesrine, l’une des filles du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali. En 2005, il pilote l’entrée du groupe familial dans le capital de Nestlé – Tunisie. Quelques mois après, il commence à prendre ses distances avec les affaires familiales pour voler de ses propres ailes.
Alors que plusieurs de ses semblables, issus de familles bourgeoises, ont vu leur héritage se diluer dans les voyages à l’étranger et les soirées mondaines, il a préféré compter ses millions et les placer opportunément dans des affaires qui marchent. A l’occasion de la privatisation de la Banque du Sud, fin 2005, il reprend les 16% du capital de l’établissement à la banque italienne Monte De Pasche De Sienna, avant de les céder quelques mois plus tard. Une opération qui lui aurait, dit-on, rapporté un joli pactole. Suffisamment en tout cas pour racheter la société publique Ennakl, concessionnaire de toutes les marques automobiles allemandes en Tunisie, pour quelque 22 millions de dinars (1 dinar = 0,54 euro). Peu après, il entreprend une modernisation tous azimuts de cette société à coups d’investissements importants et de campagnes de marketing agressives. Conséquence : le concessionnaire automobile, repris en piteux état, est devenu, depuis 2007, le deuxième importateur des véhicules Wolkswagen en Afrique.
Diversification réussie
L’entrepreneur n’a pas, par ailleurs, tardé à multiplier les partenariats avec des groupes étrangers. Il rentre rarement d’un voyage à l’étranger sans un nouveau contrat dans ses valises. C’est ainsi qu’il crée, fin 2007, les sociétés Truks Gros et, Car Gros, spécialisées dans la vente des pièces de rechange Wolkswagen, Audi et Porsche. En juin 2008, il inaugure Ennakl véhicules industriels, une nouvelle société dédiée à l’activité poids lourds, en partenariat avec le groupe Renault Trucks International. Deux mois après, il a été à l’origine d’une visite de prospection menée en Tunisie par une importante délégation de Wolkswagen, qui s’est achevée par un accord sur le doublement des achats des composants automobiles du groupe allemand auprès des industriels tunisiens. C’est également lui qui a été l’artisan, le 28 février dernier, de la présentation, à Tunis, en avant-première mondiale, de trois nouveaux modèles du constructeur Porsche : la Boxter S, la Cayman S et la Cayenne Diesel. Bien que l’automobile constitue sa « principale tirelire », Sakhr El Materi prend soin de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Sa société Goulette Shipping Services entend surfer sur la vague du tourisme de croisière avec la construction, au port tunisois de La Goulette, d’un terminal réservé aux croisiéristes, réalisé dans le cadre d’une concession pour quelque 80 millions de dinars.
L’appétit venant en mangeant, le business angel vient également d’investir le secteur de la promotion immobilière, avec la création des sociétés Les Hirondelles et Le Marchand immobilier. Fin 2008, son groupe baptisé Princesse El Materi Holding a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 200 millions de dinars.
Mécénat et œuvres caritatives
Insatiable, le « serial entrepreneur » n’entend pas s’arrêter là. Fin janvier 2009, il obtient l’agrément des autorités monétaires pour créer une banque, qui commercialisera des produits financiers respectueux de la charia. Un vieux projet auquel l’homme, connu pour sa piété, rêvait depuis longtemps. Ce sera « sa deuxième contribution à la promotion des valeurs de l’islam ». En septembre 2007 il avait déjà lancé une radio dédiée « à la récitation des versets du Coran et à l’explication de leurs nobles finalités ». Cette radio baptisée Ezzeitouna (Olivier), éponyme d’une prestigieuse mosquée de Tunis, ne vit que grâce au mécénat de son promoteur.
« Le bonheur de participer à la création d’emplois et à la survie de nombreuses familles n’a pas de prix », a-t-il indiqué fin 2008 lors d’un meeting d’hommes d’affaires. Le social semble en effet faire partie de ses priorités. En témoigne la création de l’Association Dar El Materi, basée dans une ancienne demeure construite il y a plus d’un siècle par son grand-père, qui assure depuis environ une année logement et soutien psychologique aux cancéreux nécessiteux.
La trajectoire rectiligne de l’entrepreneur n’est bien sûr pas pour plaire à certains de ses concurrents en affaires. « Il est très chanceux », susurre l’un d’eux, laissant entendre que les liens familiaux de l’intéressé l’auraient beaucoup aidé. Lui s’en défend et affirme agir par patriotisme comme l’ont toujours fait les membres de sa famille. « Faites le millionième de ce que je fais pour mon pays et ma religion et la Tunisie se portera beaucoup mieux », a-t-il lancé récemment à ses détracteurs.
avec lesafriques.