Depuis cinquante ans, la fréquence des anomalies climatiques a été multipliée par cinq. Ce chiffre ne pourra qu’augmenter avec le réchauffement climatique, que l’Accord de Paris de 2015 a l’ambition de ralentir, mais pas d’arrêter.
Au premier rang des populations exposées aux risques liés au climat figurent les petits exploitants agricoles : l’immense majorité des 50 millions d’exploitations de moins de 2 hectares en Afrique subsaharienne est dépourvue de toute protection contre les risques météorologiques. Elles sont considérées comme non assurables dans le cadre des dispositifs conventionnels d’assurance : les sommes à couvrir sont trop faibles, et les coûts d’administration, de commercialisation et d’expertise trop élevés.
Alors faut-il baisser les bras, au risque de laisser dépérir l’agriculture familiale, qui assure 80 % de l’alimentation des pays en développement et voir s’amplifier l’exode rural en direction de villes déjà surpeuplées ? « Tout le monde parle du temps qu’il fait, mais personne ne fait rien à ce sujet », disait l’écrivain et humoriste Mark Twain.
Assurances adaptées aux précipitations
Heureusement, l’assurance indicielle agricole change la donne, en combinant plusieurs types d’innovation. Innovation technologique : elle s’appuie sur des données biométriques – fournies par l’imagerie satellitaire ou par des stations météo de surface – pour modéliser la perte liée par exemple à une pluviométrie insuffisante. Si les indices révèlent un déficit hydrique pendant une période critique du cycle agronomique de la plante, l’agriculteur sera automatiquement indemnisé, sans qu’il soit nécessaire d’envoyer un expert in situ vérifier la réalité de la perte, et sans qu’il soit nécessaire d’attendre la période de la récolte. Innovation marketing : en liant l’assurance à l’acquisition d’intrants, tels que des semences ou des engrais, ou à l’octroi d’un prêt de récolte, les coûts de distribution sont considérablement diminués.
Prenons l’exemple d’Alfred, rencontré près de Thika, à une heure de route de Nairobi, qui cultive 2 acres de maïs et d’avocats. Le sol est de bonne qualité, mais, faute d’irrigation, il est très dépendant des pluies pour son maïs. Or le régime des précipitations tend à être de plus en plus irrégulier. Alfred et son groupement de 48 agriculteurs sont en relation avec Acre-Africa (Agriculture and Climate Risk Enterprise), un opérateur d’assurance-récolte qui conçoit et met sur le marché des offres basées sur des indices météorologiques. Acre a été créée il y a trois ans, à l’initiative de la Fondation Syngenta pour une agriculture durable, en partenariat avec la Fondation Grameen Crédit agricole.
Concrètement, le sac de 2 kg de semences de maïs acheté par Alfred contient une carte avec un code. De retour chez lui, il lui suffit de communiquer ce numéro par téléphone ainsi que d’indiquer la période de trois semaines pendant laquelle il va semer pour déclencher la géolocalisation de son champ. Si les indices révèlent que les pluies n’ont pas été suffisantes pour permettre la germination, Alfred sera automatiquement indemnisé du prix d’achat du sac, par virement sur son compte M-Pesa.
Lutter contre l’insécurité alimentaire
En 2016, Acre-Africa a touché 360 000 petits agriculteurs au Kenya, au Rwanda et en Tanzanie. D’autres projets similaires d’assurance agricole indicielle ont été mis en œuvre en Afrique de l’Ouest par Planet Guarantee et par Oxfam en Éthiopie.
En supprimant les coûts d’expertise et en réduisant les coûts de distribution et de transaction, cette approche innovante rend l’assurance agricole accessible aux petites exploitations des pays en développement. Un agriculteur assuré aura tendance à investir davantage dans son exploitation, notamment en semences de qualité et en engrais, et obtiendra plus facilement un crédit. Il augmentera ainsi ses rendements et ses revenus tout en se protégeant contre les aléas climatiques. Le moment est venu de faire de la généralisation de l’assurance agricole une priorité car c’est un facteur clé de lutte contre l’insécurité alimentaire et d’adaptation au changement climatique.
Avec jeuneafrique