La première icône africaine mondiale appartient au monde politique. Ses successeurs, encore bien loin de l’égaler, défricheraient plutôt les champs des affaires, des arts et de la science.
Nelson Mandela est l’incontestable figure emblématique de l’Afrique. Un homme d’une dimension mondiale. Le héros qui aura donné sa vie à son peuple, à tous les peuples du monde, parce que, finalement, son combat a été pour la dignité de l’Homme. Mais la gloire ne lui a pas suffi. Il y a ajouté la splendeur de la vertu, malgré le pouvoir. Il sera en bonne place dans l’histoire de l’humanité, parmi les rares hommes qui peuvent prétendre au rang de génie politique. Coupé de tout pendant un quart de siècle, Mandela n’aurait jamais dû pouvoir affronter avec la lucidité, la finesse, le sens de la mesure, le défi herculéen de la création d’une nation arc-en-ciel, où tortionnaires et geôliers d’hier peuvent cohabiter avec leurs victimes. Et le comble, c’est qu’il ne s’est pas senti indispensable. Après un seul mandat, il a passé le relais, s’élevant encore davantage. S’il ne dirige plus un pays, il règne sur les esprits et les cœurs. Les chefs d’Etat qui manipulent leurs constitutions pour rester au pouvoir, qui s’autoproclament « messie obligé de terminer son chantier » devraient le méditer. Le chantier de l’Afrique du Sud post-apartheid est plus complexe, tellement plus crucial, que quelques mines, quelques autoroutes, quelques barrages.
Avant Mandela, il y avait eu les Kwame Nkrumah, Gamal Abdel Nasser, le roi Hassan II, Léopold Sedar Senghor, Julius Nyerere, pour n’en citer que quelques-uns. Le Nobel de la paix a récompensé deux autres hommes politiques sud-africains, Albert John Luthuli, alors président du Congrès national africain (ANC), et Mgr Desmond Mpilo Tutu. Aucun des deux n’a toutefois exercé le pouvoir.
Désert politique
Sur le front politique, c’est désormais le désert. Les rares qui se distinguent par leur pratique du pouvoir l’ont déjà quitté. C’est le cas du Mozambicain Joaquim Chissano et du Botswanais Festus Gontebanye Mogae. Le prix Mo Ibrahim les a, à juste raison, primés. Une récompense loin d’être symbolique. Avec 5 millions de dollars sur dix ans, puis une rente annuelle à vie de 200 000 dollars, c’est le prix le mieux doté au monde. Le Nobel de la paix ne reçoit, en comparaison, qu’environ un million d’euros.
Il est significatif qu’après Anouar El-Sadat, primé en 1958, Mandela et Frédéric de Klerk en 1993, le Nobel africain de la paix suivant soit une dame en dehors du champ politique, l’écologiste Kényane Wangari Maathai. Il n’y a guère de chance, à terme, qu’un autre homme politique africain soit primé par le Nobel de la paix.
Et le seul homme politique au pouvoir, distingué dans la liste des cent personnalités les plus influentes du monde établie chaque année par le magazine américain Times, est le Rwandais Paul Kagamé, dans la catégorie « Leaders & révolutionnaires ». Accusé par les Français d’être à l’origine de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, et donc principal instigateur du génocide rwandais, Paul Kagamé ne prétendra jamais au Nobel. Il reste que, sous sa férule de poigne, il a construit à partir de ruines épars un véritable Etat. S’il n’est pas un enfant de chœur, il a le mérite d’être un vrai homme d’Etat, assumant un leadership effectif et efficace, comme l’Afrique en manque désormais tant. Le Rwanda aurait pu prétendre devenir un modèle de gouvernance, si les droits humains y étaient parallèlement davantage respectés. En le citant, le magazine américain note que c’est Kagamé qui a mis fin à l’effroyable génocide rwandais, puis réussi la réconciliation nationale, dans un pays meurtri où des voisins s’étaient entretués, et assuré la promotion des femmes comme personne au monde. La moitié du parlement rwandais est féminine. Il a également entamé une réelle croisade contre la corruption, notamment par la nomination d’un commissaire, en 2007, pour améliorer sa très mauvaise note, trois sur dix, à l’indice de Transparency International. D’un Etat en faillite conclut le magazine, Kagamé est en train de préparer à son pays un beau futur.
L’autre homme politique distingué par Times n’exerce pas encore le pouvoir. Il est le voisin de Kagamé, le Burundais Alexis Sinduhije. Ancien journaliste, il avait été arrêté en novembre 2008 pour outrage au chef de l’État burundais. Relâché après quelques jours de détention, il a troqué le micro de sa radio RPA (Radio publique africaine) contre la carte politique. Le petit peuple de Bujumbura l’appelle déjà Obama. Il est candidat de son parti, le Mouvement pour la solidarité et la démocratie, pour la présidence de la République.
Autre « révolutionnaire » nominé par deux fois, en 2006 et 2007, l’archevêque anglican du Nigéria, Mgr Peter Akinola. Il refuse toutefois l’étiquette, se voulant simplement « pasteur ordinaire ».
Littérature
Les nouveaux Nobel se recruteront ailleurs. En littérature, ils sont cinq à l’avoir déjà reçu. Au Nigérian Wole Soyinka, ont succédé l’Egyptien Naguib Mahfuz et les Sud-Africains Nadine Gordimer et John Maxwell Coetzee, puis le franco-mauricien Le Clézio. D’aucuns estiment qu’Albert Camus, né en Algérie en 1913, qui a remporté le Nobel de littérature en 1957, devrait être compté parmi les Nobel africains.
Pour les autres Nobel, l’Afrique est hélas bien absente. Le seul Nobel scientifique fourni par le continent, l’Egyptien Ahmed H. Zewail, Nobel de chimie en 1999, vit et travaille en réalité pour le fameux California Institut of Technology, Caltech, aux Etats-Unis.
Peut être la Franco-sénégalaise Rose Dieng, lauréate du prix Joliot-Curie en 2005, sera-t-elle distinguée un jour par le Nobel.
Dans l’économie et les affaires, la Zambienne Dambisa Moyo, docteur en sciences économiques de la prestigieuse Université d’Oxford, est surtout auteur d’un livre à succès : « La mort de l’aide publique au développement : pourquoi elle ne fonctionne pas et comment une autre solution est possible pour l’Afrique », publié cette année et classé en avril dernier parmi les meilleures ventes par le New York Times.
Business
Le milliardaire et philanthrope d’origine soudanaise Mo Ibrahim, fondateur de Celtel, est aussi du lot des entrepreneurs distingués. Il n’a pas les honneurs du Times, mais a ceux du magazine Forbes.
Sur le plan des affaires, en Afrique du Sud il en est plusieurs de stature mondiale. Cyril Ramaphosa, Saki Macozoma, Mzi Khumalo, Patrice Motsepe, bénéficiaires du black empowerment. En France, Lionel Zinsou, membre du comité exécutif de PAI Partners peut prétendre un jour à une palme mondiale.
Dans les arts, le musicien sénégalais Youssou Ndour a eu les honneurs de Times. La création artistique est probablement, avec le sport, le domaine où se distinguent le plus d’Africains (voir en pages 22 et 23).
Dans les Droits de l’Homme, la première présidente de la Fédération internationale des Droits de l’Homme est la Tunisienne Souhayr Belhassen. Et à Amnesty International, un Sénégalais a occupé le secrétariat général, avant de céder la place à Irène Zubaida Khan, du Bengladesh.
La renaissance africaine s’incarne aussi dans ses hommes et femmes. Qu’en sera-t-il quand l’Afrique sera le continent le plus peuplé du monde ?
C’est peut-être à la Maison Blanche qu’il faut chercher l’héritier de Mandela
Que le peuple américain ait appelé un métis africain aux commandes de la première puissance mondiale pour réconcilier leur pays avec le reste du monde n’est peut-être pas un hasard.
Obama partage avec Mandela un réel sens de la mesure, du consensus, de la justice et, surtout, du pardon.
Les deux hommes ont également en commun d’arriver au pouvoir pour réparer, par leur autorité morale, les dégâts considérables occasionnés par la politique brutale et erronée de leurs prédécesseurs. Ils partagent le même courage physique pour faire face aux agressions racistes, et politique pour convaincre et ramener à eux les opinions a prioridéfavorables.
Le premier a réussi à faire coexister dans son pays l’eau et le feu, à bâtir une nation pluri-ethnique et pluri-culturelle, la nation arc-en-ciel. Le second a la tâche de poursuivre cette œuvre en l’appliquant à la terre entière, pour faire émerger un nouveau monde multipolaire, plus diversifié, plus équilibré.
Rien ne garantit qu’il y parviendra d’un claquement de doigt. Mandela a lutté toute sa vie pour réaliser son rêve. Mais qui d’autre aujourd’hui serait mieux placé pour réussir cet exploit ?
avec lesafriques