La BOAD marque bien son inflexion en faveur du secteur privé. En complément des banques commerciales, mais avec des taux d’intérêts et des durées plus intéressantes, assure le président de la BOAD, Abdoulaye Bio-Tchané.
PROPOS RECUEILLIS PAR CHÉRIF ELVALIDE SÈYE
Les Afriques : Monsieur le Président, après 35 ans, pourquoi la BOAD décide-t-elle d’ouvrir un centre dédié au secteur privé ?
Abdoulaye Bio-Tchané : La création du Centre d’information du secteur privé (CISP) est une initiative que nous avons prise en droite ligne des orientations du 1er plan stratégique 2009-2013 de la BOAD, qui prévoient de faire de la Banque un partenaire privilégié des entreprises.
Le CISP a pour vocation de divulguer l’information à caractère général ; de vulgariser l’information sur les produits et services de la Banque ; de faire de la Banque un interlocuteur disponible et privilégié des entreprises ; d’écouter les entreprises pour cerner leurs besoins et proposer des solutions innovantes. J’ai donc bon espoir que cette ouverture sur le monde extérieur offrira des opportunités nouvelles pour le secteur privé de la sous-région.
LA : Quelle est la part du secteur privé dans les 1400 milliards FCFA (2,130 milliards d’euros) de financement effectués ces 35 dernières années ?
ABT : La Banque a consacré environ 31% de ses engagements nets cumulés au secteur privé, soit 421 milliards FCFA, pour la réalisation de 204 projets. Les concours cumulés au secteur privé se répartissent à raison de 329 milliards FCFA, en prêts directs et participations, au profit d’unités industrielles et de services, et de 92 milliards FCFA (61 opérations) en lignes de refinancement en faveur des institutions financières nationales, pour le financement des projets d’investissement des PME/PMI. En sus des prêts directs, des prises de participations et de lignes de refinancement, d’autres instruments, tels que la garantie des émissions d’emprunts obligataires et l’arrangement, participent également de l’action de la Banque en appui au secteur privé.
LA : Concrètement, une entreprise qui a besoin de financement peut-elle venir déposer un dossier à ce guichet ? Comment est-ce organisé ?
ABT : Les introductions de demande de prêt se font par une requête de financement et un dossier du projet, déposés au siège de la BOAD à Lomé ou acheminés par l’intermédiaire des missions résidentes de la Banque dans ses Etats membres. Le Centre est organisé pour apporter assistance et information aux visiteurs. Un pool de cadres et experts est mobilisé pour répondre aux préoccupations des visiteurs.
LA : Pourquoi les entreprises s’adresseraient-elles à la BOAD plutôt qu’aux banques commerciales ?
ABT : D’abord, je souhaite que nos clients nous voient comme un complément aux banques commerciales et non comme un concurrent. De ce point de vue, deux éléments nous semblent importants pour nous distinguer. Il s’agit d’abord de la compétitivité des conditions de financement de la BOAD, tant au niveau des taux d’intérêt que de la durée. Il y a également les montants de financement, qui sont en général plus élevés que ceux des banques commerciales.
LA : La BOAD sera-t-elle toujours une banque de développement ?
ABT : La BOAD demeure plus que jamais une banque de développement : rappelez-vous, l’une de nos deux nouvelles priorités est le développement durable.
« Je souhaite que nos clients nous voient comme un complément aux banques commerciales et non comme un concurrent. »
En finançant le secteur privé, elle reste bien dans sa mission originelle d’institution spécialisée de financement du développement des pays de l’UEMOA. Tous nos pays membres mettent aujourd’hui le secteur privé au centre de leur politique de développement.
LA : La BOAD est-elle outillée pour travailler avec le privé ?
ABT : Les financements de la Banque sont bien adaptés aux besoins du secteur privé. Ce qui a permis à la BOAD de jouer un rôle phare dans le financement de la création, l’extension, la modernisation, la restructuration et la privatisation de sociétés de la sous-région.
L’offre de la Banque doit progressivement aller au-delà d’une simple offre de financement, pour proposer aux clients des montages financiers innovants, susceptibles d’apporter des solutions durables à leurs problématiques de financement. Plus qu’une banque, la BOAD doit se positionner en partenaire des entreprises, capable de cerner leurs besoins, de leur proposer des solutions innovantes et de s’impliquer dans leur concrétisation.
LA : On parle beaucoup de partenariat public-privé, mais il y a encore peu de réalisations. Qu’est-ce qui y fait obstacle ? Que peut faire la BOAD pour le stimuler ? Aura-t-elle les moyens de ses ambitions ?
ABT : Il faut souligner que la BOAD a déjà accordé des financements à la réalisation de projets d’infrastructures, dans le cadre de partenariats public-privé. A titre illustratif, au cours des cinq dernières années, elle a apporté à ce titre un concours global de 151 milliards FCFA (230 millions d’euros).
Donc, la dynamique de promotion de ce partenariat est enclenchée dans la sous-région. Il faut alors l’encourager par l’accélération des processus de privatisation des entreprises de services publiques et par la mise en place d’une expertise pour assister nos Etats dans la mise en œuvre de ce type de financement innovant. Il faut également poursuivre les efforts d’amélioration de l’environnement des affaires, pour renforcer l’attractivité de notre zone pour ce type de partenariat.
Au regard de l’ambition de se positionner comme leader des services financiers innovants, en particulier les partenariats public-privé dans l’UEMOA, la BOAD travaille à se donner les moyens en termes d’expertise et de savoir-faire, en vue de répondre favorablement aux entreprises qui recourent à cette modalité dans la réalisation des infrastructures économiques dans nos Etats.
LA : Est-ce que l’instabilité politique en Afrique n’est pas un frein au PPP ? Car ce sont des investissements qui s’amortissent sur vingt, trente ans.
ABT : Je ne le crois pas. Bien sûr, l’idéal est qu’il n’y ait pas d’instabilité politique, mais je ne pense pas que ce soit un frein, parce que, justement, l’existence d’un cadre juridique qui sécurise l’investissement rassure les partenaires privés. Quand, par exemple, vous investissez dans une centrale électrique, quoi qu’il arrive, cette électricité est consommée. Ce dont il faut cependant s’assurer par le cadre juridique, c’est que la politique des prix qui sera appliquée permette de récupérer les ressources.
LA : Est-ce que les pays qui sont sous programme avec la Banque mondiale et le FMI et qui ne peuvent plus emprunter que des ressources concessionnelles sont libres de recourir au PPP ?
ABT : Cela ne pose pas problème, parce que ce ne sont pas des ressources d’emprunt. En revanche, il faut tenir compte que ce ne sont pas des investissements sans contrepartie publique. En général, les gens pensent qu’il n’y a pas de ressources publiques à injecter, qu’il n’y a pas de coûts récurrents. Ce n’est pas le cas. Quand vous construisez un aéroport en PPP, c’est certes le promoteur qui en assure le financement, mais il faut que l’Etat construise les routes d’accès, les entretienne. Il faut donc s’assurer de la capacité des finances publiques à supporter ces coûts. Que le pays soit sous programme ou pas, il lui revient d’analyser toutes les conséquences d’une telle décision pour les finances publiques.
LA : Vous avez tenu votre dernier conseil en Chine. En quoi la place de la Chine, ou celle que vous voulez qu’elle tienne, justifie ce choix ?
ABT : La tenue de notre conseil d’administration en Chine tient d’abord au fait que nous avons répondu favorablement à l’invitation de la Banque populaire de Chine, qui représente le gouvernement chinois, actionnaire au capital de la BOAD. C’est un de nos actionnaires non régionaux et le deuxième plus gros investisseur non régional après la France. Cette visite a été très fructueuse pour nous permettre de voir ce que la Chine fait en matière d’investissement, comment ils travaillent et comment nous pouvons travailler ensemble, puisque nous avons tenu, à la suite du conseil, un séminaire avec les partenaires du secteur privé chinois. Nous avons pu discuter avec les banques, les institutions financières, mais aussi les entreprises dans des secteurs aussi divers que l’énergie ou les télécommunications.
LA : Les Chinois sont-ils intéressés par autre chose que venir prendre nos matières premières ?
ABT : Tout à fait. Les Chinois utilisent une formule dont il faut tenir compte. Ils disent qu’ils veulent un partenariat gagnant-gagnant. Je pense qu’ils le disent avec sincérité. Mais pour que ce soit le cas, il faut que nous, Africains, veillions sur nos propres intérêts. On ne peut espérer des Chinois qu’ils veillent sur les intérêts des Africains. Leur responsabilité est de veiller sur les leurs. Si nous veillons sur les nôtres, la formule sera juste. Les Chinois ont des capacités d’investissement, des capacités d’intervention qui sont très utiles pour nous, dans des secteurs aussi importants que les infrastructures ou l’énergie. Nous serons en mesure de bénéficier de cette coopération si nous veillons sur nos intérêts.
avec lesafriques