D’origine Camerounaise, Angelle Kwemo est la présidente et fondatrice de l’Initiative Believe In Africa (BIA). L’organisation a pour objectif de faire la promotion du secteur privé africain. Elle aide aussi à la formulation des politiques africaines pour l’Afrique et œuvre pour l’épanouissement des jeunes et surtout des femmes évoluant dans l’agro-industrie à travers l’initiative African Women agriculture in Act (AWA). Des problématiques relatives à l’agriculture dans le Continent, mais aussi à la place prépondérante qu’occupe la femme africaine dans un secteur certes porteur, mais confronté à une multitude de contraintes. Interview !
La Tribune Afrique : Quelles sont vos activités au niveau de Believe In Africa ?
Angelle Kwemo : Je suis la fondatrice de Believe in Africa. Nous avons une représentation à Paris et maintenant au Maroc. Nous avons des programmes de tables rondes sur des thématiques sectoriels, toujours dans le but d’échanger sur le rôle du secteur privé africain. Nous avons en France une initiative qui fait la promotion de l’industrie du divertissement. Believe In Africa permet de relever d’une part le caractère stratégique de l’industrie du divertissement. L’Entertainment, ce n’est pas que du divertissement, c’est aussi un instrument fédérateur, diplomatique, unificateur et promoteur de la paix. La culture africaine peut être un moyen de promouvoir l’image du continent, mais aussi de créer de l’emploi pour les jeunes, une opportunité de développement des technologies.
Comment est venue au jour votre initiative ?
Ensuite ici en Afrique, au Maroc, il y a plus d’une année, nous avons lancé une initiative African Women Agriculture in Act (AWA). J’ai été pendant les 6 derniers mois de la dernière élection présidentielle américaine de 2016, la coach et coprésidente des femmes professionnelles pour Hilary Clinton, dans la région de Washington DC notamment. Après l’élection, j’ai continué mon engagement avec les femmes et on a choisi une thématique portant sur l’agriculture. Parce que leur rôle dans le poids économique du continent est surtout très visible dans le domaine agricole. Je suis venue au Maroc dans le cadre de la COP22, mais aussi des politiques marocaines en matière d’assistance des femmes. C’est en voyant ces initiatives que j’ai pensé organiser une conférence sur les femmes en agriculture ici à Marrakech, avec le soutien de l’OCP et cela a abouti à la création d’une initiative.
Vous parlez de l’African Women agriculture in Act (AWA) ?
Oui. Et l’initiative AWA est en train de prendre de l’ampleur. Nous avons réunis l’année dernière 120 femmes. Aujourd’hui, elles sont plus de 300 femmes à participer au congrès d’AWA. On a décidé de bâtir un réseau, de mutualiser nos efforts pour mieux accompagner les femmes agricultrices et artisanes.
Quels sont les pays africains représentés dans l’initiative AWA et pourquoi le choix du Maroc pour lancer l’initiative ?
AWA est une initiative pour tous les pays africains. Mais actuellement, les femmes présentes au sein du réseau représentent une vingtaine d’Etats. C’est une plateforme de réseaux que nous avons créé maintenant. Ensuite, le choix du Royaume s’explique par sa position stratégique. Après la COP22, nous avons constaté que le Maroc a bâti des infrastructures qui permettent la transformation agro-industrielle. Puisqu’aujourd’hui, il est question de faire la promotion des produits industriels, nous avons voulu nous inspirer de l’expérience marocaine et on a pensé utiliser le Maroc comme hub pour exporter et vendre des produits transformés par les femmes avec des matières premières qui peuvent provenir de différents pays du continent.
Comment se déroulent les rencontres organisées par AWA. Qu’est-ce que vous avez fait concrètement lors de votre dernière rencontre à Marrakech ?
A Marrakech, on a échangé et mené deux ateliers sur l’accès au crédit et surtout beaucoup d’échanges sur la création d’entreprise, l’entrepreneuriat des femmes, noué des partenariats. AWA, c’est aussi une plateforme pour que les femmes africaines partagent leurs expériences, leurs connaissances et créent des liens pour permettre par exemple à des femmes d’exporter des produits africains vers le Maroc et vice-versa.
Comment allez-vous procéder pour développer la transformation, l’agro-industrie et créer de la valeur ajoutée pour les femmes africaines agricultrices ?
Le premier objectif de cette année est de mettre en place une plateforme pour organiser le secteur de la transformation, pour les femmes membres de l’initiative AWA, mais aussi de faire la promotion des femmes qui sont dans ce secteur-là. Cette année, nous avons fait la tournée de 7 pays africains : la Guinée Equatoriale, le Cameroun, le Bénin, le Nigéria, le Togo, le Niger et le Maroc bien sûr, pour rencontrer des initiatives de femmes. Il s’agit de femmes qui ont des histoires fabuleuses mais qui manquent de visibilité. Avec le lancement de la plateforme, nous allons montrer quel est le vrai visage de ces femmes agricultrices africaines. C’est une première phase du travail.
Ensuite, nous allons élaborer des programmes pour les coordonnatrices. Pour chaque pays, on va définir des programmes qui seront à la hauteur des besoins de ces femmes. On ne va rien réinventer. Les besoins des femmes en Guinée équatoriale sont par exemple différents de celles au Benin. Certains pays sont très en avance par rapport à l’entrepreneuriat. En Afrique de l’Est, ils sont très en avance, ils sont déjà dans l’agro-business. Les femmes agricultrices y sont très mobilisées et organisées. On va laisser chaque section AWA de chaque pays déterminer ses besoins et nous allons essayer d’apporter des réponses.
En Afrique, les femmes agricultrices ont difficilement accès à la terre. Est-ce que vous avez prévu des actions pour un meilleur accès à la terre des femmes ?
Parmi nos axes majeurs, il y a un volet important qui est celui des plaidoyers des problèmes de ces femmes au niveau des plateformes internationales pour l’accès à la terre, au crédit, aux ressources…. Le problème de l’accès à la terre est à la fois juridique, d’éducation et est lié à la culture africaine. Cela nécessite du travail, des campagnes de sensibilisation…..
Je faisais surtout référence aux réformes agraires en cours dans beaucoup de pays africains. Plusieurs mouvements de femmes luttent pour imposer des quotas dédiés aux femmes dans les textes. Est-ce que Believe in Africa a des revendications sur ce volet ?
Nous avons ce que l’on appelle le volet plaidoyer. Mais cela dépend maintenant des engagements, du plan d’action élaboré sur la base des besoins de chaque pays, de chaque cellule. Je pense que la valeur ajoutée que l’on va amener est que je suis juriste, je ne plante pas, mais cela ne m’empêche pas d’être membre pour aider et je ne suis pas la seule dans le réseau. Certaines d’entre nous sont des fermières, d’autres sont dans l’industrie, dans l’enseignement, la recherche, et se sont engagées pour embrasser cette voie-là.
Au Maroc par exemple, il y a le problème du statut de la femme fermière. Elles sont encore considérées comme des femmes secondaires, celles qui n’ont rien à faire alors que c’est un métier à part entière. Donc avoir des femmes comme moi ou comme d’autres qui parlent et évoluent dans l’agriculture contribue justement à faire changer les mentalités sur le sujet et à montrer le sérieux de la profession.
Beaucoup de femmes de la diaspora sont prêtes à aller avec moi dans les villages, rencontrer d’autres femmes sur place pour se lancer dans le secteur et surtout montrer qu’il n’existe aucune différence entre la femme cadre et la femme rurale agricultrice. Toutes les deux font leurs 8 heures de travail ou plus, juste de manière différente. Maintenant, il faut que l’on accompagne et supporte les femmes agricultrices afin qu’elles puissent exprimer leur voix dans leur pays.
Le financement est le nerf de guerre dans l’entrepreneuriat. Qu’est-ce que vous avez prévu pour accompagner les femmes qui veulent obtenir un crédit ?
Nous avons effectivement un plan pour l’accès à l’éducation, à la formation, au crédit, au service financier et au marché. Ces quatre axes liés constituent un plaidoyer dont nous parlons. Après la création de la plateforme, on se mettra à la formation des femmes pour les doter des compétences dont elles ont le plus besoin et les organiser au niveau local. Cette formation peut être à titre indicatif sur l’éducation générale, sur la gestion d’un compte bancaire ou sur l’ouverture du compte.
La formation est souvent nécessaire pour permettre aux femmes évoluant dans l’agriculture d’accéder au service financier et au marché. Cela devrait favoriser l’augmentation de leurs capacités, leur compétitivité et leurs ouvrir l’accès aux marchés nationaux et internationaux. Les besoins primaires des femmes cultivatrices peuvent être davantage de la formation que de l’argent. La formation est un bagage qui leur ouvre la voie pour l’accès à la prospérité, la réussite. Il s’agit par étape de les sortir de l’informel, de les former et de leur donner les outils pour l’accès au crédit.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez été confrontées en tant que réseau de femmes évoluant dans l’agriculture ?
L’un des défis majeurs dans l’élaboration du réseau AWA a été de bâtir la confiance. La parade que nous avons trouvé c’est de travailler en partenariat avec les réseaux, les organisations locales au lieu de créer des réseaux nous-mêmes.
Plusieurs mouvements de soutien à l’entrepreneuriat des femmes dans l’agro-industrie ont vu le jour ces dernières années. Qu’est-ce-que AWA propose de nouveau par rapport à ce qui a été entrepris jusqu’à présent ?
Nous n’avons pas de modèles prédéfinis qui nous guide où nous inspirent. Je n’ai pas encore trouvé de modèle qui répond aux besoins identifiés, même s’il y a beaucoup de modèles d’organisations de femmes. La valeur ajoutée est notre panafricanisme. On regroupe des femmes qui veulent s’engager dans l’agriculture et celles qui y travaillent déjà et qui, comme moi, essaient d’avoir un impact sur le secteur agricole. Aussi, nous voudrions à partir de notre réseau de la diaspora servir les besoins du peuple africain. Une de nos particularités a été, en tant que femmes africaines, notre lecture plus compréhensive des femmes en milieu rural et on veut faire des programmes qui répondent à leurs besoins directs.
Alors quels conseils donneriez-vous à toutes les femmes agricultrices et à celles qui veulent se lancer dans le secteur ?
Je leur dirais que comme dans tous les métiers, il faut de la persévérance et l’agriculture c’est le futur. J’ai un très bel exemple, une amie, une Congolaise de la diaspora qui a des terres dans sa région natale dans le Lubumbashi, en RDC. Mais elle n’avait jamais pensé en faire quelque chose. Elle est venue au premier forum, cela l’a poussé à planter du maïs, du manioc…. Elle est repartie, a titré les 42 hectares et en a exploité 2 en moins d’une année. Auparavant, elle ne savait pas que cela est faisable sachant qu’elle est infirmière et ne se rendait pas compte du potentiel dans le secteur. Juste pour vous illustrer que cela peut marcher. C’est un bel exemple, dans la mesure où en cultivant ses 42 hectares, elle peut retourner servir son pays et vivre bien de ses activités agricoles. Aujourd’hui, tous les pays africains mettent l’accent sur l’agriculture. Ils veulent rendre le métier attractif pour les jeunes et les femmes. Donc les tendances sont là, il faut uniquement se structurer et se lancer.
Avec latribuneafrique