Ali Bongo Ondimba est sûr de son fait ou, à tout le moins, fait tout pour le faire croire. Au lendemain de la proclamation des résultats controversés de la présidentielle, il avait osé affronter les 40 000 supporters de l’équipe nationale de football qui jouait contre le Cameroun pour les éliminatoires combinées Coupe d’Afrique des Nations et Coupe du Monde. Certes, les partisans avaient été fortement encouragés à garnir les tribunes, mais il reste qu’une foule de supporters ne peut jamais être totalement maîtrisée, d’autant que la défaite face aux « Lions indomptables » devait être raisonnablement envisagée. Premier test réussi. Le président élu n’a pas été hué.
Il devra se souvenir que, même selon les résultats officiels, il n’est parvenu à gagner que quatre provinces sur les neuf que compte le pays.
Cette fois, alors qu’il n’a pas encore prêté serment, il laisse le pays à l’opposition qui appelait à une grève générale de trois jours, pour rencontrer ses « pères » du Cameroun, du Congo et bientôt du Tchad. C’est dans la même logique qu’il avait refusé le retour du médiateur de l’Union africaine, l’ancien Premier ministre sénégalais Moustapha Niasse, que son compatriote Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine, voulait lui envoyer.
Le fils semble ainsi bien en passe de réussir à s’emparer du fauteuil du père, en dépit d’une élection bien suspecte. L’opposition a beau jeu de souligner l’invraisemblance des résultats dans certaines provinces. Dans son fief de l’Haut Ogoué, dont est originaire sa mère, Ali a fait près de 100% en raflant 51 993 voix contre 876 pour Mamboundou et 581 pour Mba Obame. Son total, affirme la coalition regroupant les dix-sept candidats malheureux, serait supérieur au nombre des électeurs inscrits. Dans la province voisine de l’Ogoué Lolo, il s’octroie 12 318 suffrages contre un total de moins de 2000 à ses deux principaux rivaux. Néanmoins, il devra se souvenir que, même selon les résultats officiels, il n’est parvenu à gagner que quatre provinces sur les neuf que compte le pays.
Malgré ces résultats pour le moins serrés, la communauté internationale, après quelques hésitations, est en train d’entériner ces résultats alors que la Cour constitutionnelle n’a pas encore examiné les recours de l’opposition, qui appelle au recomptage des bulletins que la Commission électorale nationale et permanente lui avait refusé.
Coup de sang
Pour remettre en question l’ordre déjà établi, l’opposition ne peut désormais plus compter que sur elle-même, sur sa capacité de mobilisation qui semble déjà bien émoussée, passée le coup de sang à Port-Gentil.
Tout n’est toutefois pas encore gagné pour le nouveau Bongo. Tout reste même à faire. Le premier étage de la fusée était somme toute le moins complexe. Depuis ses heures « glorieuses » de 1990, quand elle avait réussi à tenir la rue, obligeant le parapluie militaire français à se déployer pour aider à rétablir l’ordre, l’opposition a perdu sa capacité de contestation et s’est en grande partie diluée dans le pouvoir et dans les ors de la République. Hormis peut-être Pierre Mamboundou, elle n’a jamais humé les lacrymogènes. Ali a donc vaincu sans gloire. Reste à assumer le pouvoir.
Vie facile
Sa première responsabilité nationale lui a été octroyée par le père alors qu’il n’avait pas trente ans. Il fait néanmoins long feu au Ministère des affaires étrangères qu’il doit quitter pour cause d’âge. La nouvelle Constitution imposée par les événements fixe l’âge minimal de 35 ans pour prétendre aux responsabilités ministérielles.
Il n’a pas dû beaucoup le regretter. Encore jeune, habitué à la vie facile des beaux milieux en France, où il a poursuivi ses études dans des établissements huppés, collège protestant des Cévennes, collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine, puis droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Recalé par la République, il a quartier libre pour écumer les bars et dancings de Libreville, poussant la chansonnette. Peut-être un héritage de sa mère, Joséphine Nkama, alias Patience Dabany, qui a entamé une carrière musicale après dix-huit ans de ménage avec Albert-Bernard Bongo, le père, rencontré en 1958, épousé en 1959 alors qu’elle n’avait que quinze ans.
Cette belle et facile vie doit quand même s’achever puisque le père n’a pas renoncé à une succession dynastique. Sa conversion à l’islam l’y a-t-il aidé ? A l’instar du père, devenu Omar, Alain-Bernard Bongo devient Ali Ben Bongo. En 1999, il prend le portefeuille de la Défense pour ne plus jamais le quitter jusqu’à la mort du père et l’exigence des autres candidats.
La succession s’annonce ardue parce que les handicaps sont nombreux. Il connaît mal son pays. Il n’en parle bien aucune langue. Le pays le lui rendait bien du reste. Ainsi le croyait-on timide, emprunté. C’était oublier qu’il fut chanteur. Il a surpris son monde par ses talents d’animateur, son aisance sur scène pendant la campagne électorale. Il faudra toutefois d’autres qualités pour réussir le « partage équitable des richesses sans clanisme ni corruption » qu’il a promis. Le système a été bâti par l’entretien de la clientèle politique partagée alors entre « caciques, appelistes, rénovateurs ».
Alain Bongo (à gauche) est bien né à Brazzaville. Il pesait 3 kilos. A ses côtés, Omar Dennis Junior, Yacine Queenie et Pascaline Bongo.
Masse salariale
L’échéance économique est déjà là. Il va falloir préparer le budget 2010. Le FMI avait souligné en mai dernier, lors d’une mission, que « l’exercice 2009 a d’ores et déjà été difficile en raison de l’effondrement des prix pétroliers, de la réduction du prix du manganèse ainsi que de la crise dans le secteur du bois ». En conséquence, il avait « mandaté à Libreville une délégation spéciale afin de baliser avec le gouvernement un plan d’action pour 2010 ». Deux écueils doivent être surmontés. La masse salariale et les piètres performances du secteur non pétrolier. Ali aura-t-il les moyens politiques de réduire la masse salariale ? Le voudra-t-il seulement au risque de passer pour le porte-malheur qui aura réduit les possibilités de redistribution ?
Alors qu’il a promis d’améliorer l’accès aux services de base, le nouveau président doit compter avec la réduction des possibilités d’investissement du gouvernement. Il fut accusé un moment d’être un réfugié nigérian de la guerre du Biafra adopté par Omar Bongo, ce qui avait conduit sa mère à monter au créneau pour soutenir qu’il était bien son fils, né à trois kilos, au Congo.
Ali n’a encore pas, bien évidemment, l’habilité du père, ni son expérience. « Dans toutes les fonctions que j’ai occupées, je me suis toujours comporté en rassembleur et j’ai toujours tenu compte de la représentativité des uns et des autres. Je n’ai pas cherché à m’entourer exclusivement de membres du clan, de la tribu, ou simplement d’amis », a-t-il affirmé dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Des mots qu’il va falloir mettre en application, car il a grand intérêt à rassembler, en attendant d’apprendre l’art si subtil de la direction des hommes au Gabon.
avec lesafriques