L’hévéaculture en Côte d’Ivoire est marquée par l’émergence d’une quinzaine de nouveaux postes qui, de par leur importance, se sont constitués en métiers. Parmi ces métiers, on dénombre la saignée qui est une opération au coeur même de la profession hévéicole. Si à l’origine, la profession de saigneur était uniquement le fait des hommes, aujourd’hui, on dénombre de plus en plus de femmes qui s’adonnent à ce métier.
La saignée est une activité qui consiste à pratiquer une incision dans l’écorce de l’arbre de manière à couper des vaisseaux spécifiques, les laticifères, dont le contenu est récolté dans une tasse. Au moyen d’un couteau adapté, elles pratiquent une légère entaille en descendant sur la moitié ou le tiers de la circonférence du tronc. La saignée commence quand les arbres ont atteint 50 cm de circonférence à 1 m de hauteur. À chaque saignée, l’encoche est ravivée en découpant une fine lamelle d’environ 2 mm d’épaisseur, sur toute la profondeur de l’écorce. En sortant de l’entaille, le latex, coule dans la tasse pendant quelques heures. Puis l’encoche se bouche par coagulation du latex et l’écoulement s’arrête. La récolte peut se faire sous forme liquide (on parle de récolte en latex) si on procède juste après la saignée, ou solide si on laisse le latex coaguler dans la tasse (récolte en coagulum). En cas de récolte sous forme liquide, on peut ajouter légèrement de l’ammoniac pour empêcher la coagulation précoce. À l’inverse, le processus de transformation post-récolte démarre par l’ajout d’un peu d’acide (formique généralement) pour faire coaguler le latex. Les saignées ont lieu périodiquement. Il existe des dispositifs plus ou moins intensifs, allant de la saignée chaque deux jours, à la saignée hebdomadaire. Les fréquences les plus courantes sont la saignée chaque 3 jours (D3) et la Saignée chaque 4 jours (D4) . Naguère exercée exclusivement par les hommes, la saignée est aujourd’hui pratiquée par des femmes. Saigneur depuis quatre ans, Mme Djidjimdé Hélène explique que le saigneur débute son travail très tôt le matin (6 h 00 mn), pour le terminer à 10h. C’est une activité qui nécessite la position debout pendant plusieurs heures sans interruption et de la marche sur de longues distances. Le métier exige de la dextérité et de la précision dans l’exécution des gestes. Pendant la haute saison, le saigneur peut travailler les jours fériés et les week-ends. Contraignant avec une charge de travail énorme, le métier de saigneur s’exécute seul et requiert une rapidité d’exécution et un grand sens de l’organisation. S’il est accessible à tous ceux qui le souhaitent, sans distinction de sexe ni de niveau scolaire, les candidates au métier de saigneur bénéficient néanmoins d’une formation technique sur un site conçu et mis en place à cet effet (école sèche et/ou école verte de saignée). A l’issue de cette formation, les candidates retenues sont placées sous la responsabilité d’un chef d’équipe saignée qui supervise leurs activités, tout comme elles le seront également par le contrôleur de saignée. Dans l’exécution de leur tache, elles disposent d’une feuille de mission avec des directives et des critères précis à respecter. Elles organisent seules leurs charges de travail, mais elles ont des obligations de résultats puisqu’elles sont rémunérées au rendement. Dans leur tache, elles sont responsables de la récolte du caoutchouc sous forme de latex ou de fonds de tasse, qu’elles portent pendant la récolte. C’est un emploi qui nécessite par conséquent, une bonne condition physique et des visites médicales régulières. La femme saigneur développe durant sa mission, un ensemble de relations fonctionnelles avec un ensemble de partenaires. Ainsi, elle est tenue de faire un compte rendu de la production journalière au propriétaire d’une plantation, si elle est au service d’un particulier. Elle développe avec le régisseur de la plantation, une relation de collaboration dans l’exécution de son activité et suit les instructions de saignée données par celui-ci. Elle reçoit la visite du contrôleur de saignée pour la vérification et l’évaluation du travail exécuté et celle du chef d’équipe saignée dont elle bénéficie du suivi de l’exécution du travail, des conseils et si nécessaire, le renforcement des capacités. Enfin, avec l’agent d’audit qualité, il s’agit d’évaluer la qualité du travail et de l’application des consignes données. Le travail de saigneur selon Mme Améya N’cho Elysée, responsable ronde-phyto à la plantation Durandal ( Toupah) dans la préfecture de Dabou, est le même tant pour l’homme que pour la femme. Formée au métier de saigneur, elle soutient que l’homme et la femme ont les mêmes responsabilités sur leurs parcelles. En outre, dans leur plan de carrière, l’un ou l’autre peut évoluer et devenir chef d’équipe saignée ou contrôleur de saignée par la validation des acquis d’expérience. Régulièrement exposé aux intempéries comme la pluie, aux risques de morsure de serpent, de piqûres d’insectes et d’éclaboussure de latex dans les yeux, le port d’équipements de protection individuelle (Gants, Bottes, Lunettes de sécurité, Blouse, etc.) est cependant indispensable au saigneur. En plus des compétences techniques comme la manipulation du couteau de saignée, de la gouge, le saigneur doit pouvoir réaliser des ouvertures de panneaux, tracer des repères de consommation, équiper des arbres avec les équipements de récolte, appliquer des produits stimulants, etc. Les femmes saigneurs rencontrées ont, par la qualité de leur travail, démontré leur capacité à associer des compétences telles que la connaissance de l’arbre, des maladies, de la gestion des panneaux, des fréquences de saignée et de stimulation, ainsi que des clones. En outre, avec discipline et rigueur, elles réussissent à appliquer avec maîtrise, une mé- thode précise en fonction du processus de saignée. Malgré leur condition de sexe dit ‘‘faible, les femmes saigneurs d’hévéa ont démontré leur sens de concentration sur leur activité et de vigilance par rapport aux consignes de sécurité en vigueur dans l’accomplissement de leur travail. Elles se sont par moment montré, comme ou mieux que les hommes, capables d’accepter des conditions de travail et un environnement parfois difficiles (température, latex, produits chimiques, charges lourdes…). Comme la liberté, la lutte contre la pauvreté a un prix que les femmes sont prêtes à payer, du moins pour celles que nous avons rencontrées.