La Tribune Afrique : Quel bilan faites-vous un an après votre arrivée à la tête de Business France ?
Christophe Lecourtier : Nous vivons actuellement en France un moment assez privilégié si on se réfère aux dix dernières années, avec une dynamique économique qui prend de plus en plus de vigueur et une confiance qui est de retour. Dans ce contexte, il est essentiel que toutes les organisations publiques s’adaptent pour être davantage utiles aux entreprises françaises souhaitant exporter -d’autant que les exportations repartent à la hausse- et parallèlement aux investisseurs étrangers. Cela tombe bien puisque ce sont les deux missions de Business France : je peux vous assurer que nous sommes résolus à passer à une vitesse supérieure pour optimiser notre action dans cette nouvelle phase de la vie économique de notre pays.
Vous allez organisez «Ambition Africa», qui est votre «flag-ship event» en octobre prochain à Paris pour le Continent. Quels sont les objectifs de cette manifestation ?
Nous avons bien entendu un enjeu national : mieux nous organiser en France pour identifier plus d’entreprises afin de mieux les orienter et mieux les accompagner sur les marchés étrangers. Mais nous devons aussi être capables de leur dire quels sont les marchés les plus particulièrement porteurs aujourd’hui. Or s’il est évident que le marché européen reste le premier débouché de proximité, et que les USA et la Chine continuent d’être des destinations majeures, nous percevons qu’il y a de plus en plus de PME/ ETI qui expriment un intérêt prononcé pour l’Afrique.
Notre rôle, c’est de créer une passerelle entre cette demande d’Afrique et la possibilité concrète de rencontrer les bons interlocuteurs africains ; parce que, in fine, le business ne se fait pas avec des statistiques, mais avec des partenaires. C’est pour cela que notre ambition africaine s’est traduite par un renforcement de notre présence sur le Continent, mais aussi par une grande manifestation à Paris en automne, qui permettra d’organiser plus de 3000 rendez-vous d’affaires entre entreprises françaises et PME africaines.
Justement, lors de votre prise de fonction, dans une des rares interviews que vous accordés, vous avez évoqué l’éclatement de cette promotion et de la montée en puissance des régions, ce qui potentiellement représente une cannibalisation de l’effort de l’Etat en matière de projection à l’international notamment en Afrique. Quelles sont alors les initiatives qui sont prises pour faire en sorte que la France chasse en meute et non en loup solitaire avec un éclatement des budgets ?
La cannibalisation dont je parlais n’est pas le fait des régions mais plutôt le fait de la dispersion des responsabilités, entre l’Etat, les Régions, nous-mêmes et les CCI, et la multiplication des guichets. Chacun reconnait aujourd’hui que cette pluralité d’intervenants créée beaucoup plus de confusion que de synergies. J’ai discuté avec chacun de ces acteurs, dès ma nomination. Tous ensemble, nous avons proposé que l’ambition nationale du commerce extérieur s’inscrive clairement dans le cadre des stratégies régionales, puisque c’est aux Régions que le législateur a donné la compétence en matière de développement économique. Celles-ci ont pour la plupart des relations anciennes en Afrique, via des jumelages ou des partenariats, souvent culturelles, parfois humanitaires.
Nous sommes convaincus à la fois de la pertinence de ces stratégies régionales de projection à l’international, et de la nécessité d’y inclure une dimension business. La boîte à outils que nous constituons, au cœur même des stratégies régionales, entre CCI et Business France, a une ambition concrète : permettre à la fois aux Régions de continuer d’être présentes en Afrique, mais aussi d’y accompagner un nombre croissant d’entreprises. Notre enjeu, c’est de donner au plus grand nombre d’entre elles, par une préparation adaptée, la chance de réussir sur les marchés africains. C’est une méthode que nous allons mettre en œuvre avec détermination et constance pour que l’Afrique ne s’avère pas un mirage pour les entreprises françaises, mais un marché prioritaire, où elles puissent de se développer et investir.
Dans ce contexte où la Data, c’est-à-dire la connaissance des marchés, est devenue le pétrole du XXIe siècle, que peut faire Business France pour outiller les PME en matière de business intelligence et leur permettre d’affiner leur capacité analytique, car contrairement aux grandes entreprises, ces PME en ont réellement besoin ?
C’est une question clé pour la réforme que nous sommes en train de mettre en œuvre, qui vise à créer une relation de proximité avec les PME. C’est aussi la raison pour laquelle nous nous installons dans les régions et travaillons dans le cadre des stratégies régionales. La proximité, vous en conviendrez avec moi, c’est d’abord le conseil humain proposé à une entreprise, parce que rien n’est meilleur pour donner confiance.
Nous allons proposer aux PME françaises un véritable référent à l’export, et cette offre de coaching permettra également de mobiliser tout un ensemble d’informations et d’aides pour s’assurer de la réussite de la mission vers un marché particulier. Nous allons investir beaucoup de ressources, grâce à l’Etat, dès la rentrée dans des systèmes d’informations, une plate-forme de solutions, un CRM, qui mettront à disposition des entreprises un grand nombre de données sur les marchés, les secteurs ou les filières correspondant à leur maturité. C’est pour cela, encore une fois, que pour nous, l’enjeu de l’Afrique n’est pas incantatoire, mais un bon équilibre entre l’identification des entreprises qui ont le potentiel pour répondre à la demande Afrique et les marchés du Continent qui ont la capacité de proposer une demande correspondante à cette offre. C’est un travail d’aiguillage qui se fera entreprise par entreprise, ce qui me semble beaucoup plus efficace qu’une incantation générale du genre : «Allons tous en Afrique !».
Ces dernières années on assiste à un glissement sémantique puisque depuis 5 ou 6 ans, on parle de co-développement ou de création de valeur ajoutée entre les deux rives de la Méditerranée. En même temps, les grands groupes français (Orange Bank en Afrique subsaharienne, Veolia au Gabon, Danone au Maroc) son chahutés sur le Continent. Comment voyez-vous alors cette co-émergence de manière à ce que l’on puisse associer le capital du Nord à la force du Sud ?
Je pense qu’en Afrique du Nord ou subsaharienne, nous faisons face à une problématique qui s’apparente à une communauté de destin. Soit nous réussissons ensemble, soit nous échouerons ensemble. Chacun comprend que l’échec du développement en Afrique saharienne aurait des conséquences lourdes pour l’Europe. A contrario, la réussite du développement économique de l’Afrique permettra de rééquilibrer le rapport des richesses dont nous savons que plus il est inégal, plus il engendre des facteurs de crises. Cela a été très clairement exposé lors du récent voyage du président Macron au Nigeria. C’est la raison pour laquelle, les questions dont France Business a la charge, celle de la promotion des exportations et de l’implantation des entreprises françaises en Afrique, mais aussi la possibilité des entreprises africaines petites ou grandes de se développer ici en France, vont au-delà de la balance de paiement ou commerciale. Elles sont autant de clés potentielles pour un avenir commun.
C’est aussi l’occasion de renouveler la relation parfois un peu paternaliste que certains acteurs français entretiennent vis-à-vis de l’Afrique. Nous disons une chose simple : le moment est opportun pour imaginer et soutenir des aventures économiques où personne n’est dépendant de l’autre et qui permettent de générer du co-développement au bénéfice des deux parties. C’est tout à fait possible de le faire dans le respect à la fois les objectifs financiers des entreprises, puisque nous sommes dans un secteur marchand, mais aussi des grandes questions géopolitiques et humaines – qui dépassent les bilans et les comptes des résultats.
Est-ce pour autant que désormais le rééquilibrage du déficit commercial ou l’expansion du nombre des entreprises exportatrices n’est plus un objectif qu’il faudrait impérativement atteindre et que vous avez de nouveaux objectifs globaux de «footprint» ou empreinte française dans le monde ?
Disons que nous ne perdons pas de vue le thermomètre qui marque le nombre d’exportateurs et le volume des exportations. Notre objectif, c’est clairement de parvenir à ce que la France profite de la fenêtre que lui offre la dynamique actuelle pour faire croître ses exportations, c’est une évidence. Toutefois, la méthode par laquelle nous entendons y parvenir est beaucoup plus qualitative que par le passé puisqu’elle part vraiment de la création d’un réseau de proximité et d’une posture de conseil vis-vis des entrepreneurs, afin de leur permettre d’exploiter tout leur potentiel et d’aller de l’avant à l’international.
Nous parlions tout à l’heure de l’Afrique, et finalement la problématique est la même : cette stratégie doit permettre de créer des aventures infiniment plus durables, pas seulement opportunistes ou conjoncturelles, ces contrats «one-shot» qui ne débouchent finalement sur rien de très solide. On dit souvent que c’est un travers français. Nous sommes convaincus que les temps sont propices pour promouvoir une nouvelle attitude, et à travers elle réconcilier durablement le «small and medium» business français avec l’avenir de l’Afrique.
Avec la tribune afrique