Les surtaxes imposées aux Etats-Unis et les mesures de rétorsion prises par ses partenaires commerciaux vont finir par affecter l’activité économique: chute des prix des matières premières, baisse de l’investissement et de la consommation et resserrements monétaires sont annoncés
La guerre commerciale peut-elle faire dérailler la croissance économique mondiale? Il y a encore quelques semaines, décideurs, économistes et analystes se gardaient de faire des pronostics. Désormais, ils sont plus directs: le Fonds monétaire international (FMI) met en garde contre une perte de 0,5% du produit intérieur brut mondial (PIB) en 2018.
En monnaie sonnante et trébuchante, c’est l’équivalent de près de 400 milliards de dollars. Si l’institution maintient ses prévisions de croissance pour les Etats-Unis à 2,9%, elle a révisé celles de la zone euro, du Japon et des pays émergents à la baisse. Réunis à Buenos Aires ce week-end, les ministres des Finances et les présidents de banques centrales du G20 ont également mis en garde contre les conséquences désastreuses d’un conflit généralisé. En bref, la guerre des tarifs est désormais perçue comme un réel danger pour la croissance.
Paradoxalement, la guerre commerciale déploie ses premières conséquences sur l’économie américaine alors même que le président américain, Donald Trump, avait lancé les hostilités dans l’espoir de protéger les entreprises nationales. Sur son site internet, la Chambre américaine du commerce montre par l’exemple les difficultés auxquelles font face divers secteurs de l’économie: à Wausau dans l’Etat de Wisconsin, Graig Baumann exploite une culture de ginseng sur une surface de 200 hectares. Après l’imposition des surtaxes américaines sur l’acier et l’aluminium à partir du 1er juin, la Chine a contre-attaqué avec des mesures de rétorsion, appliquant à son tour un droit punitif sur le ginseng importé des Etats-Unis. L’impact a été immédiat: coup sur coup, trois contrats ont été annulés.
Harley Davidson délocalise
«Le commerce, ça fonctionne, les taxes douanières, pas.» C’est avec ce slogan que la Chambre américaine du commerce demande au président Trump de mettre fin à sa politique commerciale agressive. Le cas du constructeur de motos Harley Davidson en dit aussi long. L’introduction de la surtaxe imposée par l’administration Trump de 25% sur l’acier importé aux Etats-Unis renchérit le coût de production d’autant.
De plus, le constructeur de Milwaukee (Wisconsin) qui écoule 400 000 motos par année en Europe subit une surtaxe (de rétorsion) de 25% sur le marché européen. Face à une telle surenchère, le groupe a annoncé la délocalisation d’une partie de sa production hors des Etats-Unis. «La stratégie de l’administration américaine fait fausse route, écrit la Chambre. Elle met en péril la récente résurgence de notre économie.»
Mais les autres régions du monde seront tout aussi affectées. La zone euro craint le pire au cas où Washington exécuterait sa menace d’imposer une surtaxe de 20% sur les voitures européennes entrant sur le marché américain. L’industrie automobile allemande en particulier, mais aussi les industries italienne, française et britannique font tout pour éviter ce scénario. Au total, les exportations automobiles européennes vers les Etats-Unis représentent 30 milliards de dollars par année. Le FMI table d’ores et déjà sur une baisse de la croissance pour l’Allemagne, la France et l’Italie à hauteur de 0,3% en 2018. Le Japon, le Mexique et le Canada, également exportateurs d’automobiles aux Etats-Unis, paieront aussi un lourd tribut.
Resserrement monétaire
Dans une chronique publiée le week-end dernier, l’économiste et professeur américain Nouriel Roubini fait remarquer que «le protectionnisme de plus en plus agressif de Trump menace aujourd’hui la part importante de la croissance mondiale due à la Chine et aux Etats-Unis». Il fait surtout remarquer que la reprise est soumise à risques du fait que les programmes d’assouplissement monétaire et les taux d’intérêt qui tendent à grimper ne soutiendront plus la croissance, comme en 2017.
Nouriel Roubini note également que l’administration Trump a fini par faire régner l’incertitude sur l’économie mondiale. Par conséquent, les marchés sont volatils, et les prix des actions ou des matières premières sont instables depuis trois mois.
Pour Valentin Bissat, économiste chez Mirabaud Asset Management, une hausse généralisée des droits de douane de 10 points de pourcentage aura, selon certaines études, un impact estimé à près de 3% du PIB sur trois ans. Les difficultés se feront sentir à travers différents canaux, en particulier l’investissement et la consommation.
L’économiste anticipe également un resserrement des conditions financières et la hausse des coûts d’emprunt qui pèseraient sur l’activité américaine et mondiale. «La hausse de l’inflation, qui a déjà atteint l’objectif de 2%, pourrait amener la Réserve fédérale à accélérer la remontée des taux d’intérêt», conclut-il.
Avec letemps.ch